<Day 13>

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Je sentais un long frisson parcourir mon dos alors que j'enfonçais mes ongles dans le livre que je n'avais pas lâché malgré le sursaut qui m'avait pris. Figé, je retenais ma respiration en regardant le sol avant d'avaler ma salive et de parler d'une voix aussi naturelle que possible, faisant toujours face au mur.

«Désolé j'allais faire une lessive je me suis dit que j'allais m'occuper de ton sac ça sentait mauvais dans le salon..» Ma voix semblait me brûler la gorge tant je me retenais de laisser sortir un gémissement de panique.

Je l'entendais soupirer dans mon dos en tapant du doigt sur quelque chose de dur qu'il devait tenir dans les mains. Ignorant sa remarque qui m'avait fait froid dans les dos, je faisais mine de refermer le sac en essayant de reposer le livre dedans aussi discrètement qu'il m'était permis avec les tremblements incontrôlables de mes bras et de mes mains qui devenaient trop moites pour être vraiment utiles. C'était trop peu discret, trop peu pour qu'il ne croit à mon histoire de lessive maintenant.

« Quelle intention adorable Antoine, mais ta mère ne t'as pas assez répété de ne pas fouiller dans les affaires des gens? » Il soufflait en arrêtant de tapoter sur la surface qu'il tenait « J'ai aussi pu avoir le temps de faire un tour dans la maison, rien n'a changé c'est fou»

Je tournais le haut de mon corps doucement, mes jambes mettant un petit moment à suivre le mouvement de mon torse. Mon souffle était complètement coupé et je n'arrivais plus à garder le semblant de sourire qui devait me servir de couverture. Charles était debout devant moi, pas une seule goutte d'eau ne lui étant tombé dessus. Il était sec de la tête au pieds, portant les mêmes habits que pendant le repas— n'ayant donc pas mit un pied sous la douche, l'ayant juste laisser couler comme distraction pour qu'il puisse faire ce qu'il avait besoin de faire— mais il avait complètement changé d'expression. Du père qui voulait se faire pardonner, avec un regard désolé et plein d'espoir de pouvoir renouer les liens avec son fils, il était passé à un homme qui s'accordait beaucoup plus à son apparence.
Son visage trop maigre pour qu'il soit en bonne santé était creusé par le manque de soin, recouvert d'une barbe grise qu'il n'avait pas rasé depuis quelques jours, lui donnant un air d'homme des rues. Malgré notre ressemblance bien trop frappante, il ne ressemblait en rien au père que j'avais connu enfant. Ses yeux étaient noircis et il serrait la mâchoire, tordant ses lèvres sèches dans une expression sévère et énervée.

« Agréable lecture n'est ce pas? » Il disait en levant sa main gauche, dans laquelle il tenait mon exemplaire du livre de Mathilde, que j'avais laissé sur mon lit avant de descendre. « Je suis impressionné, vraiment je dis ca avec toute l'honnêteté qu'il me reste» Il riait avec un ton malsain pendant que je reculais jusqu'à ce que mon dos se trouve sur le rebord du comptoir de la cuisine « Que tu trouves le livre, c'est déjà une surprise, mais que tu ailles jusqu'à décoller les pages que j'avais... » Il soupirait « De mieux en mieux mon fils, nous ne sommes pas liés pour rien»

Je mordais l'intérieur de mes joues en le voyant passer en revues le livre en faisant glisser les pages sous ses doigts, lisant les passages qui me faisaient enfin réaliser la véritable raison de sa venue. Alors que je m'enfonçais dans l'immonde et sombre vérité, je commençais à croire que ma vie avait été écrite comme une très mauvaise blague, et que mon père était le personnage qui devait mettre fin à la mascarade. Tout semblait beaucoup trop irréel et fou pour que ce ne soit pas un rêve. Le livre ne racontait que ce qui nous était arrivé depuis mon enfance— nous étions poursuivis par cette même chose qui détruisait vie après vie, famille après famille en forçant les plus malchanceux à s'entretuer. L'idée de meurtre et de la mort me fit remonter un jet de bile acide, me forçant à le ravaler en sentant le liquide brûlant racler les parois de ma gorge. Finissant ce qui semblait être un spectacle d'introduction qu'il avait eu le temps de préparer depuis des années, il lançait le livre par terre.

« Ca explique beaucoup de choses hein? » Il demandait en écartant les bras, s'exclamant en me fixant dans les yeux « Qu'est ce que ca te fait? De savoir que ta vie est gâchée par celle de quelqu'un d'autre? Oh ne me lance pas ce regard Antoine c'est déjà assez dur comme ca... Tu t'imagines combien de temps ca m'a prit pour savoir comment j'allais tuer mon fils? Tu étais tellement petit à l'époque, ta mère n'aurait jamais supporté le choc et j'aurais été un véritable monstre mais là...» Il s'arrêtait une seconde pour me regarder de la tête au pied « Là tu es un homme, ca n'a rien à voir ! Tu es comme moi, désespéré mais ne t'inquiète pas je compte en finir rapidement, et n'essaie pas de me défendre inutilement espèce de petit merdeux, tu auras assez fait foirer ma vie comme ça crois moi»

Plus il parlait, plus le ton de sa voix devenait dur et plus le son augmentait. Il en était arrivé au point de me hurler dessus en faisant de grands gestes brusques avec les mains, agissant comme le fou qu'il était devenu. N'arrivant toujours pas a respirer normalement, je secouais la tête de droite à gauche en suffoquant.

« R-rien fais... J'ai rien fais... J-je veux pas mourir laisses moi» Je m'étouffais dans mes pleurs en essayant de me cacher derrière le comptoir, agrippant le rebord avec mes doigts qui glissaient contre le plan de travail.

« Personne n'a envie de mourir, mais il y a un temps pour tout. C'était trop tôt quand je vivais ici, je m'étais imaginé tellement de fois t'étouffer dans mon bureau quand tu étais avec moi mais non, non... c'était trop tôt mais aujourd'hui...»

Il s'approchait de moi en me bloquant le passage, séparant nos corps de quelques dizaines de centimètres. Je voyais sa main glisser doucement sur le plan de travail et; même sans le voir, connaissant ma maison; je savais que là où allait sa main se trouvait le support pour les couteau de cuisine.

« Aujourd'hui je vais pouvoir agir comme un homme»

Agir comme un homme. Il allait atteindre les couteaux, les couteaux de John. Il devait être avec maman pour l'heure, en train de profiter de leur voyage. Qu'allaient-ils penser en rentrant pour me trouver baignant dans une mare de sang? Ils n'allaient rentrer que dans quelques jours et ils allaient arriver pour me voir avec un couteau de cuisine planté dans la poitrine, la gorge ouverte ou couvert de plaies d'où s'écoulerait le sang dans lequel je reposerais sans que personne ne sache pourquoi. Charles aura largement eu le temps de fuir et je serais mort sans aucune raison apparente. Maman se sentira coupable à en mourir de peine pour m'avoir laissé seul, John s'en voudra à vie pour avoir motivé ma mère à venir avec lui, Jeremy se demandera tous les jours pourquoi il n'est pas venu sonner chez moi de lui. Les élèves de mon lycée se raconteront des histoires sur moi, se raconteront des souvenirs que nous aurions soit disant vécu. On parlera de moi partout mais même avec tout ça, personne ne saura ce que j'aurais réellement vécu. J'allais mourir et personne d'autre que moi ne pourra y faire quelque chose. Horrifié, je faisais circuler les informations dans ma tête comme un manège qui tournait à mille à l'heure.
Maman, couteaux, John, Charles, mort, agir comme un homme. Agir.. Agir maintenant... Agis!
Un boost d'adrénaline me parcouru tout le corps et mes muscles reprennent enfin le control de mon corps. Je criais un grand coup en levant mon genou assez fort pour le frapper entre les jambes. Ca n'etait pas fort, pas réfléchi, mais assez soudain pour le faire tomber par terre et me laisser le temps de me précipiter vers la porte de sortie.
Je tournais la poignée pour me précipiter dehors. Le décor était plus horrifique que je ne pouvais imaginer. Il était censé être aux alentours de 10h du matin et pourtant le ciel était d'une couleur rouge foncé, éclairant les rues avec des reflets effroyables. Je ne comprenais rien, je ne comprenais plus rien du tout mais je savais que je devais fuir.
J'apercevais mon vélo dans le coin du jardin et sautais dessus en entendant mon père me criait de rester là.
Poussant aussi fort que je pouvais sur la pédale, je me mit à dévaler la pente de ma rue pour m'échapper le plus loin possible. Je devais trouver un chemin de sortie pour m'enfuir de ce cauchemar mais en regardant autour de moi je comprends que le véritable cauchemar ne faisait que commencer.
Les maison étaient plus sombres, les voitures et les gens avaient disparu. La ville était morte mais je continuais de foncer à toute allure avant de m'apercevoir que je ne pouvais pas fuir si facilement. Je ne foncez pas dans le mur, je lui fonçait dessus, sur lui.

Les oiseaux n'ont que leurs ailes pour fuir | CreepypastaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant