Un appel...

1.2K 53 12
                                    

Allongée sur mon lit, j’avais les yeux grands ouverts, fixés sur les altérités du plafond. Il était près de 19h, et le ciel prenait cette couleur rosée de fin d’été.

Bien qu’Il soit à l’autre bout du couloir, dans sa chambre, je l’entendais. Il était au téléphone. Une de ses nombreuses conquêtes, sans doute. Pauvre fille...

 Bastard haletait aux pieds de mon lit. Eva était partie, prétextant un rendez-vous chez le médecin  -un dimanche, notez- et m’avait lâchée, toute seule avec Lui. Je regrettai d’avoir dit à Rosia de prendre son weekend. Je me sentais seule, une fois de plus.

 J’étais encore les yeux dans les vagues, repensant au devoir de mon (beau) prof d’art plastique,  lorsque un grattement  suivi de trois coups secs se fit entendre de l’autre côté de la porte. Eva avait-elle culpabilisée, et s’était-elle enfin décidée à me sauver ?

Je me fais tellement de films que je perds le fil de la réalité.

C’était lui, qui d’autre ?

Malgré tout, je lançai, sans une trace d’espoir dans la voix, un petit :

-Eva ?

-Eum, non, moi c’est toujours Chris. Enfin, c’était le cas y’a deux seconde, alors...

Ahah. Tordant.

-Je peux entrer ?

Ahah...argh ?! Pardon... ? S’il pouvait...entrer ? Il s’incrustait dans ma maison, prenait mes parents pour les siens, et maintenant il voulait aussi coloniser ma chambre ? Hors de question.

-Rêve. T’es très bien derrière cette porte. Ca m’épargne le fait de te voir, au dépit de t’entendre.

Un court silence me fit s’avoir qu’il accusait le coup. Prends-toi ça, le rigolo.

-Très bien, répondit-il, une pointe d’agacement dans la voix.

J’entendis un petit « boum », comme si quelqu’un s’asseyait sur la moquette du salon. Non, pas « comme si ». Mon Dieu, il comptait rester combien de temps ?

-Qu’est-ce que tu veux ?

« A part t’incruster chez les gens et faire le chien battu à ma porte ».

-Ta mère m’a appelé.

Je me relevai brusquement. Ma mère l’avait appelé ? Lui ? Une seconde, cette femme était la génitrice de qui, là ? Sur le moment, j’eus un doute.

-Pourquoi elle...qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

J’avais vite fait de ravaler le « pourquoi elle t’a appelé, toi ? ». Je sais faire dans la diplomatie. Mes parents font vendre les disques pourris d’un gars qui a percé juste en étant musclé, tout de même, à la moitié des Américains. Je peux être très vendeuse, moi aussi.

-Elle a dit...elle m’a dit (il s’emblait bien s’amuser sur le fait qu’elle le préférait à sa propre fille unique)...qu’elle ne viendrait pas cette semaine, finalement. Un gros contrat s’annonce pour mon frère, et ils partent pour une internationale au Japon.

-Qu’est-ce qu’ils vont faire de plus ? Grimaçai-je, les dents serrées. Faire des goodies de ton frère ? Des porte papiers-toilettes Clark ? Des poupées grandeur nature pouvant embrasser pour jeunes filles frustrées ?

Je sentais qu’il souriait. Personnellement, je trouvais ça tout, sauf drôle.

Mes parents m’abandonnaient, une fois encore, pour satisfaire les fanatiques du frère de celui qui se tenait –assis- devant ma porte.  Juste pour ça. Je sais que c’était pour leur boulot. Je sais qu’il y a plus important que sa fille qui passe son SAT cette année. Il y a bien sûr plus important que de savoir quelle université sa fille a choisie. Il n’y a absolument pas de problèmes à ne pas savoir qu’est-ce que sa fille va faire de sa vie. Non, absolument pas. Allons plutôt manger des gâteaux de riz au Japon, c’est plus cool.

Et là, mes dents commençaient à grincer. Je vous assure que ce n’est jamais bon.

-Et... (Je pris le temps de déglutir). Elle t’a dit quand est-ce qu’ils reviennent ?

-Hum, elle espère être là pour...Thanksgiving.

C’est ça, elle espère. Je n’espère même plus, moi. Thanksgiving. Cette année, c’est le 27 Novembre. On est début septembre. Encore trois mois. Oui je sais, vous savez compter, mais j’essaye de gérer l’information, voyez-vous.  Et un morceau est resté coincé dans ma gorge.

-Thanksgiving, répétai-je, plus pour moi que pour lui. Non, qu’est-ce que je dis ? Juste pour moi. Qu’en a-t-il à faire, de toute façon ? C’est ce voyage qui va lui payer la fac. La mienne aussi, mais ça me coûte ma famille. Ou ce qu’il en reste.

Agacée et meurtrie, une fois de plus, je soufflai un grand coup, et attendis qu’il s’en aille. Mais Chris n’avait pas l’air de vouloir partir.

-Tu veux...je peux t’aider ?

A quoi, nigaud ? A faire venir mes parents ici ? La seule façon serait que ton frère meurt, et même avec ça, ils ne seront pas sûrs de revenir. La presse people, ou les paparazzis à l’enterrement, ou une des milles et une excuse qu’ils ont encore en réserve leur permettra de rester loin de moi.  A croire qu’ils cherchent à s’éloigner le plus possible. Ils déménagent sans moi, en quelque sorte.

-Là tout de suite, ce qui pourrait m’aider, c’est que tu te casse d’ici. Mais vu que mes parents s’obstinent à faire de la charité, tu n’es pas près de te barrer. Alors tu vois, on va faire simple : tu décolle ton derrière de la moquette et tu vas parasiter un autre endroit. Ou tu vas te préparer moralement au lycée. Parce que crois moi, dire que je ne vais pas t’aider est un euphémisme. Tu me pourris la vie, rien qu’en existant, alors le peu que je puisse faire, c’est te pourrir la vie aussi.

Un silence. Plombant. Sachez-le, j’aime faire du mal aux gens, lorsque c’est prémédité. Mais à des gens qui en valent la peine. A certains profs qui donnent les devoirs pour les vacances, aux voisins qui n’arrêtent pas les commérages, au facteur  qui sonne à 8h le weekend –à mes pseudos parents qui se prennent pour des fantômes-.

Mais le gars devant la porte n’avait pas forcement programmé la célébrité de son frère. Ni les paparazzis. Ni les fans.

Mais j’avais besoin de le faire souffrir. A la place de son frère. Parce que lui avait eu le culot d’accepter la proposition de mes parents. Parce que lui était là, derrière ma porte.  Parce que son frère était avec mes parents. Parce que moi, je n’étais pas avec eux.

Alors c’est stupide, je sais. Il n’était que le produit de tout ça.

Mais je lui en voulais, je lui en voulais tellement. Chez moi n’était plus chez moi, mon lycée ne serait bientôt plus mon lycée,  mon chien lui sera bientôt aussi sinon plus fidèle qu’à moi, Rosia -et je ne l’espère pas- lui fera des déjeuners à la française à lui –oui, c’est futile, mais les détails sont parfois vitaux-, mes ami(e)s, malgré leurs promesses, deviendront ses amis. Il prendra ma place. Mon « Chrys » que j’avais modelé deviendra sûrement et simplement Chris. 

Et ça, je devais l’en empêcher. Qu’il parte, je l’échange contre mes parents.  Ca vaudra bien plus que lui.

Win or FallOù les histoires vivent. Découvrez maintenant