Chapitre 5

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Leur premier baiser avait maintenant vingt quatre heures.
Mais vingt quatre heures aussi qu'ils ne s'étaient pas revus. Ignazio maudit intérieurement la vieille tante. Si elle pouvait seulement se montrer plus arrangeante ! Enfin, pour ce soir elle avait visiblement décidé de ne plus jouer les duègnes et de laisser Cecilia sortir avec lui.
C'était fou à quel point cette fille lui plaisait! Elle lui avait plu dès le premier jour avec sa réserve et son air mystérieux, son passé dont elle ne parlait jamais et sa marche dansante. Elle était belle, attirante par cela même qu'elle s'était montrée difficile à conquérir. Elle était toujours ainsi, proche et lointaine, jamais acquise.

- Ignazio ?

Élégante comme toujours. En la voyant, des dizaines d'adjectifs lui venaient à l'esprit, il aurait pu passer des heures à tenter de la décrire précisément. Mais les mots restèrent, comme toujours, bloqués dans sa gorge et il ne fut capable que de l'embrasser. Il cru sentir sur ses lèvres que quelque chose n'allait pas mais chassa vite cette pensée. Elle était avec lui, elle souriait.

- Comme ça, ta tante te permet de sortir ?

- À vrai dire je ne le lui ai pas demandé ! Elle est malade depuis tout à l'heure et les domestiques m'ont promis de ne rien dire de mes sorties. De toutes façons, je n'ai pas quitté la maison de l'après-midi, mentit Cecilia.

- Il était temps que tu sortes alors, ma pauvre petite prisonnière ! rit le garçon en entrelaçant leurs doigts.

Ils partirent en taxi. Le temps était moins beau que la veille, le ciel déjà bien plus sombre et plus maussade, l'air plus humide. Un léger vent se levait.
Ignazio observait les rues comme un enfant tandis que Cecilia l'observait lui. Dès le premier jour, elle avait compris à qui elle avait affaire.
Un conquérant qu'il faudrait faire attendre, espérer et désespérer pour qu'il en sorte un sentiment profond. Depuis leur première rencontre, durant l'enterrement de Monsieur Cassoli, il la faisait se sentir plus heureuse qu'elle ne l'avait été en huit ans. Il ne serait jamais le plus attentionné, le plus délicat des hommes mais il savait la faire rire.
Et Francisco venait de lui faire tant de mal...
Le taxi s'arrêta. Cecilia ignorait où ils se trouvaient car il faisait presque nuit.

- Où m'emmènes tu ?

Ignazio l'embrassa mystérieusement et chuchota:

- C'est une surprise. Ferme les yeux...

Elle obéit sans se faire prier tandis qu'il l'aidait à descendre de l'automobile. Ils devaient être dans une rue animée, elle percevait des bruits de conversation, des relents de musique et une étrange odeur de tabac. Ignazio l'entraînait toujours. À un moment elle cru tomber et poussa un petit cri mais il la soutint en riant.

- Ne trichez pas Mademoiselle Cassoli ! Ou je vous ramène à la maison sans surprise!

Elle sentit une lumière plus vive sur ses paupières closes, le brouhaha et la musique se firent plus intense. Ils étaient donc dans un bar.

- Ouvre les yeux, glissa Ignazio derrière elle, le menton sur son épaule, les bras autour de sa taille.

Elle cligna des paupières. Lorsque des petits points dorés se furent dissipés de sa vue, elle réalisa soudain qu'elle se trouvait précisément à l'entrée du Baccardi.
Évidemment ! Il avait fallu que, de tous les bars de Madrid, il choisisse celui-ci !
Elle joua avec quelque peine la surprise de sembler découvrir cet endroit. Son ami commanda deux cocktails tandis qu'elle suppliait du regard Julio de ne pas la reconnaître.

Pour le moment, nulle trace de Francisco. Ayant balayé la pièce et l'étage des yeux, Cécilia respira plus calmement. Elle l'avait à la fois redouté et espéré, ne lui pardonnant pas ses mots injustes et cruels. Mais il en faudrait plus pour la décourager.

Francisco I " Que toda la vida es sueño... "#Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant