1 - Dissonance

Chapitre 2 Partie 2

Nous nous dirigeâmes vers les urgences, sur l'aile droite de l'hôpital de Rodez. Après avoir rempli un formulaire à l'accueil, nous rejoignîmes les patients, trop nombreux à mon goût, dans une salle d'attente exiguë. Les services hospitaliers français n'étaient pas connus pour leur rapidité de traitement, et je n'avais qu'une broutille comparée à d'autres. Je pestais de devoir attendre durant des heures, notamment si Sylvia poussait le savoir-vivre jusqu'à patienter avec moi. Je m'étonnais de percevoir l'empreinte énergétique d'un macchabée avec persistance. Peut-être qu'un nouveau blessé venait d'être attaqué, mais c'était étrange. Un médecin d'une trentaine d'années s'approcha et me prit rapidement en charge en étudiant mon dossier. Son regard bleu était anormalement glacé, autant que son cœur. Tiens, tiens... même à l'hôpital. Il devait bosser depuis un moment au vu de l'heure qu'il était. Je n'avais jamais rencontré de vampires diurnes. Normalement, la journée, ils restaient sagement dans leur repère. Cette bourgade me réservait de nombreuses surprises : un membre de la CAM chez les flics, un macchabée urgentiste. Quoi d'autre ? Un troll instituteur...

— Salut, Sylvia. Mademoiselle Robinsun, est-ce bien ça ? me demanda le docteur Scully, d'après le badge épinglé sur la poche de sa blouse blanche.

Sylvia côtoyait les grands méchants loups que je cherchais. De mieux en mieux, je jubilai intérieurement. Aurais-je de la chance, pour une fois ? La serveuse lui rendit un sourire crispé et demeura à ma gauche, les bras serrés sur son ventre.

— Marion Robinsun. Docteur Scully... vous vous camouflez bien, ironisai-je avec malice.

La tension devint palpable. Il dévisagea Sylvia, prise de panique. Sa peur picota ma peau.

— Je vous demande pardon ? répliqua-t-il en me fixant droit dans les yeux.

— Vous êtes un agent du gouvernement sous couverture... X-Files, la série ?

En une seconde, ils se déridèrent. Je ris toute seule. La tête qu'ils faisaient ! D'un autre côté, il existait des pseudonymes plus passe-partout.

— C'est Scully, de la famille du physicien, mais je vous pardonne. Je rencontre plus souvent des fans de la série que des férus de sciences physiques. Marlan suffira, ça évitera toute comparaison, bien que Scully ait beaucoup de charme ! poursuivit-il avec un sourire franc et un clin d'œil. Votre dossier mentionne que vous avez été blessée lors de l'attaque d'une banque en tentant de désarmer les braqueurs ? s'étonna-t-il.

Sylvia paraissait apeurée, ce qui s'avérait une bonne chose. Elle avait conscience de la dangerosité des monstres qu'elle fréquentait. Marlan possédait une certaine influence dans la hiérarchie pour l'effrayer à ce point ou bien était un sadique, comme beaucoup d'entre eux. Il m'invita à m'allonger sur une table recouverte d'un drap en papier.

— Appelez-moi Marion. Nous faisions partie des clients de la banque, et Sylvia m'a gentiment proposé de me conduire jusqu'à vous. Pardon, jusqu'aux urgences, minaudai-je.

Mes yeux bleus dans les siens, un sourire enjôleur illumina son visage. J'arriverais peut-être à entrer chez eux plus vite que prévu, finalement. Marlan attrapa une paire de ciseaux et découpa avec précaution mon jean, de la cheville jusqu'à mi-cuisse, pile sous la naissance de ma cicatrice. Son regard interrogatif alterna de la blessure à ma tête. Le froncement de ses sourcils dévoila une partie de sa conversation interne. Pour un monstre, ses expressions illustraient un tas d'émotions contradictoires. Deux possibilités : soit il avait peaufiné son personnage jusqu'à mimer les tics de faciès humains, soit il était jeune et avait encore gardé ses propres expressions. Les macchabées m'avaient davantage habituée à arborer un masque de prédateur ou inexpressif. J'optais pour l'expérience et le contrôle de soi. Ce cher docteur maîtrisait parfaitement les appels du sang, sans quoi il se serait jeté sur moi au vu de la quantité d'hémoglobine qui maculait ma jambe. L'état de mon tibia ensanglanté souleva des questions.