La Mort est dos au mur (25)

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Pdv Nagisa :

Les journées se succédèrent avec une lenteur effroyable. Les traces de notre dernière excursion s'estompaient peu à peu : Irina avait repris ses manières de duchesse et ne ménageait plus Akira, qui s'en était tiré avec une longue entaille qui lui barrait le visage. Il s'en accommodait cependant plutôt bien, du moins en apparence et se pavanait en répétant inlassablement que cela mettait enfin en valeur sa légendaire virilité (pourtant tout à fait inexistante à mes yeux). La routine du "je-te-taquine-mais-on-va-pas-trop-loin-non-plus-parce-bon-bah-voilà-hein" battait son plein avec Karma, parfois tourmentée par certains regards insistants qu'il me lançait de temps à autres. Je passais la plupart de mes jours comme de mes nuits la concentration braquée sur mon ordinateur pour traquer la moindre information négligemment balayée par Akira. En effet, si j'étais doué en matière d'informatique, mon ami me dépassait de peu (surtout en crackage de site, où il s'exerçait à exploiter les bugs pour prendre le contrôle de la page internet) et je me retrouvais souvent à faire la sale travail derrière lui, avant que l'on n'inverse les rôles. Justice nous avait pressé de trouver une nouvelle adresse après s'être fait communiquer l'absence de jeunes cobayes dans le labo que nous avions arpentés. 

Ainsi, je me traînais dans l'appartement à la recherche d'eau, épuisé par les heures passées devant mon écran. Des dizaines d'indices s'entrechoquaient sans savoir comment s'imbriquer dans mon esprit. Tiens, Karma était engoncé dans le divan et lisait un conte à Miu. Il prenait une voix exagérément rauque lorsque le grand méchant loup entrait en scène et la petite fille se réfugiait entres les coussins de peur, tout en riant. Ces deux là s'étaient beaucoup rapproché, depuis que Karma avait réussit à convaincre notre pouffe qu'il était bon à rien en informatique. Par la suite il avait inespérément obtenu le droit de ne rien foutre jusqu'à nouvel ordre et passait son temps avec elle. Miu n'avait pas été signalé à nos supérieurs afin de ne pas le brusquer plus qu'elle ne l'était déjà par les événements. Elle reprenait peu à peu ses marques dans la vie et semblait moins craintive de jour en jour. Du côté de son acolyte de jeu, je supposais qu'il m'en voulait de le négliger autant, mais ça n'était pas comme si j'avais le choix... Pour la petite histoire des mouchards se baladant dans notre corps à Akira et moi, il avait été conclu que si les ennemis savaient où nous restions sans pour autant nous prendre d'assaut, les attendre de pied ferme était de mise. Autrement dit, déplacer tout le bordel loin de cet endroit ne valait pas quelques accrochages avec eux, surtout si cela nous débloquait une piste. De plus, les retirer était impossible étant donné que l'on ne savait pas exactement où ils se trouvaient en nous. Entre nous, ça nous faisait une belle jambe avec Akira : parfois, on avait des douleurs pas possible à l'abdomen et cet abruti me faisait peur en me faisant croire qu'ils allaient exploser. Je restais alors pétrifié et mon ami se moquait en se tenant le bide, sous le regard impassible de Karma.

Karma releva la tête à mon approche digne d'un zombie et tendit l'ouvrage à Miu.

- Du nouveau ? Demanda-t-il d'une voix anxieuse.

Je secouai la tête et partis me servir d'un verre d'eau, éreinté. Je me laissais littéralement tomber sur ma chaise de bureau en revenant et bus à grandes goulées. Décidément, cette situation se révélait intenable.

- C'est quand, la dernière fois que tu as fermé l'œil ? Voyant que je ne répondais pas, il insista : Non, sérieux, il faut que tu te reposes. Tu vas plus tenir longtemps comme ça, ajouta-t-il.

- Laisse moi, tu es mal placé pour parler alors que tu n'en branles pas une depuis une semaine !

Je regrettai instantanément mes mots en prenant conscience de mon état. Il m'avait déjà expliqué qu'il ne portait aucun intérêts à nos furetages sur le net, persuadé qu'une action sur le terrain pour faire parler les scientifiques était pour lui une bien meilleure option. Il avait promis de se livrer corps et âme à notre cause et s'était mis à nu de toutes suspicions en dévoilant tous ce que lui avait dit Hide, son Boss. Je savais qu'il serait le premier à se lever pour nous.  Honteux, je vis le visage de mon interlocuteur se fermer. Il se leva et empoigna sa veste. Il remarqua ma peine et soupira.

- Je sors, je vois bien que je suis de trop. Rejoins moi si tu veux, ça te ferais pas de mal de prendre l'air.

Je demeurais un instant assis, fixant mes mains avec lassitude. Lui aussi devait étouffer à force de rester là... J'allais lui emboîter le pas mais vis qu'il était déjà partit. Je saluais discrètement Akira puis passais la porte à mon tour sans manteau. Quelques marches sautées puis le froid automnale me cueillit avec mordant. J'enfonçais mes mains dans les poches de mon jean et me mis en marche jusque la supérette du coin, sûr de sa présence sous le préau de l'échoppe. Effectivement, ses goûts n'avaient guère changé : ce magasin était le seul vendant encore sa marque favorite de lait à la fraise, le liquide mystique dont la rumeur était qu'il lui avait monté à la tête étant enfant, d'où sa couleur de cheveux farfelue. Il sirotait sa boisson en faisant du bruit avec la paille et troublait le silence de l'hiver s'installant. Je le rejoignis en souriant de l'écho de tous ces bruits courants sur Karma à propos de ce satané lait à la fraise et combien il avait été réprimandé par Karasuma en l'apportant en classe d'EPS.

Sans une parole, Karma me proposa sa canette. Je déclinais malgré ma gorge sèche et scrutais son expression songeuse.

- Je voulais te parler, marmonna-t-il distraitement en triturant sa paille.

Aïe. Un "je veux te parler", même conjugué au conditionnel, ça veut tout et rien dire. A la fois ça marque un changement dans une relation, mais en même temps ça n'avance en rien la discussion. En plus, placé en début d'échange, ça sent pas bon du tout. Je plissais le bout du nez et l'invitais à poursuivre. Il ouvrit la bouche mais fut interrompu par la sonnerie de mon portable, et le générique de pokémon lui provoqua un sourire crispé.

Je décrochais et mis sur haut parleur Akira. Il chantonna un "allô" bien joyeux et enchaîna sans me laisser le temps de répondre :

-Tu ne vas pas me croire mon p'tit carapuce en sucre ! Débuta-t-il avec enthousiasme. On a un truc ! Enfin... A l'autre bout du fil, Akira se fit frapper par sa supérieur et rectifia : Tu nous a trouvé un truc ! Tu as laissé allumé ton ordi, tu as zappé de tout éteindre. Tu étais sur la page du seul ami facebook de Kara Keurt, tu te rappelles ? Un certain Hideko.

- Peut-être bien, je sais pas, répondis-je d'une voix ensommeillée.

- Peu importe : on n'avait pas consulté son profil depuis un moment, mais on avait loupé un truc : il a un diplôme de médecine ou je sais plus trop quoi en chirurgie dans une clinique pas loin d'ici. Le truc louche, c'est qu'il a tout plaqué y'a un an. La version officiel c'est qu'il est partit à la retraite élever des biquettes dans les montagnes, mais je sais pas ce que t'as foutu avec l'eau parce que la tour elle faisait des bruits bizarres. Y'avait de la flotte partout je crois bien que tu sais plus boire, se moqua-t-il.

- Ouais, bon, abrège, grognais-je en sentant Karma s'impatienter en face de moi.

- Eh bien, une fois que l'ordi a finit de bugger, un nouvel ami est apparu dans sa liste, paf, comme ça. Devine qui c'est mon petit de yoshi bleu ?~

Là, je crois bien que la limite de tolérance à l'impatiente de Karma était à bout. Il se saisit de mon portable avec véhémence :

- Le petit yoshi bleu il va te rappeler, Akira, alors retourne donc éponger l'eau et ferme la.

Sur ce, il raccrocha et me jeta mon portable. Je le rattrapais de justesse et croisais les bras, exaspéré.

- On peut savoir à quoi tu joues ?

Il planta ses prunelles dans les miennes et verrouilla son regard dans le mien.

- Pardon, tu viens vraiment de me demander à quoi je joues ? T'as pas pigé un truc, je crois bien. On a une discussion à entamer, tout les deux. Et s'il le faut je te pèterai les rotules pour pas que tu te casses et pour que tu m'écoute jusqu'au bout, mon petit yoshi bleu.

Ses derniers mots, prononcés avec tant de colère eurent l'effet de me faire trembler comme une feuille. Il passa machinalement sa langue sur ses lèvres gercées avant de commencer à parler, me plongeant dans une profonde léthargie.

Dans Mon ViseurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant