Chapitre 9

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Huit mois plus tard

La mer était grise, si belle, comme endiamantée par la lumière de cette matinée hivernale. Cecilia arrêta la voiture, sortit son cahier et ses fusains.

- C'est bon ? Tu as trouvé le bon endroit ?

- Oui... cette vue est parfaite.

-  Tu n'auras pas trop froid ? Je peux te laisser mon manteau si tu veux ?

-  Non, non, répliqua t'elle vivement. Vas donc te promener, je suis très bien ici.

Le jeune homme obéit mais, s'éloignant sur la route, se retourna pour crier:

- Au fait, tu conduis très bien !

Cecilia soupira. Est-ce qu'il n'allait pas la laisser dessiner tranquille ! Et cesser de commenter sa conduite alors que lui-même avait toujours à peine su tenir un volant !
Elle observa le paysage comme pour en fixer dans son esprit la perspective et les couleurs, puis commença à esquisser quelques traits. Sa bague la gênait, elle l'ôta et le joli rubis finit au fond de la pochette brodée. Dans une semaine et demie, elle porterait une alliance qu'elle ne pourrait plus enlever, mais elle n'en aurait jamais l'intention !
Sous ses coups de crayon, la mer et les falaises naissaient avec plus ou moins de ressemblance. Mais ce n'était qu'une esquisse qu'elle retravaillerait plus tard à l'aquarelle. Dommage, finalement, qu'Ignazio ne soit pas resté.  Une silhouette au bord de la falaise aurait un peu meublé son dessin.
Mais le Mieux est l'ennemi du Bien n'est ce pas ?
En rangeant à l'arrière sa planche à dessin, un faux mouvement alluma la radio et la voix de la française Josephine Baker se mit à chanter.
Cecilia fredonna en remettant sa bague et ses gants, démarra sans peine et la voiture s'éloigna dans un nuage de poussière dorée. Elle ne tarderait pas à rattraper Ignazio. Mais lorsqu'apparut, au détour d'un virage, la haute façade blanche de l'hôtel, elle n'avait rencontré personne sur la route. Peut-être était-il déjà arrivé ? Il avait toujours été un bon marcheur.
Lorsqu'elle entra dans le hall, le nez encore rougi de froid et les doigts un peu gours, elle ne chercha même pas son ami mais vit immédiatement celui qu'elle attendait, son Francisco.

-  Mais ? Est ce que tu ne devais pas revenir ce soir plutôt ? s'étonna t'elle après l'avoir embrassé.

- Je peux repartir si c'est ce que tu veux, ironisa t'il en feignant de sortir.

- A ton avis ? Espèce d'idiot ! rit elle en l'asseyant de force dans un fauteuil.

Il observa la grâce rapide de la jeune femme tandis qu'elle ôtait son chapeau, son manteau bordé de fourrure et ses gants de cuir blanc. Le sourire satisfait d'un homme comblé par le sort errait sur son visage.

- Regarde, je suis allée dessiner. Bon, ce n'est pas grand chose pour l'instant mais.... je m'améliore n'est ce pas ?

- En comparaison de tes gribouillis de gamine de treize ans ? Oui tu t'améliores ! se moqua t'il.

Faussement vexée, elle tourna les talons pour cacher un sourire involontaire. Depuis quelques temps, il évoquait beaucoup leurs souvenirs d'enfance. Au point, une semaine plus tôt, de l'avoir emmenée dans leur village natal.
Ni l'un ni l'autre n'y avait remis les pieds depuis huit ans, mais rien n'y avait changé sauf peut-être la maison du grand père de Cécilia, grâce à l'argent que Francisco, espérant par là recevoir des nouvelles de sa Blanca, envoyait quelques fois.
Cecilia avait craint de revoir le vieil homme dont l'humeur bourrue et la voix cassée lui faisaient peur mais qui, devenu presque aveugle, ne pourrait pas la reconnaître.
Ils s'étaient présentés comme des curieux venus de Madrid en espérant qu'il entamerait une conversation. Mais il avait grommelé quelque chose dans sa barbe en refermant la fenêtre.
Cecilia avait lentement retenu des larmes de déception et de culpabilité.

Francisco I " Que toda la vida es sueño... "#Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant