- Cecilia !- Ma tante ?
- Viens. Ce jeune homme a une question à te poser.
La jeune femme descendit légèrement les escaliers, un peu intriguée, entra dans le salon et reconnut immédiatement celui qui lui tournait le dos. La vieille dame lui glissa en sortant, comme une complice :
- Je sais très bien que depuis trois mois c'est lui que tu rejoins dès que tu sors, alors ne me fais pas croire que tu as en tête de refuser, ma petite !
Ils restèrent seuls dans la grande pièce remplie de soleil tandis que sonnaient deux heures.
- Ne fais pas cette tête là ! Assieds toi plutôt.
Cecilia croisa son propre reflet dans la glace et constata qu'elle souriait sans s'en rendre compte. Ignazio lui prit la main qu'il caressa légèrement.
- Cecilia Cassoli, ne t'effarouche et réponds moi. C'est très simple. Veux-tu m'épouser ?
Ça y est. Les mots avaient été prononcés, il lui incombait désormais d'y répondre sincèrement. Mais Cecilia avait décidé de sa réponse trois jours auparavant.
Si elle n'avait jamais revu Francisco, son Oui aurait été sans hésitation. Ce n'était pas le cas mais elle allait faire comme lui: continuer sa vie tranquille et ne plus jamais s'humilier devant un égoïste qui ne faisait pas plus de cas de la Cecilia présente que de la Blanca du passé.
Elle allait continuer d'être heureuse, sans lui, car la présence d'Ignazio à ses côtés l'en rendait capable.- Oui, je le veux.
Elle voulait n'avoir aucun regret et pour se le prouver, se jeta dans les bras grand ouverts de son futur fiancé.
Un instant plus tard, elle souriait aux anges devant le diamant passé à son doigt.
La tante revint, les domestiques apportèrent du champagne, on trinqua, on parla beaucoup sans voir le temps passer. Le soir survint alors qu'on ne l'attendait pas, on dîna et lorsque vers neuf heures et demie la tante monta se coucher, Ignazio mit en route le phonographe pour inviter Cecilia à danser.
Mais la sonnerie du téléphone se mêla à la musique et la jeune femme se dégagea en riant de l'étreinte pour y répondre dans le hall.
La voix de son interlocuteur lui parut d'abord inconnue mais lorsqu'elle comprit ce qu'on essayait de lui dire, son sourire disparut.
C'était Julio.- Pourquoi est-ce que vous me dites ça ?
- Parce que cet idiot ne vous le dira jamais lui même, que dans moins d'une heure il est peut-être mort. Et si vous l'aimez il n'y a que vous qui puissiez agir. S'il vous plaît !
- Je suis désolée, je ne vous crois pas. Je ne l'intéresse pas donc ne comptez pas sur moi, bonsoir.
Elle avait raccroché mais sentait déjà qu'elle ne chasserait pas cette boule d'angoisse dans son ventre et cet étau d'inquiétude sourde dans son cœur.
- Tout va bien ma chérie ? appela Ignazio dans l'autre pièce.
Elle rentra en se forçant à sourire, s'assit, prit le verre qu'il lui tendait. Cinq minutes passèrent durant lesquelles elle tenta de retrouver son calme. Mais Ignazio n'était pas aveugle:
- Tout va bien ? Tu es nerveuse.
- Oui, j'ai besoin qu'on aille se promener quelque part. Dans un parc, celui du Retiro par exemple.
- A cette heure ci ? sourit-il. Enfin, allons y si tu en as envie.
Et tandis qu'il lui passait son manteau et sifflait un taxi, Cécilia pensait que malgré sa peur panique de peut-être trouver son Francisco mort, elle ne pouvait pas renoncer à la gentillesse d'Ignazio.
Ils roulaient en silence, dix heures approchaient.
Pourvu qu'ils arrivent à temps. Elle, elle resterait en arrière mais il était certain que si Ignazio voyait un homme se faire attaquer, il interviendrait.
Pourvu que Francisco ne la reconnaisse pas, qu'il ne manifeste rien !
Il lui semblait que ce taxi n'arriverait jamais. Elle se surprit à réciter une prière à la Madone.Voilà enfin le parc. Cecilia saute presque de l'automobile.
Francisco est déjà près de la statue autour de laquelle plus personne ne traîne. Le poids du revolver dans sa poche le rassure. Il va s'en sortir, en finir avec tout cela, arrêter de mentir à Blanca et enfin la retrouver pour toujours. Il ne sent pas que l'observent dans l'ombre les yeux dévorés de jalousie d'une Amaia qui l'a suivi, persuadée d'épier un rendez-vous galant avec la femme dont il lui a dit, l'après midi même, qu'elle est la seule qu'il aime. Mais quand sonne le sixième coup de dix heures, ce n'est pas une femme mais un homme en long manteau sombre, une casquette vissée sur la tête, qui s'approche de lui. Son regard bleu acier transperce l'obscurité pour se planter dans celui de Francisco qui ne scille pas.
Ce soir il a décidé de ne plus avoir peur.- Bonsoir Monsieur Espina, dit l'homme en allumant une cigarette.
- Je ne salue pas les inconnus.
- Excusez moi, je ne crois pas que vous ayez eu le plaisir de m'être présenté. Je suis Thomas Hazas, le neveu de l'homme qui est mort ce matin.
-Qu'est-ce que vous voulez de moi ?
- À votre avis ? Le sang ne se paie que par le sang. Mais pas tout de suite. D'abord vous allez obéir à mes ordres si vous tenez à la vie de vos employés. Ou vous finirez comme cette statue. L'ange déchu, vous voyez?
Francisco remarque en un coup d'œil qu'un couple s'approche d'eux.
- Ne bougez pas, ordonne à Francisco l'homme aux yeux bleus sans se retourner.
- Je ne crois pas que vous m'abattrez devant ces gens.
- Nul besoin de vous tuer pour le moment.
Francisco voit à temps la lame cachée dans la visière de la casquette, évite le coup de justesse.
- Reculez ! Foutez le camp ! crie Thomas Hazas aux passants en menaçant de son revolver le patron du Baccardi.
Mais, vif et rapide, un homme l'attaque par derrière, le renverse au sol. Un coup part en l'air, puis un deuxième. Francisco a dégainé son arme et a tiré.
Cecilia se précipita vers eux. Francisco la reconnut alors, vit Ignazio la prendre dans ses bras et reçut en plein visage le reflet de la lune sur la bague qu'elle portait au doigt.
Dans le noir des bosquets, terrorisée, Amaia s'enfuyait vers une cabine téléphonique.
À terre, l'homme respirait toujours tandis qu'Ignazio courait appeler une ambulance.
Il semblait à Francisco que le coup de de feu résonnait toujours, dans sa tête du moins. Un peu de sang avait giclé sur sa manche et il fixait ces petites gouttes rouges sur le sombre de sa veste.- Tu vas bien ? osa timidement demander Cecilia.
Elle comprit qu'il tremblait autant qu'elle, qu'ils étaient seuls et fit quelques pas vers lui. À leurs pieds, Thomas Hazas ne bougeait plus.
- Que fais tu là Blanca, toi et ton... ton fiancé ? questionna amèrement le jeune homme.
- Julio m'a dit beaucoup de choses, répondit-elle simplement.
- Tu l'as cru ?
- Je ne sais pas. Si cet homme là était mort, s'il n'y avait plus de danger, que me dirais-tu ?
- La vérité, que je t'aime toujours mais que ton Ignazio m'a sauvé la vie, qu'il a l'air d'un homme bien et que je te comprends de lui avoir dit Oui.
- Tu renoncerais comme cela ?
- Tu es déçue ?
- Si tu avais autant changé que tu le prétendais, j'aurais pu t'oublier. Mais maintenant que je sais que c'est faux...
- Tu m'as vu tuer un homme et tu dis que je n'ai pas changé ?
- Je t'ai vu défendre au péril de ta vie l'avenir de ton bar et de tes employés donc je dis que tu es toujours le même.
Ils se turent, déjà Ignazio revenait. Il se pencha immédiatement sur l'homme aux yeux bleus.
- L'ambulance ne lui servira plus.
Et du haut de sa colonne, la statue grimaçante de l'Archange des enfers contemplait le cadavre, le sang, le meurtrier arrêté par la police et le dernier regard des amants.
A suivre
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Francisco I " Que toda la vida es sueño... "#Wattys2019
Historical FictionGagnant Wattys 2019 ! Madrid 1927 Francisco et Blanca étaient des enfants mais la vie les a séparés. Mais quand l'amour, perdu, retrouvé, impossible, se mêle à la vengeance, tout tourbillonne sans que l'on sache ce qu'il en sortira...