Partie 15 : Tombé au combat.

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Ce matin-là, pour la première fois depuis notre arrivée, je sentis un vrai malaise avec la mission qui venait de nous être confiée par le PC. Un pressentiment, une inquiétude, quelque chose qui planait au-dessus de nos têtes et m'incita à redoubler de vigilance. Markus, plus aguerri que moi avait lui aussi ressenti la menace et avait mis en garde notre chef de section face à son attitude trop relax. Même notre interprète semblait nerveux.

Le village que nous traversions paraissait calme en apparence. Pas de véhicule suspect, et plus tôt, la reconnaissance aérienne effectuée dans la vallée de la Kapisa n'avait repéré aucun mouvement hostile malgré nos informations. Notre patrouille avançait tout de même plus lentement, prenant beaucoup de précautions pour ne pas déclencher des tirs à cause de la tension ambiante.

Le lieutenant évoluait au milieu de la route, au détriment de toute sécurité, faisant enrager Markus. Il s'exposait bêtement, et ce, depuis le début de notre mandat. Je n'avais jamais vu un gars aussi arrogant. Il se prenait pour Bruce Willis. Sauf que les balles qu'on nous tirait dessus n'étaient pas en carton. Et même s'il était vrai que depuis notre arrivée sur le territoire, aucun accrochage n'avait été déploré, les rapports des FS n'en avaient pas moins évoqué une rumeur courant parmi la population civile, à propos d'un groupe de talibans extrêmement mobile. Et où mieux qu'un petit village perdu pour s'y dissimuler en attendant que les forces de la coalition internationale aient fini leur inspection ?
J'étais suivi de notre jeune radio, dont le poste grésillait à intervalles réguliers.

— Putain, c'est trop calme. Je n'aime pas ça.
— Clair. Y a pas un chat. Ça pue l'embuscade.
— Tu as vu les analyses des prises de vue comme moi. Nada.
— Ouais. En vertical ou oblique, les drones n'ont rien repéré.
— Ça ne veut pas dire qu'il n'y a ri ...

Soudain, je perçus un mouvement du coin de l'œil sur ma gauche, un peu comme on remarque une araignée qui grimpe sur un mur. Le lieutenant le repéra lui aussi, mais plutôt que de se mettre à couvert, resta planté au milieu de la route, l'arme pointée vers la direction suspecte. L'instinct me dicta de regarder de l'autre côté. Une détonation retentit.

— Contact !

Markus rugit au jeune officier de se mettre à l'abri, me donnant l'ordre de le ramener au plus près, mais c'était déjà trop tard. J'eus beau donner l'alerte, le premier d'entre nous s'écroula.
L'Enfer se déchaîna au milieu de nulle part.

Markus.
J'eus beau hurler mes ordres, les snipers nous prirent de court et attaquèrent alors que mes gars étaient encore vulnérables. Nous ripostâmes à feux nourris, canardant dans tous les sens. Je vis notre chef de section s'écrouler, une balle tirée en pleine tête, son casque transpercé. Les années d'entraînement au combat ressurgirent et m'aidèrent à garder mon sang-froid. Je n'étais pas seul dans l'histoire, je devais veiller sur mon équipe, la garder en vie jusqu'à l'arrivée de l'appui aérien.

C'est alors que je vis Franck s'écrouler à son tour en se tenant le ventre. Une vive douleur me brûla au côté gauche du visage, mais je n'y prêtai pas plus d'attention. En essuyant le liquide qui coulait, je vis sans surprise qu'il s'agissait de mon sang. J'étais débout, entier, je devenais le nouveau chef de section, il était de mon devoir de mettre tout le monde à couvert.
Fonçant vers Franck et notre radio qui venaient d'être touchés, je me mis à les traîner derrière un muret à demi écroulé, inaccessible aux tireurs embusqués. Le reste de mes hommes s'était éparpillé aux alentours. Ils me hurlaient leur compte-rendu chacun à leur tour et dégageaient aussitôt de leur position pour ne pas rester des cibles repérables. Des grenades furent jetées dans les logis abritant certains terroristes, provoquant des nuages de poussière et encore plus de confusion.

Franck, toujours conscient bien que salement amoché, s'empara du combiné du poste radio pour lancer à plusieurs reprises son S.O.S.
Je refusais de laisser le corps du lieutenant prendre des balles perdues au milieu de cette route. Les projectiles faisaient tressauter son corps comme une poupée de chiffon balayée par des jets de pierre. Rugissant à mes gars de me couvrir, je me précipitai alors vers le pauvre garçon et tirai de toutes mes forces son corps jusqu'à notre refuge. La puissance de feu utilisée par l'ennemi me parut phénoménale, mais peut-être étais-je influencé par les tonnes de poussière que les tirs avaient soulevées. L'odeur typiquement suffocante du pays était désormais mélangée à l'odeur de poudre et de mort. Je refusais de crever là, loin de mon pays, loin de ma femme. J'avais encore tant de chose à régler. La vacuité de nos querelles m'apparut avec plus d'acuité.

Cœur d'homme, âme de soldat 3 : Vivant !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant