Partie 8 : Toi Jane, moi Tarzan !

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Franck.

La zone technique rassemble tous les ateliers de mécanique ainsi que les hangars protégeant le matériel lourd. Excentrées des autres bâtiments, ses longues allées permettent aux mécaniciens d'effectuer des essais de freinage sans risquer d'aplatir un militaire inattentif. L'inconvénient, c'est l'obligation de traverser tout le régiment pour la rejoindre. Ce matin, remonté comme un coucou suisse, j'avance d'un pas rapide, en profitant de la fraîcheur matinale toute relative de ce mois de mai. Je suis en mode commando, avec un objectif majeur ; persuader Alix de passer à la vitesse supérieure. Ce n'est pas tant l'envie de la mettre dans mon lit que le besoin de la savoir engagée dans une véritable relation qui me motive. Emma a raison. L'un de nous doit faire le premier pas afin de régler la situation. J'imagine que c'est à moi de rassurer Alix sur mes intentions. Je la veux dans ma vie. Et j'espère qu'elle m'envisage dans la sienne. Mais si elle fait un saut par mon lit, je n'aurais rien contre !

En entrant dans le hangar de la gamme tactique, je vois des militaires en côte de travail s'activer autour d'un camion positionné au-dessus de la fosse en travée. Des rires s'échappent du trou ; l'un d'entre eux est féminin et s'adresse directement à mon corps. Elle est là. Ça me donne le sourire, jusqu'à ce que je perçoive le sujet de discussion.

— Voyons mon lieutenant, vous ne pouvez pas descendre ici sans être équipé !

— Mais je suis parfaitement équipé, sergent. Admirez donc la bête !

C'est moi ou la conversation n'emprunte pas dutoudutoudutou un ton professionnel, là tout de suite ? Il n'est quand-même pas en train d'exhiber son équipement ? Je ne suis pas forcément un mec jaloux, mais il y a des trucs qui me gonflent. Notamment les supérieurs qui se permettent de harceler des collègues féminins. S'il sort du cadre avec Alix, je le défonce ! Et puis, ils sont combien là-dessous, bordel ? Le cerveau sur off, je saute dans la fosse et manque de me vautrer.

Merde, mais c'est profond ce truc !

Trois silhouettes font un bond en se tournant vers moi.

— C'est bon, on est assez nombreux pour une partouze ! Tout le monde a son petit équipement bien en place ?

Alix me dévisage, et après quelques secondes, lève les yeux au ciel en me désignant d'un geste blasé.

— Mon lieutenant, vous connaissez sûrement, l'adjudant Lacec ?

Elle tend sa lampe de poche au caporal qui la regarde avec adoration et vient se planter devant moi. Elle est adorable quand elle est furax.

— Mon adjudant, vous n'avez rien à foutre ici !

Ah oui. Pas contente du tout.

— Pourquoi, je ne suis pas suffisamment bien équipé ?

Quitte à rivaliser avec mister Lourdingue qui me jette des regards éloquents, j'y vais à fond sans trop savoir pourquoi. Un quart de seconde suffit pour qu'un éclair de compréhension traverse le regard d'Alix. Son éclat de rire me saisit la gorge. Je suis raide dingue de cette femme. Elle aurait pu me laminer sur place, au lieu de quoi, elle rigole de ma connerie, puis une fois calmée, lance un autoritaire :

— Tout le monde hors de ma fosse ! Non, sauf toi, bourrique ! grogne-t-elle à l'intention de son mécanicien qui voyait là l'occasion rêvée d'échapper à une corvée.

C'est la moins gradée de nous trois, mais le lieutenant et moi obéissons comme de jeunes soldats durant leurs classes. Le gars ne me laisse pas en placer une autre et s'adresse à Alix en dégainant un sourire ravageur. Hé, oh, ça, c'est mon arme secrète, mec !

— Mince, moi qui espérais développer les relations 1ère compagnie/atelier...

J'ai très vite l'envie de l'assommer à coup de clé de 12 dans la gueule, en le voyant jouer du clin d'œil avec ma nana. Non, je ne suis pas jaloux ! En habituée des tentatives de séduction, Alix lui donne la réplique avec bonne humeur mais assez de fermeté pour lui opposer un non merci à sa proposition d'aller boire un verre après le service. En revanche, j'ai un instant de découragement. Je n'ai pas l'exclusivité de son sourire radieux. Quand le jeune crétin prend enfin congé, je deviens la cible de son entière attention. Oups, je vais peut-être y aller, moi aussi.

— La prochaine fois, va au bout de tes idées. Cogne-toi le torse en grognant. Oups, pardon, cognez-vous le torse, mon adjudant. Mais évite de faire pipi sur mes chaussures de sécurité sans prévenir !

— Très drôle. Ça arrive souvent ?

— Quoi donc ? Si tu parles des visites surprises comme aujourd'hui, oui, régulièrement.

— Ah bon ?

Je suis dépité à l'idée de devoir gérer la concurrence. Il fallait bien que ça arrive, elle est trop canon pour rester seule bien longtemps. Et dès qu'elle ouvre la bouche, elle me met à genoux. Pourquoi les autres types seraient-ils différents ? Alix enchaîne sans percevoir ma déception.

— Les chefs de section viennent souvent vérifier l'avancée des réparations, en particulier quand ils partent le lendemain sur le terrain. Mince, ça me fait penser qu'il faut que je prépare mon sac !

— Quoi, tu pars sur le terrain ? Quand, combien de temps ?

Je sens la panique monter. Je n'avais pas du tout prévu ça.

— Je viens de l'apprendre, fait-elle plus doucement, prenant conscience de mon trouble. J'assure le soutien technique avec le lot 7* à compter de demain matin. On prévoit un retour dans la matinée de vendredi.

— Merde !

— Je ne l'aurais pas dit ainsi, mais oui, c'est l'idée. Je suis désolée pour hier.

— Ah non, ne me vole pas mes répliques !

Je la fixe un moment, prenant plaisir à détailler chaque centimètre de son adorable personne. À deux doigts de la plaquer contre mon torse pour lui voler un baiser, je cherche le premier truc stupide à dire pour la faire enrager.

— Tu es vraiment minuscule !

— Tu es vraiment vieux !

— Je te prête mon dentier si tu me prêtes tes seins.

— Franck ! Mon adjudant ! Moufle, quoi !

Vraiment adorable ! Je reprends mon sérieux.

— J'aimerais te faire comprendre combien tu me plais. Combien j'ai envie de mieux te connaître et combien j'ai envie d'intégrer ta vie. Et que tu fasses partie de la mienne.

Elle secoue la tête. Mon cœur se brise une seconde.

— Je ne veux pas que ça s'arrête non plus. Il nous reste quand même ce soir. Enfin... si tu veux.

— Ce soir. Chez toi. Dès la fin du travail.

— Reçu, mon adjudant.


*Lot 7 : petit camion de dépannage

                                                                                      ***

Cœur d'homme, âme de soldat 3 : Vivant !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant