Franck.
Je suis comme un lion en cage. Elle est partie. Pas de petit mot laissé sur l'oreiller, elle a éteint son portable, et après un saut chez elle, Alix demeure introuvable. Je viens de me faire plaquer.
Un sms fait vibrer mon portable.
Une part de moi est soulagée en le lisant. Mais le mec abandonné se révolte et refuse de passer l'éponge trop facilement. Sa fuite m'a déçu. Je ne comprends pas. Oui, ça va vite pour moi aussi. Mais si on ne prend jamais son courage à deux mains, on n'avance jamais. J'ai besoin de digérer l'affront avant de prendre une décision. Oui, bon. Je suis vexé comme un pou. Lui pardonner ? Non ! Enfin... je n'en sais rien ! Grumpf... si, évidemment ! Je la veux, bien plus que sauvegarder mon ego.
Alors je lutte contre l'envie de lui répondre. Il faut qu'elle retienne la leçon. Nous sommes adultes, après tout. Plus les heures avancent, plus je freine mes doigts. Bon d'accord, le message est déjà tapé. Mais il dort dans les brouillons. Quant à moi, je sombre quelques minutes avant de devoir me lever, le nez dans l'oreiller qui a conservé son parfum...
Depuis que mon réveil a sonné, son message passe et repasse dans ma tête alors que je fixe le plafond de ma chambre. Il doit me rester une dizaine de minutes avant d'être en retard au boulot. J'ai beau analyser, décortiquer disséquer, je suis toujours aussi nul quand il s'agit de décrypter les intentions féminines. Elle me fuit, puis me demande une seconde chance. Je n'ai pas l'habitude de me faire jeter. Impossible de comprendre pourquoi je m'accroche comme ça. Ou peut-être que je le sais au fond. Ça faisait un moment que ça couvait. En prendre conscience me donne l'énergie nécessaire pour sortir enfin du lit.
Face au reflet qui me renvoie un air fatigué, je semble avoir gagné en maturité. Ou alors j'ai vieilli d'un siècle. Je vote pour la maturité, ça fait plus classe. Le rasoir s'active sur mon visage pendant que je continue de ruminer.
Au fil du temps, passer d'une fille à l'autre est devenu une habitude plus qu'une satisfaction. Qu'elles aient fait un bref passage ou soient restées quelques semaines ne changeait rien. Il me manquait le déclic. De toute façon, aucune n'a cherché à me retenir, pas plus que je n'ai souhaité développer quoi que ce soit. Je n'étais pas prêt. Jusqu'à maintenant. Mon abstinence en a peut-être été une des conséquences.
Je réalise alors la durée exceptionnelle de cette pause sans sexe. Ah, ça, je peux me foutre de Markus. Je prenais le même chemin jusqu'à l'arrivée d'Alix dans ma vie. Cette petite tornade parlait de timing l'autre soir. Elle avait raison. Je crois que nous nous sommes rencontrés au bon moment. En tout cas, j'y crois, et c'est pour ça qu'avec elle, j'ai l'impression que les pièces du puzzle s'imbriquent enfin sans forcer. En particulier l'envie de partager le quotidien avec l'être aimé. Mais, est-elle prête, de son côté ou va-t-elle me filer entre les doigts ?
À cette idée, la lame dérape et entaille ma peau. Le rasoir tombe dans le bac du lavabo. Je m'accroche à ses bords et me penche vers le miroir.
— Inutile de te leurrer, vieux, t'es aussi paumé qu'elle sur ce coup !
Le type pensif qui m'observe dans la glace n'a aucune réponse miracle pour la convaincre de rester. Par contre, le coup d'œil sur la montre posée sur la tablette provoque un électrochoc salutaire.
Merde ! Je suis officiellement à la bourre.
*
J'ai pris les devants en me rendant chez mon commandant d'unité dès mon arrivée. Papiers de l'hôpital en main, j'ai enrobé l'épisode d'une rechute matinale, qui m'aura valu ce quart d'heure de retard. Le premier en près de quinze ans de carrière. Il n'a pas eu besoin de faire semblant de me croire. Il suffit de voir ma tronche. Il m'a même proposé de prendre des permissions avant le départ pour l'Afghanistan. Beaucoup l'ont fait, ce n'est pas comme s'il m'accordait une faveur. J'ai décliné en pensant aux dernières perceptions de matériel à effectuer. La livraison des munitions a pris du retard, raison pour laquelle je suis encore là. Je tiens aussi à profiter de cette ultime semaine pour attirer Alix dans mes filets.
Je sais, je suis con de chercher à la revoir alors que je devrais me concentrer sur ma mission. Mais c'est plus fort que tout. La chance est enfin de mon côté quand je croise Emma, venue se perdre du côté du BOI. En fait, je comprends vite que c'est moi qu'elle cherche.
— Salut Franck. Tu as quelques minutes à me consacrer ?
— Bien sûr. La soute à munitions n'est pas encore ouverte de toute façon. Je m'occuperai des mises en caisse et du colisage plus tard. Tu veux un café ?
Je l'invite à passer dans notre salle de repos, où plusieurs collègues sont déjà réunis.
— C'est gentil mais non merci. Je venais te parler d'Alix.
Hors de question de déballer ma vie privée devant les bouches de vieille du BOI. Je l'invite à me suivre jusqu'à mon bureau.
— Hum. Elle t'a expliqué ce qui s'est passé ?
— En partie oui. Elle était chez moi hier.
— Okaaay...
Mon moi vexé fait un retour fracassant. Même si, en tant que seul mâle de ma famille, je sais combien les femmes ont besoin de décortiquer un problème devant un public compréhensif, je n'aime pas l'impression d'être laissé de côté. Je lui propose un siège en face de mon bureau. Elle décline.
— Je ne vais pas être trop longue, le chef de corps a besoin de moi pour une réunion.
— Je t'écoute... lui dis-je avec une certaine appréhension.
— Je te repose la question de la dernière fois. Quelles sont tes intentions envers Alix ?
— Tu me fatigues Emma. Tu n'es pas sa mère et je n'ai pas à justifier mes actes.
— J'en déduis que ce n'est pas appelé à devenir sérieux entre vous...
— Vous êtes vraiment chiantes, vous les femmes ! Évidemment que je ne peux pas te répondre sur ce que je veux, puisque Alix a décidé pour nous deux. Elle ne sait pas où elle fout les pieds, moi non plus, mais j'aurais bien voulu en apprendre d'avantage ! Elle m'a coupé l'herbe sous le pied et je n'ai plus le temps de lui courir après. Je décolle lundi prochain !
Son petit sourire me calme immédiatement.
— Vous êtes vraiment irrécupérables. Et tellement aveugles !
— Quoi, comment ça ?
— Je vais te dire un truc, Franck. Mon expérience est limitée en la matière, mais je vois bien que vous avez totalement craqué l'un pour l'autre.
— Ça me semble plus qu'évident. Mais faudrait peut-être ouvrir les yeux de ta copine sur le sujet. Et lui dire d'arrêter de flipper.
— Crois-tu que ce soit à moi de le faire ?
Son regard polaire me donne envie de me ratatiner dans mon fauteuil. Elle a pris des cours auprès de ma mère et mes sœurs, ou quoi ?
— Alix a peur que tu ne sois pas sérieux avec elle. Détrompe-la ou dis-lui franchement ce que tu cherches. Je vous donne un coup de pouce en venant ici, parce que vous avez l'air aussi entêtés et orgueilleux l'un que l'autre sur ce point-là. Or le temps presse, ainsi que tu me l'as rappelé. Mais je ne vais pas faire tout le boulot, quand même ! En avant, mon adjudant, à toi de jouer.
***
VOUS LISEZ
Cœur d'homme, âme de soldat 3 : Vivant !
RomantikEn rentrant de sa mission à Tahiti, Alix a pris une grande décision : exit le boulet. Comme on dit, mieux vaut être seule que mal accompagnée. Depuis, c'est morne plaine et sexus tristus. Sur un coup de tête, elle décide de laisser ses inhibitions a...