Chapitre 4 Partie 3

93 12 0
                                    

À la suite de Bumpkin, nous gravîmes un escalier au linoléum bleu élimé jusqu'à un des bureaux. Sa vétusté semblait similaire au reste de la gendarmerie. Le maire et le brigadier s'installèrent face à moi.

— Commençons par le début, attaqua-t-il en ouvrant son ordinateur portable.

Je détaillai le déroulement des évènements jusqu'à leur arrivée. Mes réponses eurent l'air de le satisfaire. Elles corroboraient celles des autres victimes de la prise d'otages. Tabasco se contenta de m'observer, un sourire en coin et les avant-bras sur la table rectangulaire. Je l'intriguais et, à l'instant où je me levais, il se décida enfin à s'exprimer.

— Avant que vous ne partiez, j'aimerais savoir où vous avez appris à vous battre.

Mon masque de chien battu en place, j'énonçai le mensonge que j'utilisais à chaque fois, en modifiant la ville en fonction de la localité où je me trouvais. Ça faisait moins de paperasse à trafiquer à Eddy, mon pilier. J'inspirai avec exagération.

— Je rentrais du travail quand trois types m'ont agressée. Ils m'ont frappée et laissée pour morte dans une ruelle. J'ai eu la chance que des passants m'entendent et préviennent les secours. Durant ma convalescence, je me suis promis que jamais plus ça ne se reproduirait sans que je puisse me défendre. J'ai cherché une pratique efficace.

— Vous êtes formée en quoi ? Boxe thaï ? renchérit le maire.

Krav maga, plus complet.

— Ça explique la technique, mais vous avez eu un sacré sang-froid ! insista-t-il.

— J'ai eu de bons instructeurs, et j'ai toujours su garder la tête froide, appuyai-je d'un clin d'œil. Brigadier Bumpkin, vous faut-il autre chose ?

— Pour l'instant, c'est bon, vous pouvez y aller.

Je les quittai sur le palier de l'escalier. Bumpkin avait l'air d'avoir encore plein de choses à dire à monsieur le maire...

                                                                                      * * *

Une fois à l'extérieur, je perçus l'empreinte énergétique de Carter, qui m'agrippa le bras et me tira vers le côté de l'immeuble. Il me plaqua contre un mur, une main autour de mon cou.

— Qui es-tu ? pesta-t-il, à quelques centimètres de mon visage.

— Lâchez-moi avant que la situation ne dégénère et que vous regrettiez votre geste, articulai-je distinctement en le défiant.

— Tu n'es pas une vampire, sans quoi tu ne sortirais pas la journée. Tu es une méta ?

J'éclatai de rire. C'était bien la première fois que l'on me confondait avec une métamorphe ! Il accentua son emprise. S'il persistait à se prendre pour l'inspecteur Harry, ça risquait de mal finir, surtout pour lui. Encore un pauvre type... décidément, cette ville les concentrait !

— Ne me prends pas pour un con ! Je perçois les énergies, et la tienne est étrange. Qu'es-tu ?

— Tu t'y prends comme un pied. Je ne parle que lorsque j'en ai envie, et la contrainte a la fâcheuse tendance de me rendre mutique.

Il se recula, sortit son arme et me la pointa sur la poitrine.

— Je t'écoute, proclama-t-il avec assurance.

— Pour un type des forces de l'ordre, tu manques de self-control. As-tu l'impression que j'ai nui à qui que ce soit ? J'ai protégé la population, alors ne te trompe pas de camp ! Je fais partie des gentils, soupirai-je.

— Quel camp ?

— À présent, c'est toi qui me prends pour une conne, ironisai-je en repoussant le canon du bout du doigt.

— Qui te dit que je suis avec les bons ?

Je découvris son poignet, et son tatouage de la Confrérie AntiMonstres apparut.

— Comment le savais-tu ? s'étonna-t-il en rengainant son pistolet.

— Notre rencontre à la banque.

— Pourquoi ne t'es-tu pas identifiée ? Montre-moi le tien, s'empressa-t-il.

— Je n'en ai pas. Je suis une free-lance, en mission spéciale. Vos dirigeants n'apprécieraient pas avec l'avance qu'ils ont faite de mes honoraires indécents que tu grilles ma couverture bêtement !

Il fit un pas vers l'arrière, la tête inclinée, et me dévisagea.

— Comment être sûr ?

— Atlanta, c'est moi. Je suppose que tu as dû en entendre parler.

J'avais rasé l'intégralité d'un repère pour la CAM. Une rencontre secrète entre plusieurs gouverneurs s'était tenue dans un bâtiment isolé. Je n'avais pas pris de gants et avais tout incendié. J'abandonnais un os à ronger, le temps de réfléchir à son cas. Il était hors de question que je le laisse en vie, à présent qu'il pouvait m'identifier. La disparition d'un agent des forces de l'ordre dans une telle bourgade demandait un minimum d'organisation, mais il ne ferait pas long feu à Montbazin. J'avais peut-être trouvé un présent pour les macchabées, à condition de nettoyer sa mémoire avant. J'allais réfléchir à cette option plutôt que de l'éliminer tout simplement...

— Je vais me renseigner. Combien de temps resteras-tu ici ? Et qui est ton référent ?

Je me redressai et soupirai bruyamment.

— J'ai horreur de me répéter ! Je ne te donnerai aucune information supplémentaire. Cela ne te concerne pas...

— Tout ce qui se déroule dans ma ville me regarde, tu l'apprendras assez vite ! s'emporta-t-il en me toisant.

Je rompis l'espace qui nous séparait et lui murmurai à l'oreille :

— Je me suis montrée bien plus courtoise que d'habitude. Ne joue pas avec ma patience ou je te promets que tu le regretteras. Fie-toi à ton instinct, car je n'accorde jamais de seconde chance !

Ses muscles se bandèrent, et ses mâchoires se contractèrent. Le message était passé.

— Je...

Je repris ma place et déposai ma paume sur sa poitrine. Je l'aurais bien tué, mais j'avais d'autres préoccupations. Je refusais de m'embarrasser avec lui pour l'instant, mais je le garderais à l'œil avant de m'en occuper.

— Nous n'avons plus rien à nous dire, et à l'avenir, nous éviterons de nous croiser. Si j'ai besoin d'informations, je prendrai contact avec toi. Si tu parles de ma présence à quiconque, j'effacerai les vestiges de mes passages physique et psychique. Suis-je claire ?

— Tout à fait.

— Bien. Bonne fin de journée, ironisai-je.

Mon aura lui confirmait que je ne bluffais pas, même s'il ignorait ma nature exacte. Son corps se couvrit de chair de poule, et sa glotte oscilla. Il ne perdait rien pour attendre. Je pivotai et regagnai ma moto. Un de plus à ajouter à ma liste.

1 - DissonanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant