Faux héros

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J'ai toujours eu une relation conflictuelle avec ce qui me sert de père... Il est impulsif, la faute au sang chaud. Il est distant, parfois il est blessant, souvent même. Parfois j'ai peur de lui. Quand j'étais plus jeune j'étais terrifiée. Aujourd'hui j'ai 18 ans et je sais que je suis forte, que je vais me battre, résister, protéger ma sœur coûte que coûte. Aujourd'hui j'ai 18 ans et il va comprendre que je suis un être humain à part entière avec sa sensibilité, ses émotions, ses envies, ses peurs et ses joies.

"Nous sommes nos choix"
Jean-Paul Sartre

Deux petits yeux rieurs pour voir cette si grande ombre qu'ils aiment tant.
De petites mains de chérubins pour saisir ces doigts rugueux si importants.
Quelques balbutiements pour protester contre l'absence de ce super-héros, ce militaire qui ne revient que tard le soir.
Une enfant fascinée, en adulation devant cet homme fort et rieur.
Des pleurs et des cris cachés pour garder l'illusion intacte.

« Non j'attends papa. »

Mais cette fragile créature grandira. Le rideau s'effondrera, la vérité apparaitra dans cette scène détruite qu'elle observera.

« Maman, pourquoi papa il crie ? »

Les cris montent encore et toujours, le bruit l'assomme. Elle cache ses oreilles de ses mains mais rien n'y fait. Papa hurle bien sur maman. Papa lance bien des objets sur maman.
Coincée entre les bras de sa sœur et sa grand-mère, petite fée pleure. Elle a peur.

« Mamie, pourquoi papa est-il comme ça ? »

Tout son corps frêle tremble. Où est le super-héros qu'elle connaissait ? Petit ange avait sept ans, sa sœur deux et leur papa devenait le méchant de l'histoire. Il était ce géant que tout le monde fuit car il effraie tous les villages. Il était cette brute qui brise les objets précieux devant les héros effondrés. Il était ce monstre que personne n'osait affronter.

Séparation. Divorce. Garde. Juge. Tribunal.

« Papa vous prendra un week-end sur deux, un mercredi sur deux et la moitié des vacances. »

C'est là que sonna le glas. Plus de maman pour guider papa, juste elle et la petite perle fragile qu'elle devait préserver. Elle devait prendre cette place. Découvrir la vraie nature de son héros et voir son monde s'effondrer.
Et il était un faux super-héros.

Papa jouait à faire des clefs de bras, à l'écraser jusqu'à l'empêcher de respirer. Papa attrapait son petit doigt pour la faire ployer jusqu'au sol, attendant un « j'ai mal » ou un jappement de douleurs pour arrêter.
Papa n'était qu'un volcan qu'elle devait contenir.
Il était ce policier dehors, ce monstre à la maison. Papa la claquait pour la corriger. Papa criait dès qu'il était énervé. Papa jamais ne se contrôlait quand il enrageait. Papa l'effrayait.
Papa jetait sa sœur lorsqu'elle faisait une erreur. Elle restait là impuissante, regardant son petit ange heurter l'encadrure d'une porte ou un mur.
Jamais aucun bleu, jamais papa ne dépassait les limites, il connaissait trop bien la loi.

"Maman je ne veux pas y aller."

Alors, à deux elles se tassaient, rien ne dépassait, tout était droit, elles ne parlaient pas, elles ne se trompaient pas. Chaque heure avant de le voir pesait plus lourd que le plomb. Les quelques heures après n'étaient que sanglots et tremblements. Mais personne n'y pouvait rien. Papa était intouchable.
Mais personne n'y pouvait rien. Papa était leur pire cauchemar.

"J'ai l'habitude tu sais depuis le temps"

Mais la petite fille devenait une femme et papa ne pouvait plus lever la main sur elle comme il l'avait fait. Alors il lui fallait trouver une nouvelle façon de la briser.
Ce fût la valse des reproches et moqueries, des mots qui blessent et qui tuent, des mots qui tiennent au corps, qui jamais ne lâchent.
Ce fût le ballet des remarques déplacées et rires, des mots qui brisent et qui cassent, des mots qui détruisent tout, qui poussent aux larmes, au sang.
Papa devenait une ordure.

"Maintenant il me frappe de l'intérieur"

Mais papa commençait à avoir peur, peur pour son honneur, peur pour sa fierté. Papa devait garder sa fille, montrer qu'il était attentionné et digne du statut de "père". Il se devait de la garder pour pavaner et montrer à quel point il était merveilleux, comme il avait des filles bien élevées. Mais il oubliait de préciser le stress chez lui, le mutisme, le beau-père qui les avait plus élevées qu'un père ne l'aurait fait. Il omettait les signaux de détresse que le corps de sa fille envoyait : les cicatrices et les bleus, les nausées, la fatigue, la noyade dans le sucre, le chocolat.
Il oubliait les pleurs, les disputes, les coups à sa confiance, l'absence d'encouragement.
Il n'était père que pour pavaner.
Et elles, cherchaient qui était papa.

"Maman je me sens mal."

Derrière son téléphone elle apprenait à manipuler le monstre qui lui servait de père.
Elle savait quelles informations donner, quels mots utiliser, quand entamer une discussion pour obtenir ce qu'elle voulait.
Elle savait comment alléger sa vie en utilisant les sentiments.
Et elle se détestait. Qu'était-elle devenue ? Qu'avait-il fait d'elle ? Comment avait-elle pu devenir si immorale ?
Papa manipulait alors elle aussi.

"Comment ai-je fait pour en arriver là ?"

Alors elle attendait ses 18 ans,
18 petites années qui donnaient un pouvoir inespéré.
Elle attendait de pouvoir fuir.
Laisser sa sœur vivre en parfaite harmonie avec son père.
Laisser ces petits compagnons se rapprocher, passer de longues journées à contempler un écran coloré.
Laisser sa sœur oublier, oublier ses devoirs, oublier sa famille, oublier sa vie.
Laisser l'ogre être un ogre égoïste,
Laisser l'ange se transformer en créature flasque et vide.
Elle allait pouvoir tout abandonner.

"Allez plus que quelques mois."

Deux petits yeux rieurs éteints face à cette si grande ombre menaçante.

De petites mains de chérubins pour stopper ces doigts rugueux sur son visage.

Quelques balbutiements pour protester contre ce faux héros, ce policier sans morale ni compassion.

Une enfant traumatisée, morte devant cet homme colérique et sans cœur.

Des pleurs et des cris cachés pour garder l'illusion intacte.

Papa n'était pas de ceux qui viennent te sauver cape sur le dos,
Papa était de ceux qui provoquent des sanglots.
Papa n'était pas de ceux qui se battent pour le bien,
Papa était de ceux qui frappent des poings.

Papa faisait peur,
Papa était inconnu,
Papa était colérique,
Mais surtout,
Papa n'était pas qui il croyait.

Au Fil De La RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant