Chapitre 2

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La robe était verte, non pas de ce vert à la mode, étincellant et sombre mais d'un vert pâle et profond qui lui rappelait les coques des amandes de son village, qu'elle ramassait étant petite avec sa mère et ses tantes.
Cela faisait longtemps que Cecilia n'y avait pas pensé.
Lentement elle noua sa ceinture dorée, ajusta son bandeau sur ses courts cheveux blonds et s'assit sur le lit. Lentement elle laissa resurgir le fantôme d'une gamine de treize ans qu'on appelait Blanca.

Elle était morte le jour où elle était rentrée dans cette maison, le jour où elle avait été adoptée par le riche Monsieur Cassoli.
Ce jour là, Cécilia était née.

En huit ans elle était devenue une demoiselle de la bonne société madrilène en possession, après la mort de celui qui avait plutôt été son grand-père adoptif, d'une fortune raisonnable et accompagnée d'une vieille dame charmante mais protectrice qu'elle avait l'habitude d'appeler sa tante. Elle avait réussi à ne jamais recroiser personne de son ancienne vie, personne.

Cecilia était sortie cet après midi afin de voir Ignazio puis elle avait feint d'être malade et de dormir lorsque la vieille dame était rentrée. Celle-ci avait ordonné aux deux domestiques de ne déranger sa nièce sous aucun prétexte.

La pendule venait de sonner dix heures et la maison n'était pleine que de silence. La chambre de Cécilia n'était qu'au premier étage : descendre par la fenêtre ne lui faisait pas peur. Depuis quelques heures elle redevenait Blanca et Blanca savait sans doute parfaitement le faire.
Elle ouvrit les volets, sortit sur le balcon, les referma avec soin, lança ses chaussures et son sac dans le jardin avant d'enjamber la balustrade. Cinq minutes plus tard un taxi l'emmenait vers le centre ville.
Cecilia n'était jamais rentrée seule, en pleine nuit, dans un bar mais Blanca en avait rêvé tandis que, petite fille, elle écoutait à travers ses volets la musique du café du village. Avait-elle raison de faire cela ? De réveiller le passé au moment même où le présent lui souriait ?
Un instant elle pensa renoncer, commander au chauffeur de faire demi-tour. Mais il était trop tard, l'automobile s'arrêta devant le Baccardi. Cecilia paya, respira profondément et entra.

Le bar était plein de monde et de fumée. Sur une scène éclairée de lumières colorées des danseuses esquissaient quelques pas sur un air de jazz. Les serveurs se frayaient un chemin entre les clients. Un étage circulaire orné d'un balcon faisait le tour de la pièce.
Cecilia sentit un regard transpercer son dos. Si quelqu'un la reconnaissait et le racontait à sa tante ? Elle faillit renoncer une deuxième fois. Elle se sentait laide et insignifiante au milieu de ces femmes en robes scintillantes, maquillées avec art et dont certaines n'avaient pas peur de fumer comme des hommes.

- Serveur ? Une coupe de champagne s'il vous plaît.

Elle avait reprit un peu de courage en commandant. Une fois servie, elle monta à l'étage et s'accouda au balcon. Elle ne songeait plus à partir, elle devait trouver Francisco.

Les minutes passèrent tandis qu'elle observait chaque recoin de la salle. Sans succès. Elle reconnut certains de ses amis mais nulle trace du jeune homme qu'elle cherchait.

- Mademoiselle ?

Un serveur lui faisait face et lui présenta un verre.

- Mais je n'ai rien commandé, s'étonna t'elle.

- C'est de la part du patron, Don Francisco.

Elle tressaillit.

- Où est-il ? Il faut que je lui parle.

Le serveur esquissa un sourire.

- Il vient de partir en voiture. J'ignore s'il reviendra avant demain matin.

- Je l'attendrai. Je veux lui parler.

Le serveur parut étonné de son insistance. Cecilia ajouta d'un ton léger:

- Il faut au moins que je le remercie pour cette... cette ? De quelle boisson s'agit il exactement ?

- Un cocktail Baccardi, Mademoiselle, répondit le serveur avant de s'éloigner.

Tout en continuant son service, il observa la jeune femme. Francisco lui avait ordonné, lorsqu'elle semblerait fatiguée, de l'emmener dans son bureau et de la laisser s'endormir dans un fauteuil. Le jeune homme passa sa main dans les vagues de ses cheveux bruns. Cela ne lui ressemblait pas, au patron, d'offrir un verre plein de somnifère à une cliente.
Il était d'ailleurs temps d'intervenir, la jeune femme avait bien dû bailler trois fois en quelques minutes. Il s'approcha d'elle:

- Si vous voulez parler à Don Francisco, peut-être préféreriez vous l'attendre dans son bureau ? Vous semblez fatiguée...

Cecilia eut un charmant sourire:

- Merci, vous êtes observateur.

- Un bon serveur se doit de l'être, Mademoiselle. Si vous voulez bien me suivre.

Une minute plus tard ils entraient dans le bureau.

- Asseyez vous là. Si vous vous endormez et que le patron rentre, je viendrai vous réveiller.

- Vous êtes sûr que je peux ? Je ne voudrais pas vous causer d'ennuis. En tous cas, merci ?

- Je m'appelle Julio. Pour vous servir, Mademoiselle, sourit-il avant de sortir.

La pièce n'était pas très grande et seulement éclairée par une lampe de table que l'on avait laissée allumée. L'unique fenêtre donnait sur une petite cour sombre.
Rien ne traînait, tout était impeccablement en ordre. Cela n'étonna pas Cecilia, Francisco n'avait donc pas changé. Une vague odeur de cigarette flottait dans l'air. Elle voulut se pencher vers le bureau pour observer quelque chose mais elle sentit ses yeux se fermer. Avant de s'endormir, elle eut le temps de respirer l'odeur particulière du vieux fauteuil de cuir où elle se laissa tomber.

Quelques quinze minutes plus tard, Julio l'observa par le vitrage de la porte. Il était minuit, Francisco n'allait pas tarder à arriver.

Drôle d'histoire tout de même. Qui pouvait bien être cette fille ? Il ne l'avait jamais vue auparavant. Enfin...ce n'étaient pas ses affaires.

- Julio ? Elle est à l'intérieur ?

Le serveur et le patron se firent face. Au bout du couloir, un grand miroir renvoyait l'image de deux jeunes hommes assez semblables, grands, bruns, l'un avec les cheveux ondulés tandis que l'autre les avaient plaqués en arrière. Francisco ne devait être plus vieux que d'un ou deux ans.

- Oui, elle est là. Veux-tu que je la réveille ?

- Surtout pas. Appelle un taxi et laisse moi seul.

Francisco entra en fermant soigneusement la porte derrière lui. Dans la pénombre, il alluma machinalement une cigarette puis s'accroupit près du fauteuil où reposait la jeune femme.
Enfin...
Doucement il passa ses doigts sur les cheveux blonds. Autrefois ils bouclaient sur ses épaules.
Il caressa lentement son bras puis retira sa main.

- Va t'en Blanca... Va t'en, sembla t'il lui murmurer.

L'endormie laissa entendre un léger ronflement. Francisco sourit franchement. Elle n'avait donc pas changé !
Il la prit dans ses bras. Le somnifère qu'il lui avait donné était très léger. Elle se réveillerait dans une heure tout au plus.

- Julio ? Et ce taxi ?

- Il attend dans la rue de derrière.

Francisco sortit avec Cecilia dans ses bras par une porte de service. Il n'y avait personne d'autre dans la rue que le taxi.
Il la déposa à l'arrière, tendit des billets au chauffeur.

- Cette jeune femme dort. Elle se réveillera dans une heure. D'ici là, roulez jusqu'à l'autre bout de la ville. Lorsqu'elle se réveillera, emmenez là où elle voudra. Sauf ici.

Tandis que le taxi s'éloignait Francisco soupira. Elle reviendrait, il en était certain.

A suivre

Francisco I " Que toda la vida es sueño... "#Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant