Chapitre 15

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Une semaine plus tard, aux environs du Caire.

Le sable brûle partout, en vagues dorées que le vent vient parfois déranger comme pour les redessiner indéfiniment. Son souffle chaud plaque contre leur peaux sèches les longs foulards des Européennes et les fines chemises de leurs maris. Seule la fraîcheur proche du Nil bleuté rend l'air plus respirable. Du village au bord de la rive, s'exhalent des odeurs étranges, des éclats de voix qui finissent par former une musique aux accents dissonants.
S'y mêle, assis sur une pierre orangée, la voix aiguë d'un enfant. Un fez rouge  coiffe ses boucles sombres, une tunique devenue grise d'où émergent son visage brun et ses pieds nus. Il chante sans paroles en contemplant le fleuve et le bateau qui se distingue au loin.
Si lent qu'il lui faudra plusieurs minutes pour dépasser enfin le gamin.

La mélodie s'échappe dans l'air, chaque note s'y noit et y résonne, finalement engloutie parmi d'imperceptibles grains de sable.

Soudain le gamin court vers la rive, voici que le majestueux bateau est tout proche ! Long, haut avec son étage que couronne une terrasse, il glisse lentement dans l'eau de turquoise sablée. Appuyée au bastingage, une jeune femme croise le regard de l'enfant et lui sourit. Une grande capeline blanche cache son carré de cheveux blonds, accordé à la longue et légère robe claire que ceinture une écharpe rose vif dont flottent les pans.
Cecilia détourne la tête de la rive pour fixer plus loin le fleuve qui se déroule.

- Vous aimez ce paysage ? questionne aimablement une passagère à ses côtés.

Mais sans attendre de réponse, la volubile londonienne se lance dans un long discours mi-anglais, mi-espagnol. 

Déjà l'esprit de Cécilia vagabonde, au rythme de l'eau ondulante.

Et si l'inspecteur Luna n'avait pas fait mettre sur écoute les téléphones du Baccardi et ainsi découvert le double-jeu d'Amaia ?
Pauvre fille, séduite un soir par le beau Thomas qui a tout de suite su tirer parti de l'amoureuse dédaigné. Elle a changé de camp sans hésitation.   Pauvre fille oui...

Et si ses amis n'avaient pu la délivrer à temps lorsqu'elle se trouvait à Blanes ?
Les policiers madrilènes amenés par Luna avaient encerclé discrètement la maison. Puis, utilisant Amaia démasquée, l'avaient libérée par la ruse et neutralisé ses ravisseurs.
Ignazio avait hurlé, s'était débattu. Thomas s'était calmement rendu.

Dans le bleu ardent du Nil, Cécilia revoit ses yeux. Comme sa voix s'était changée, comme son regard s'était adouci lorsque, ayant réclamé un entretien avec elle et l'ayant obtenu, étaient sortis de sa bouche les mots les plus innatendus.
Quel homme les prononcerait devant une presque inconnue, sur laquelle il viendrait de perdre tout pouvoir ?
Qui prendrait le risque de les laisser sortir du coeur, adressés à celle qui le détestait sûrement ?
Il avait osé.

*

L'inspecteur avait quelque peu rechigné à les laisser seuls mais finalement on l'avait convaincu. Au fond, Thomas Hazas l'intriguait, il voulait comprendre.
Maintenant, Cecilia et son ex-ravisseur se faisaient face, un policier à l'autre bout de la pièce était prêt à intervenir.

- S'il vous plaît, écoutez simplement ce que j'ai à dire.

Elle leva la tête et accepta d'un geste. Alors, comme par magie, fondit le bleu de glace du regard, le bleu acier et sur le visage anxieux s'épanouit un sourire. Voilà qu'il la regardait, comme pour lire au fond d'elle la réponse à ce qu'il n'avait pas encore dit
Sa main courut le long du bras de la jeune femme, caressa son épaule qui commençait à cicatriser, se posa sur sa joue, ses lèvres.

Francisco I " Que toda la vida es sueño... "#Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant