Bruit résonnant

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Bruit résonnant 
Ca y est !! J’ai enfin reçu la paire de bottines à talons que j’ai commandé. Que ça fait du bien de les avoir aux pieds. Je vais te révéler un secret : je les mets seulement pour me sentir en sécurité, pour contrebalancer mon manque de confiance. Rien de plus, rien de moins. J’ai trouvé une nouvelle pièce pour mon armure. Je sais bien qu’on va me critiquer pour ce choix, je m’en moque à vrai dire. Ma démarche marquée me colle à la peau et me libère un temps soit peu de mes maux. 

"Elle regarde le monde tourner autour d'elle sans avoir l'impression d'en faire partie"

20h. Tac, tac, tac, tac. Ce bruit résonne dans la rue. D’où vient-il ? 
Tac, tac, tac, tac. Le bruit se rapproche. Je me retourne pour voir qui en est l’auteur.
Grande, brune, les yeux fixés dans le vide, un casque sur la tête. Impossible de la rater. 
En regardant autour de moi je vois que je ne suis pas le seul à la dévisager. 
Pourquoi cherche-t-elle tant à attirer les regards ? Pourquoi n’est-elle pas comme nous tous ?
Pourquoi ne se mêle-t-elle pas à la douce machine des passants ? 
Démarche rapide, yeux noirs perdus, je peux même voir ses lèvres bouger sans pourtant en laisser échapper un seul son. 
Pourquoi semble-t-elle tous nous mépriser ? 

20h. Tac, tac, tac, tac. Juchée sur mes talons, je marche machinalement à grande foulée. Ils sont mon bouclier, mes béquilles. 
Pourquoi me regardent-ils ? Laissez-moi tranquille ! Laissez-moi me cacher derrière ce masque de confiance. Je me décompose tant à l’intérieur, si vous saviez que ma confiance se recroqueville chaque seconde toujours plus. 
La musique dans mes oreilles me permet de tenir. Je chante sans son pour ne pas gêner. J’aimerais crier, évacuer tout ce qui se passe en moi, oublier, me fondre dans un cadre que la société accepterait. 
Pour l’instant, j’essaye juste de tenir à ma manière.
Pourquoi continuent-ils à me dévisager ? 

8h. Tac. Tac. Un bruit vient rompre la quiétude du couloir. Qui est-ce ? Serait-ce une professeur ? Vite je dois ranger mon... Mais... Ce n’est pas une prof... 
Encore elle ? Le visage fermé, fière, droite. Il serait bien qu’elle arrête de vouloir canaliser l’attention. 

8h. Tac. Que fais-je là ? Tac. Non je ne suis toujours pas une prof. Laissez-moi. Oui j’ai des talons aux pieds. Non je n’ai pas besoin d’être vouvoyée. Non je ne suis pas hautaine.  Laissez-moi. Ne m’approchez pas, préservez-vous ! Voilà le cri caché derrière cette démarche marquée, cette attitude détachée, cette façon d’être agressive.  Laissez-moi en paix et tout ira bien.
Jugez mon apparence, vous vous sauverez.

0h. Il est minuit et je ne dors toujours pas. Les larmes continuent à couler sans fin. Seule dans ma chambre je me morfonds. J’ai le cœur si lourd qu’il m’a fait trébucher.
Je ne tiens plus vraiment. Cachée derrière ce masque toute la journée, j’en viens à ne plus savoir qui je suis. J’en viens à me tromper moi-même. 
La nausée monte. Mes pensées trop noires me pourrissent de l’intérieur. 
Voilà pourquoi je me cache.
Je pose un voile sur ma personne, du tissu pour cacher le sang qui coule le long de mes jambes, un masque pour cacher mes yeux rouges et bouffis par les pleurs, des talons pour cacher mon insécurité. 
Un mensonge apparent que l’on croit. 
Il est minuit et je sens encore mon coeur qui bat lentement, le sang qui coule dans mes veines, ma respiration saccadée, la chaleur de mes larmes.
Il est minuit et je me sens vivre malgré la douleur. 
Peut-être devrais-je arrêter de me dissimuler ? Vivre comme je l’entends, être qui je suis et non l’ombre de moi-même. 
Je le ferai un autre jour, aujourd’hui je n’ai pas la force. 
Il est minuit et je laisse la quiétude de la nuit m’emporter, calmer ma tempête et m’entraîner dans un doux sommeil.
Je vivrai demain.

Au Fil De La RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant