Chapitre 4 : Les hypothèses qu'on croyait

17 2 0
                                    

— Lilith n'est pas morte...

J'avais failli rire sur le coup et prétendre que c'était une très bonne blague de sa part, mais à en voir sa tête sérieuse, mon humour décanta aussitôt.

— Impossible. Je l'ai vue mourir sous mes yeux ! ripostai-je, sûre de moi.

— Je n'ai pas trouvé sa trace dans l'au-delà et elle n'y a jamais été. Je ne peux rien pour toi.

Il se leva d'un bond et j'avançai brusquement d'un pas, suffisamment brusquement pour que les gardes se méfient de moi et s'approchent, juste au cas où.

— Alors, j'ai quoi d'autres comme solutions si elle n'est pas morte ? Elle a fait semblant d'être morte ? l'interrogeai-je, commençant à m'emporter.

— Le cas est plus compliqué qu'on ne le croit. Son corps est bel et bien mort... As-tu déjà entendu parler de la théorie des entités ?

— Bien évidemment... Ce qui rend fou certains sorciers.

— Non, pas cette théorie-là.

J'allais avoir besoin de plus d'explications. Après tout, j'étais à peine étonnée que cette théorie ne soit pas vraiment la bonne. Downfall s'arrangeait toujours pour manipuler la vérité. De plus, leur association avec Pearlburg leur permettait de prouver toutes leurs affabulations. Personne ne remettait en cause les dires de Pearlburg, jamais. On supposait qu'ils détenaient toujours la vérité quoi qu'il arrive.

— Une certaine partie pourrait être vraie, mais elle est très incomplète. Chaque sorcier détiendrait une entité, autrement dit l'essence de ses pouvoirs, ce qui le rend unique et puissant. Mais parfois, certaines exceptions sont présentes...

À en voir le regard sombre qu'il posait sur moi, il en connaissait bien plus sur mon cas que je n'osais le croire. Peut-être que je m'étais fait avoir. Mais le jeu en valait la chandelle grâce aux informations que j'avais pu récolter au palais.

— Certaines personnes ne possèdent pas d'entité. Lilith était dans ce cas.

— Lilith possédait des pouvoirs comme n'importe quel sorcier ! m'écriai-je.

— L'immortalité est le signe d'absence d'entité. Pourquoi ce "pouvoir" aurait-il été considéré comme si puissant et si rare alors ? Parce qu'il n'était qu'une exception.

Je croisai mes bras et essayai de prendre en compte les informations qu'il était en train de me donner. A priori, ce n'étaient censés être que des hypothèses, mais c'était peut-être probablement la seule manière d'expliquer cet échec de résurrection. J'avais vraiment besoin d'en savoir plus avant de me fier à tout ça.

— Sans entité, son âme a pu se retrouver coincée entre deux mondes. Et aucun de ces mondes n'est le monde des morts.

— Et je fais comment pour la sauver du coup ?

Il me fit signe d'attendre, en levant simplement son index, puis se dirigea vers son bureau pour chercher dans une pile de papiers. Il en ressortit une feuille légèrement jaunie qu'il me tendit.

— Cette personne à Hearthallow pourra probablement t'aider. Elle aura sûrement l'élixir qu'il te faut.

Je pris le papier et lus brièvement l'adresse qui y était indiquée.

— Comment un élixir pourrait m'aider ?

— C'est son corps qui doit être réanimé, pas son âme, m'informa-t-il simplement.

— Parfait. Et je suppose que ceci clôt notre collaboration.

Il hocha la tête comme simple réponse. De toute manière, je ne pouvais plus rien tirer de lui et inversement. Nous avions chacun rempli nos conditions et dès que je franchirais cette porte, il redeviendrait un inconnu comme un autre qui aurait croisé ma route.

J'échangeai un dernier regard avec Esmeralda. La belle rousse gardait encore l'empreinte de la culpabilité de son visage. Il était évident que c'était en train de la déchirer intérieurement.

Autant, je n'avais aucune peine à laisser Nuspiiote derrière moi, autant Esmeralda, c'était différent. Même si nous n'avions eu que peu d'échanges durant notre mission, j'avais apprécié sa compagnie, et pas que sa compagnie visuelle.

Alors que je posai ma main sur la poignée de la porte, le capitaine me retint en m'appelant. Immédiatement, je me tournai vers lui, m'attendant à recevoir d'autres conseils de sa part.

— Quand j'ai parlé des exceptions d'entités, j'ai oublié de te parler d'un cas en particulier. Ton cas. Celui où deux entités rentrent en conflit.

— Vous ne savez rien sur moi, rétorquai-je immédiatement.

Je n'avais clairement pas envie de discuter de ce sujet avec lui et j'avais tout fait pour ressembler à une sorcière normale à ses yeux. Mais, visiblement, j'avais échoué. Il avait réussi à trouver des informations compromettantes à mon sujet.

— C'est là où la théorie que tu as énoncée est incomplète. Ne t'es-tu jamais demandé comment tu avais fait pour obtenir autant de pouvoirs ? autant de puissance ?

— Ce n'est qu'une question d'entraînement et de connaissances, prétendis-je.

— Certes, tu avais une entité puissante. Une entité qui a dû se combattre continuellement contre une autre, une entité parasite.

Encore une fois, il sous-entendait qu'il y avait un problème avec elle. Il ignorait à quel point elle avait pu me sauver. C'était grâce à elle que j'étais encore en vie aujourd'hui, grâce à elle que j'avais pu me sortir de Sparrington. Encore une fois, il était totalement ignorant de la situation que je vivais.

— Ton entité principale a pu se renforcer, apprendre à combattre l'adversité face à ce parasite. D'une certaine manière, en effet, tu as eu un meilleur entraînement que la plupart des sorciers... Mais cette force ne durera pas. Les entités parasites finissent toujours par prendre le contrôle si tu ne le reprends pas.

— Ce ne sont pas vos affaires. Nous avions un accord, rien de plus.

Un léger sourire malin se dessina sur son visage.

— Crois que tu es libre pendant que tu le peux encore... Mais si jamais tu changes d'avis, cette même personne à Hearthallow pourra t'aider.

Il était évident qu'il en savait bien trop à mon sujet et qu'avec ces informations, il pouvait me faire passer pour une folle aux yeux de n'importe qui. Après tout, avec mon passé d'esclave et d'anarchiste, je n'avais que peu de chances de faire valoir la vérité.

— Cessez de juger des personnes dont vous ignorez tout le vécu.

Je ne lui laissai pas le temps de répliquer et quittai la pièce en fermant brusquement la porte derrière moi. D'un pas rapide, je rejoignis le rez-de-chaussée où les festivités étaient toujours aussi intenses.

En sortant de la taverne, je sortis le papier de ma sacoche et fixai longuement l'adresse qui y était inscrite dessus. J'étais encore loin d'avoir les réponses à toutes mes questions. Tout ceci ne faisait que commencer...

— Est-ce que tu refuserais un peu d'aide ?

En me tournant vers cette voix féminine, j'aperçus le doux visage d'Esmeralda. Elle tenta un sourire, mais celui-ci avait du mal à se dessiner sur son visage.

— Pourquoi tu voudrais m'aider ?

— Parce que je sais ce que c'est de perdre le contrôle, répondit-elle simplement.

J'aurais pu me méfier d'elle et craindre qu'elle puisse utiliser ce qu'elle savait à mon sujet pour de mauvaises intentions. Mais j'avais clairement envie de lui laisser le bénéfice du doute. Peut-être que la culpabilité la rongeait bien trop pour me trahir.

— Est-ce que tu es au courant qu'une fois que tu rentres dedans, tu n'en ressors jamais ? lui lançai-je pour la provoquer.

— C'est trop tard, je suis déjà dedans.

Alors, simplement, je lui tendis ma main pour l'inviter à me rejoindre.

Downfall | TOME 1 & 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant