<DAY 3>

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Les bras croisés sur le torse et la tête baissée, je refusais de jeter un seul regard à mon beau père qui restait immobile devant moi. Il était assis sur la même chaise que tout à l'heure, n'ayant pas bougé depuis, son imposante posture contrastant avec la mienne. Je me sentais minuscule, ridiculement petit et insignifiant. Non pas seulement parce que John était taillé comme une armoire à glace, mais aussi parce que j'étais mort de honte et de culpabilité de m'être mis à pleurer devant lui aussi rapidement.

Mes yeux rouges et gonflés me faisaient mal, à force de les avoir essuyés avec la manche de la veste de sweat-shirt qu'il m'avait amené plus tôt. Je ne cessais de renifler bruyamment sans aucun soin, mais mon beau-père ne semblait pas s'en préoccuper. Au diable les bonnes manières et la conduite correcte, quand il s'occupait de moi il laissait tout passer. Il n'avait pas l'air de comprendre que ses efforts étaient inutiles désormais, je le considérais comme mon vrai père depuis bien longtemps.

« Antoine » Sa voix était grave mais douce, légère pour m'apaiser « Tu veux bien me répondre maintenant ? Est-ce que tes cauchemars ont recommencé ? »

Six fois, il m'avait demandé la même chose six fois de suite avec de longues poses en intervalles et il arrivait à rester calme et posé, disposé à écouter si jamais j'ouvrais la bouche pour autre chose que cracher mes poumons à cause de mes pleurs. Tout s'était mélangé en trop forte intensité et la réaction était désastreuse. Un garçon ne doit pas pleurer, mais dans des cas extrêmes je ne voyais pas comment je pouvais rester un garçon digne de ce nom. Quand je pleurais devant mon père, l'autre comme maman l'appelle, il me regardait toujours avec un regard désespéré et fortement déçu. Déçu de moi, c'était toujours comme ça qu'il agissait quand on était dans son bureau pour son « travail ». Tout ça, tout ce qu'il enregistrait ça me hantait ça me-

Je me forçais à arrêter d'y penser en hochant la tête vigoureusement, un peu trop, pour engager un semblant de conversation avec John qui soupirait discrètement sous sa barbe. J'étais enfin disposé à l'écouter et surtout à parler.

« Deux ou trois... » Je commençais en me raclant la gorge un coup, sentant ma gorge enrouée quelque peu « J'en ai refait deux ou trois pendant les dernières vacances mais j'avais pas l'impression que c'était si grave ! J'ai plus cinq ans John » Je tentais de me justifier en voyant ses sourcils se froncer et son torse se gonfler pour préparer un long soupir. « Je sais gérer ça... C'est juste des cauchemars débiles que je faisais quand j'étais gosse ! J'ai passé l'âge de prévenir mes parents quand je me réveille la nuit... »

Silencieux, il regardait le sol en frottant l'arête de son nez entre ses deux doigts. Je savais quand il réfléchissait, ça se voyait sur son visage, et là je pouvais dire que son cerveau était en ébullition. Il n'aimait pas que je lui cache des choses, entre lui et moi ça devait être la confiance absolue et ce principe, selon lui, était basé sur l'honnêteté la plus totale. De ce fait, il devait être assez déçu de moi sachant que je lui avais menti sur mon état, chose que je comprenais mais que, en même temps, je ne captais pas. Ils devaient arrêter de me protéger autant. Ils ; ma mère et John ; me couvaient comme si je risquais quelque chose de grave à chaque instant de ma vie.

« Restes là Tonio » Il se levait en glissant discrètement, mais pas assez pour moi, son téléphone portable dans la poche arrière de son jean Levis « Reprends tes esprits, repose-toi et je ne sais pas... Regarde Jurassic Park, ils repassent la série des trois à la télé » Il me posait la télécommande de l'écran plat sur les genoux, comme pour me forcer à me reposer pour de bon.

Faiblement, je hochais la tête pour le rassurer et le regardais partir en prétendant qu'il devait voir un « truc » dans le jardin, concernant les légumes qu'il essayait désespérément de faire pousser. Chose que je ne croyais pas, étant bien au courant qu'il avait abandonner de faire pousser quoi que ce soit depuis deux bons mois. Je le laissais donc sortir de la pièce, puis de la maison par la petite porte arrière à côté de la buanderie et de la salle de bain. L'air de rien, je restais devant l'écran pour regarder quelques minutes des aventures ; étranges ; du professeur Alan Grant qui arrivait miraculeusement à échapper à un dinosaure qui aurait dû n'en faire qu'une bouchée.

J'étais partagé entre l'idée de rester ici et d'oublier tout ça, ou d'aller bien sur écouter ce qu'il disait. Le choix était rapide malgré l'hésitation, mes jambes me portant discrètement jusqu'à la petite buanderie ou je m'accroupissais entre le lave-linge et le bac de linge sale, l'écart faisait la taille parfaite pour qu'un adolescent de dix-huit ans puisse s'y glisser. Je n'aimais pas être là, dans ce creux, mais c'était la seule cachette dont je disposais pour le moment.

C'était la seule cachette que j'avais quand il s'énervait...

Silencieux, les yeux fermés, je bloquais ma respiration en me concentrant sur les mots passant par la minuscule fenêtre, ouverte par la plus grande des chances. J'avais les mains moites et le front encore mouillé de sueur, ne sachant pas encore pourquoi je me mettais dans un état pareil. Finalement, après une minute d'attente qui me semblait interminable, la voix de John réapparue.

« Rachelle... Tu sais que ce n'est pas bon »

Sa voix était basse, grave et essoufflée, essoufflée alors qu'il n'avait pas couru ou quoique ce soit d'autre, simplement parce que la situation devait lui paraitre grave.

« ... »

« Je sais bien que tu ne peux pas ! Tu rentres demain de toute façon on verra bien »

« ... »

« Un médecin ? Ceux de la clinique peuvent prendre des gens rapidement mais je ne pense pas que ça soit la meilleure solution, tu sais comment il est avec les psys... »

« ... »

« Que je lui dise quoi ? Qu'il doit aller en voir un pour des cauchemars ? Il la dit lui-même, il se pense assez grand pour gérer la situation mais il n'en sait rien du tout justement, c'est ça qui m'inquiète le plus »

« ... »

« Je me doute que ça t'inquiète, moi aussi. Je n'ai pas envie qu'il finisse comme Charles ou... ou comme Jenna »

La discussion continuait ainsi pendant près de cinq minutes pendant lesquelles j'avais eu le temps de me ronger les ongles de la main droite jusqu'au sang. Ça faisait mal, ça me brûlait au bout des phalanges mais c'était le seul moyen efficace de me garder silencieux encore un peu.

Pourquoi John parlait de mon père? Il ne se connaissaient pas, même si je savais bien que ma mère lui avait glissé quelques mots à propos de son comportement étrange et de son départ (elle utilisait le mot "délivrance" la plupart du temps d'ailleurs). Le nom de Jenna m'était pas contre inconnu, surement un connaissance commune à mes parents.

Mes jambes ne tremblaient pas, contrairement à ce que j'aurais pu imagier, elles étaient statiques. J'étais dans l'incapacité de bouger la plus totale, comme si mon corps me prévenait que le moindre mouvement allait m'être fatal. Alors quoi ? Si John venait dans la buanderie je n'avais qu'à dire que je l'avais un vêtement trop trempé de sueur, ou que je me cherchais un des plaids que maman accrochait à l'étendoir rien de plus rien de moins.

C'est alors que je l'apercevais, devant moi, à quelques mètres dans le renfoncement du couloir. Ma gorge se nouait comme si une corde se serrait autour de mon cou et mes jambes refusaient toujours de coopérer. L'air ambiant sembla chuter de 10 degrés Celsius en un quart de seconde et la lumière de la petite pièce s'éteignit. Je n'osais rien faire à part regarder, sentant qu'un hurlement allait bientôt s'échapper d'entre mes dents serrées à m'en faire éclater la mâchoire.

Seulement, le temps de fermer mes paupières un instant pour humidifier mes yeux secs à force d'être écarquillés, je me retrouvais seul dans la buanderie, la lumière bien allumée, le thermomètre indiquant 23 degrés comme il le fallait et surtout,

Personne n'était dans le couloir.

Les oiseaux n'ont que leurs ailes pour fuir | CreepypastaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant