Chapitre 3 : Le monde d'outre-tombe

22 2 0
                                    

Même si Esmeralda n'avait pas émis le moindre mot durant la fin du trajet, j'avais senti toute son inquiétude. D'habitude, j'avais toujours quelques difficultés à percevoir les sentiments d'autrui, mais des fois, on ne pouvait pas passer à côté de l'évidence.

Pendant de longues heures, elle avait essayé de dormir. Elle s'était assoupie dans notre semblant de calèche tandis que je tirais les chevaux pour les faire avancer dans l'obscurité.

Le chemin arrivait à son bout quand j'aperçus les lumières de Whitward accompagnées de quelques cris et hurlements au loin. D'ici, cette contrée semblait être un lieu de festivités, peu importe l'heure, et ce ne serait pas totalement faux.

Whitward accueillait tous les rejetés de la société et peut-être que j'aurais dû y aller bien avant... Mais j'ai encore quelques comptes à régler à Downfall.

Je me frayai un passage parmi la foule. Certains me hurlèrent dessus, certains évitèrent de peu de s'écrouler sur mon chemin. Ici, les interdits de Downfall n'étaient pas restrictifs. Ici, on pouvait vivre à notre manière... Mais parfois, cette débauche était assez dérangeante.

Après avoir passé les grandes avenues de la ville, je m'engouffrai dans des ruelles bien plus étroites pour rejoindre le repère de Nuspiiote. Soudainement, l'ambiance n'avait plus rien à voir avec celle au cœur de la ville. Ici, il fallait faire attention à chacun de ses moindres faits et gestes pour éviter les mauvaises surprises. Et étrangement, ce n'était pas si différent que dans certains coins de Downfall. Après tout, la sécurité n'avait jamais rien arrangé dans ce genre de situations.

Arrivée dans un cul-de-sac, je descendis de la calèche et fis signe à Esmeralda de se réveiller. Elle descendit à son tour et, encore une fois, je percevais tout le malaise et la culpabilité qui s'étaient accumulés depuis notre attaque.

— Ce n'était pas de ta faute. Ne te sens jamais coupable à la place d'un démon. Jamais. C'est uniquement ce qu'ils recherchent.

— C'est bien plus facile à dire qu'à faire...

Elle détourna son regard un bref instant puis emboîta le pas vers le grand bâtiment qui n'était autre que le fameux repère. Il était évident qu'elle allait être distante avec moi pendant un bon bout de temps. Jamais elle ne reconnaîtrait qu'elle ne pouvait rien y changer.

Les démons faisaient probablement partie des pires espèces de notre monde. En plus de leur magie aux origines très dangereuses, rares étaient ceux qui n'étaient pas vicieux. Après tout, un de leurs moyens de survivre était d'absorber l'énergie magique de quiconque cédant à leurs illusions. Ils étaient probablement les meilleurs manipulateurs, bien plus que les politiques de Downfall.

En entrant dans le repère, je fus submergée par le bruit et l'ambiance festive du lieu, assez similaire à celle de l'entrée de la ville. Le rez-de-chaussée était bondé de monde et ressemblait fortement à une taverne.

La belle rousse ne se laissa pas atteindre par la foule et poursuivit son chemin. Elle atteignit les escaliers et les monta en ma compagnie. Après avoir marché le long d'un couloir, elle s'arrêta devant une petite porte du même bois sombre utilisé un peu partout ici. Elle frappa et après avoir eu l'autorisation d'entrer, elle ouvrit la porte. Je la suivis discrètement, admirant les courbures de son dos.

Deux gardes étaient de part et d'autre du bureau qui surplombait le bureau, et sur le fauteuil, ce n'était autre que Nuspiiote. Il afficha un grand sourire en croisant mon regard. Il se leva lentement et s'approcha de nous deux. Il prit brièvement les mains d'Esmeralda et la remercia silencieusement. La rouquine lui rendit immédiatement un sourire de gratitude.

Puis le capitaine posa son regard sur moi. Notre alliance allait bientôt prendre fin. Chacun aurait ce qu'il voudrait de l'autre et peut-être que nous ne reverrions plus jamais après ça. Il relâcha alors les mains de ma partenaire et tendit une main vers moi.

— J'espère que tu as rempli ta main du marché.

Je sortis le médaillon de ma sacoche et le lui tendis.

— À vous de remplir votre part du marché, rétorquai-je avec beaucoup de diplomatie.

Il s'empara du médaillon et l'inspecta pendant de longues secondes pour s'assurer que je n'étais pas en train de le duper. Je ne lui en voulais pas d'être méfiant. Après tout, je n'avais jamais eu bonne réputation.

Un bref sourire lui échappa, autrement dit le signe qu'il avait enfin ce qu'il recherchait.

— Ce médaillon est dans ma famille depuis des années. Un précieux héritage qu'on s'est transmis de génération en génération, expliqua-t-il, toujours les yeux rivés sur l'artefact. Le pouvoir qu'il détient est inestimable et c'est bien pour ça que tu fais partie des intéressées.

— Je n'ai pas toujours envie de ramener des morts à la vie, mais cette fois-ci, c'est mon unique moyen de gérer une urgence.

Il se tourna vers moi et son sourire marqua les quelques rides aux commissures de ses lèvres.

— L'urgence qu'est Downfall ? déduisit-il.

— La politique qu'est en train d'installer Downfall doit cesser. Elle doit être complètement revue de zéro... Et je n'ai qu'une alliée qui pourra m'aider jusqu'au bout dans cette lutte, malgré nos quelques désaccords sur certains points.

— Downfall n'est qu'une ville comme une autre en train de s'autodétruire...

— Les plus haut placés de Downfall s'en sortent très bien. Contrairement aux esclaves et à toutes les autres personnes rejetées comme nous. Cette ville est loin de s'autodétruire.

— J'espère que tu sais ce que tu fais...

— Ne t'en fais pas. Je peux même t'assurer venger ton éjection du gouvernement par la même occasion.

Il n'ajouta rien de plus et rejoignit lentement son fauteuil. Ses deux mains tinrent fermement le médaillon tandis qu'il ferma les yeux pour se concentrer.

Si j'avais pu le faire de moi-même, je n'aurais pas hésité. Mais sa famille avait protégé l'artefact par le sang. À moins que nous ayons le même sang, rien ne me permettait de l'activer. Ce n'était certainement pas quelque chose que j'allais reprocher à sa famille ; au contraire, il valait mieux être prévoyant, surtout lorsque Downfall était capable de tout nous prendre.

Ses sourcils se froncèrent de plus et plus, ce qui inquiéta immédiatement les gardes qui s'approchèrent de lui. A priori, il n'y avait rien de grave, mis à part pour moi. Ça n'annonçait pas de bonnes nouvelles et j'allais probablement être déçue.

Lilith n'allait probablement pas pouvoir m'aider pour cette mission. Encore une fois, j'allais sûrement devoir gérer ça toute seule. Ça ne changerait pas de mes habitudes.

Esmeralda commença à s'inquiéter à son tour et elle fit un pas vers le capitaine, hésitant à ouvrir la bouche. Et pendant que tout le monde commençait à céder à la panique, je restais stoïque, prête à encaisser toute mauvaise nouvelle.

Il ne fallait pas non plus s'attendre à un effet immédiat. De nombreux sorciers avaient émis des hypothèses sur le monde d'outre-tombe, mais une d'entre elles était devenue une référence. Pour beaucoup, les âmes quittaient le corps et restaient dans notre monde, juste le temps de disparaître petit à petit. Heureusement, la mort de Lilith ne remontait pas à tant que ça et il était fort probable qu'on puisse la sauver.

Le capitaine ouvrit brusquement les yeux et posa le médaillon sur le médaillon. Dans ce silence pesant, il le fixait sans émettre le moindre son. Esmeralda hésita quelques secondes avant de le rejoindre et posa délicatement sa main sur son épaule. Il lui adressa un simple hochement de tête et ceci sembla suffisant pour la rassurer.

— Qu'est-ce qui n'a pas marché ? demandai-je subitement, voulant rentrer immédiatement dans le vif du sujet.

— Lilith n'est pas morte...

Downfall | TOME 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant