Survivre

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Une ville entière s'étale à mes pieds ou du moins les vestiges d'une immense ville. Les rares immeubles qui pourraient témoigner d'une époque de paix sont dépouillés de leurs fenêtres. Simples carcasses au milieu des routes éventrées voilà ce qu'il reste de notre gloire passée. Le ciel couvert d'une couverture grise laisse un éclair percé les nuages de poussières et de cendres. L'orage menace.

Lasse, je lâche un soupir et attache mes boucles émeraudes en une queue de cheval haute avec un morceau de tissu que j'ai arraché d'un ancien tee-shirt ensanglanté. J'attrape mon sac, un vieil assemblage de textiles aux couleurs sales fabriqué de mes mains, et le mets sur mon épaule droite. J'ajuste mon arme favorite, un fouet de cuir noir écaillé par le temps et la chaleur, à ma ceinture avant de me diriger vers l'immense cité détruite.

Après avoir dévalé la haute colline couverte de roches et branches sèches je me retrouve sur une route striée de fissures. Le béton éclate et fond sous la chaleur ambiante, la vie quitte petit à petit les lieux et les rares touffes d'herbes qui s'essayent encore a pousser sont grillées. Plus rien ne peut pousser après les six ans de guerre que vient de subir la planète entière.

Une main posée sur la garde de mon fouet je continue de m'avancer. Un panneau indiquant Seattle pend vers le sol, il témoigne à lui seul de la situation de la ville. Cherchant dans mes souvenirs, déjà trop nombreux pour une jeune femme de vingt ans, je ramène la voix de ma mère vers la surface. Son doux chant, qui me hante même en rêve, me parle de Seattle, c'est une des dernières villes de États-Unis à ne pas avoir subi l'attaque d'une bombe nucléaire et aussi la ville de naissance de ma génitrice. À cette pensée une grimace étire mon visage, qui dit ville ayant subi peu d'attaques nucléaires dit ville dangereuse. Ma prise se resserre autour de mon fouet alors que j'ajuste mon sac sur ma deuxième épaule. Je vérifie d'un regard que mes lacets sont solidement attachés et continue de m'avancer en réduisant presque au silence le moindre de mes pas. J'ai rapidement appris à me faire discrète dans ce monde dévasté.

Une mèche d'une couleur surnaturelle tombe devant mes yeux de la même couleur me faisant détourner le regard pendant une seconde. Une seconde d'inattention qui n'échappe pas à un des rares habitants peuplant encore la Terre. Il fonce vers moi d'une démarche bancale, une de ses jambes est d'une maigreur maladive alors que l'autre est enflée et suinte d'un liquide vert. Je sors immédiatement mon fouet et le fait claquer sur le sol pour le maintenir à distance, je ne suis pas d'humeur à tuer inutilement. Son regard fou ne s'arrête même pas sur mon arme et il continue de s'avancer vers moi de sa course boiteuse. Je prend une fraction de seconde pour juger de son état et remarque sans peine son bras droit qui se décroche peu à peu de son épaule au fil de ses pas. Je l'attrape avec mon fouet et l'arrache d'un geste sec. Il ne réagit même pas malgré le flot de sang boueux qui s'échappe de sa blessure, il est bien plus atteint par les radiations qu'il ne le laisse paraitre au premier abord. Il ne lui reste plus qu'un mètre et il sera en capacité de m'effleurer. Sentant une boule prendre place dans ma gorge je dégaine ma deuxième arme, une dague couverte de sang écaillé. Sans un bruit elle glisse hors de son fourreau et tranche la gorge du mutant avant qu'il ne comprenne ce qui lui arrive. Dans un dernier râle bestial il s'effondre, une ligne tracée sur sa gorge brûlée s'éclaire d'une couleur marron. Je range mes deux armes mais me fige quand j'entends un bruit insistant résonner dans la ville. En position de défense je fais appel à tout mes sens et perçois que le bruit est un applaudissement qui vient de derrière moi et qui se rapproche dangereusement. D'un même mouvement je ressors mon fouet et me retourne prête à le faire claquer sur la peau de l'inconnu, pourtant la vue d'une tignasse verte émeraude me déconcerte et mon fouet se contente de gifler le béton avec violence. Devant moi se tient un jeune homme d'une vingtaine d'années, ses yeux et sa chevelure émeraude, semblable à la mienne, sont la marque des immunisés. Je reste figée attendant de voir ce qu'il compte faire. Nous nous fixons en chiens de faïence, étudiant méticuleusement un potentiel adversaire. Un pistolet repose sur son flanc et plusieurs dagues de lancer brillent au soleil, une immense hache de bucheron repose au milieu de son dos, il est bien armé. Sentant clairement que je suis la moins bien équipée je renforce ma position, prête à bondir au moindre mouvement suspect. Pourtant il ne fait rien se contentant de me fixer avec un sourire satisfait ce qui m'irrite au plus au point. Son attitude de désinvolture me fait penser qu'il ne me considère pas comme une potentielle menace ce qui fait naitre une colère sourde dans mon estomac. D'un geste nerveux et incontrôlé mon fouet claque une nouvelle fois le sol le forçant à baisser le regard pendant une fraction de seconde. Quand il relève son visage il plonge ses yeux dans les miens, nos pierres précieuses s'affrontent, acérées par les années de survie. Pourtant là où mon regard brille de colère, le sien est éclairé par une lueur amusée qui me déplait. Son sourire n'a pas quitté son visage ce qui me pousse à briser le silence.

- Retire ce sourire de ton visage si tu ne veux pas que ma dague le fasse pour toi.

Il a alors une réaction qui me laisse stupéfaite, il rit d'un rire clair et limpide qui me force à me retrancher derrière mes dernières barrières mentales. Il se stoppe mais son rire continue de résonner dans la ville et dans mes oreilles.

- Enchanté aussi, réplique-t-il avec son éternel sourire insolent.

Je conserve ma posture de défense et le fixe cherchant la moindre faille pour l'attaquer. Voyant que je ne compte pas me détendre il soupire d'exaspération.

- Je ne compte pas t'attaquer alors range tes crocs jeune louve.

J'hésite un instant avant de me redresser en une posture plus droite et de ramener le bout de mon fouet à mes pieds sans pour autant le ranger.

- Que veux-tu ? je demande encore méfiante.

- Faire connaissance, répond-t-il simplement en tendant sa main vers moi. Je m'appelle Chris.

Ses yeux me dévorent, guettant ma réaction. Moi je fixe sa main tendue hésitante, puis-je lui faire confiance ? Ses cheveux ne me trompent pas, il est comme moi mais j'ai déjà rencontré quelqu'un de mes semblables qui sont morts par ma main après avoir essayé de me tuer dans mon sommeil. De plus son attitude m'irrite et m'intrigue à la fois ce qui m'effraye, je n'ai pas le droit de me laisser amadouer aussi facilement par le premier inconnu venu.

- Sophie, Claire, commence-t-il sous mon regard stupéfait. Julie. Ah non je sais ! Barbara !

- Della, fis-je sans pouvoir me contrôler espérant secrètement le faire taire.

Il me fixe victorieux mais garde sa main tendue.

- Je me suis présentée, tu peux baisser cette main.

- Je veux que l'on s'entraide, qu'on soit alliés.

Sa phrase me fait pâlir, le dernier auquel j'ai fais confiance est mort sous mes yeux, se sacrifiant pour moi quand j'étais encore à peine âgée de 12 ans. Son souvenir, bien que lointain, est toujours aussi violent. Fermant les yeux un bref instant pour chasser l'image de sa tête qui roule à mes pieds et des mutants qui se jettent sur son corps sans vie, j'oubliai mon opposant. J'effaçai le souvenir et replongea dans l'émeraude de ses yeux tentant de savoir quel type d'allié il peut être. Il a l'air débrouillard et ne semble pas me vouloir de mal mais j'ai appris à me méfier de tout le monde. Une fille seule sur une Terre dévastée a de quoi attirer tout les types d'hommes. Sa main toujours tendue m'invite à le rejoindre, à unir nos forces. Je pose le pour et le contre pendant quelques infimes instants avant de me rendre compte que l'aventure me tente bien et que si cela devait déraper je saurai éliminer la menace. Je range lentement mon fouet à ma ceinture sans le quitter des yeux et m'avance d'un pas déterminé avant de lui serrer la main avec force, cherchant à lui montrer que je ne suis pas qu'une gentille fille en détresse, bien au contraire.

- Ravi de faire affaire jeune louve.

Le surnom fait naître, pendant un instant, l'ombre d'un sourire sur mon visage, bien pâle comparer à celui qui brille sur sa face.

- De même petit gnome.

Sans pouvoir expliquer d'où venait ce surnom je le regarda rire.

- J'aime bien, souffla-t-il en lâchant ma main, son sourire au coin des lèvres.

Il se mit à mes côtés et, après avoir refréné mes réflexes qui voulaient lui trancher la gorge, nous nous avançâmes dans les rues de Seattle côte à côte.


Couleur : Émeraude

Objet : fouet

Prénom : Della

Époque : 21ème siècle

Chiffre : 6

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 05, 2019 ⏰

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