1 - Dissonance

Chapitre 2 Partie 1

Je fixais le paysage sans le voir, contrariée de m'être ainsi laissé aller. Depuis que j'étais devenue une Fille d'Odin, j'avais assisté et commis des actes horribles, et aucun ne m'avait jamais incommodée. Les rares épisodes de ma vie qui m'aient déstabilisée concernaient l'amour. Je n'arrivais pas à concevoir le lien qui unissait les gens, et dépendre de quelqu'un m'effrayait. Mon malaise enterré, mon énergie se rééquilibra. J'étais redevenue opérationnelle et égale à moi-même. Froide, calculatrice et le cœur fermé. Aujourd'hui, je me rends compte du chemin que j'avais à parcourir...

— Tu m'as impressionnée, tout à l'heure. Tu n'as pas eu peur ? me demanda Sylvia en reposant sa main manucurée sur le volant.

Pas une seule seconde...

— Oh que si ! Mais je ne voulais pas risquer que ça dégénère. En les observant, j'ai su que j'arriverais à les désarmer sans faire de victime.

— Il fallait les avoir bien accrochées pour les attaquer comme tu l'as fait ! Moi, je n'aurais jamais osé. Où as-tu appris à te battre comme ça ?

J'étais partie pour révéler mon lourd secret, le mensonge au top du classement, tous genres confondus. J'enfilai mon masque de victime encore sous le choc, et j'attaquai ma ritournelle.

— J'ai subi une violente agression où on m'a laissée pour morte, en pleine rue, gisant dans mon sang. Quand j'ai repris connaissance à l'hôpital, je me suis promis de faire ce qu'il faudrait pour que ça ne se reproduise plus jamais. À la fin de ma convalescence, j'ai cherché des techniques d'autodéfense, et j'ai suivi des cours de krav maga.

— Je ne connais pas, me coupa Sylvia, ses épaules se haussant.

— C'est une discipline tchèque qui mêle la boxe, le jiu-jitsu et le muay-thaï. C'est l'art martial idéal pour les situations d'urgence. Sa pluridisciplinarité nous permet de nous adapter quels que soient l'attaque et l'agresseur.

— Tu as dû la pratiquer durant des années pour acquérir de tels réflexes.

— Non. Tu n'as pas besoin d'être Rambo. L'apprentissage est surtout basé sur la rapidité d'exécution. Au bout d'un moment, ça devient naturel. Les gestes théâtraux sont inutiles. Tu vas à l'essentiel : analyser, désarmer et immobiliser.

— Je veux bien te croire, mais pour le premier, tu as utilisé autre chose. Il dormait encore quand les flics sont arrivés ! ricana-t-elle en passant une mèche rebelle derrière son oreille ornée d'une boucle en diamant.

— J'ai appuyé sur des points d'acupuncture afin de le plonger dans un état comateux. Il se réveillera de lui-même, d'ici deux ou trois heures.

— Trop génial ! (Ses yeux s'écarquillèrent comme ceux d'une gamine le matin de Noël.) Pourras-tu m'apprendre ?

Son enthousiasme densifia son aura, qui frictionna la mienne. Je soupirai et me répétai en boucle : « Tu dois paraître la plus banale possible, et être sympa ! Fais un effort, c'est pour la bonne cause. »

— Tu envisages d'endormir les clients trop chiants ? plaisantai-je.

— On ne sait jamais, si je me fais attaquer par un vam...

Elle se raidit et ses mots s'arrêtèrent. Le véhicule réalisa une embardée sur le bord du terre-plein, son inquiétude marquant son visage.

— Un souci ?

— Une mauvaise prise au vent. J'ai oublié ce que je disais. (Elle se racla la gorge.) Ah oui ! Je finis souvent tard, le soir. En rentrant chez moi, je croise des types louches. Ça me serait utile, surtout que tu les as immobilisés si vite ! insista-t-elle.

— Je t'apprendrai deux ou trois prises rapides et efficaces quelle que soit la nature de ton assaillant.

— La nature...

Un de ses sourcils s'arqua et ses mains comprimèrent le volant.

— Ce n'est pas pareil si c'est un drogué, un type éméché, un baraqué de deux mètres ou un nabot rigolo, ajoutai-je.

Elle s'esclaffa. J'avais réussi à faire preuve d'humour... bien qu'une amélioration s'avérât indispensable. Chacun ses talents ! Je n'avais jamais eu besoin de faire rire les gens pour les abattre.

— Nous sommes arrivées, me coupa-t-elle en me montrant un grand édifice en pierre blanche.