Dans la cité flottante

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Aujourd'hui il s'appelle Arthur, demain ce sera Milo et hier c'était Lino. Chaque jour c'est un nouveau visage qui se retrouve sur ma gondole, un nouveau nom et une nouvelle histoire. Chaque jour je les guide à travers la belle ville de Venise, au fil des canaux je le mène dans un monde de couleurs. Le bruit de la foule englouti notre présence, seul le regard de quelques enfants s'attardent sur nous. Leurs yeux écarquillés dévisagent mon passager du jour, ils doivent se demander innocemment pourquoi, au milieu de ces couleurs, une tâche noire occupe ma barque. Mon compagnon du jour, silencieux et morose, pourrait affecter le monde bouillant de vie si l'on s'attardait sur lui. Mais comme tout les autres c'est un solitaire, pas de famille, pas d'aventures. Je suis le seul à savoir qui il est, le seul présent en cette journée, une journée symbolique devenue d'une triste banalité pour moi.

Bientôt la foule disparaît alors que j'emprunte un canal bordé de maisons délavées, au bout un homme de haute stature nous attend. Je sens son regard dévorer la silhouette dans ma barque, aspirant le peu d'humanité qui lui restait dans ses deux billes d'un bleu lasse.

J'arrive en fin de l'étendue d'eau sale et j'accoste, laissant l'homme remonter mon voyageur du jour et le guider dans le bâtiment derrière lui. J'attends alors qu'ils reviennent, assis dans ma gondole je fixe le ciel parsemé de peluches aux teintes claires. J'imagine la vie de mon voyageur me perdant peu à peu dans une fiction qui se rapproche d'une triste réalité.

Le temps file et, lorsque la première étoile se met à briller au détour d'une maison, l'homme ressort avec une boîte entre les mains. Il la dépose au creux de mon embarcation et s'en va sans un mot.

Au milieu de la nuit je quitte la rue, empruntant le chemin du matin. Les couleurs vives et les éclats de voix ont laissé place au calme accueillant d'une nuit d'automne. Je brise les rares remous en enfonçant ma rame au fond des flots obscurs. Bientôt j'arrive près du port et les maisons laissent place à de multiples mâts bercés par la brise. Au milieu des navires ma gondole fait défaut mais je continue d'avancer jusqu'à la limite. Ma rame ne touche plus le sol alors je m'arrête en fixant l'horizon. Le vent balance mon embarcation tandis que je me lève et attrape la boîte qui trainait au fond de ma chaloupe. Tenant en équilibre au milieu des flots j'ouvre la boîte et, sentant un vent plus fort arriver, la renverse. La poussière guidée par le vent s'échappe de son habitacle. Levant les yeux vers la Lune, fondu au milieu des nuages, j'inspire un bon coup.

— Bonne nuit Arthur.


Couleur : Noir

Chiffre : 1

Ville : Venise

Objet : Rame

Prénom : Arthur

Époque : 21ème

Quand les Mots s'alignent (Recueil d'OS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant