Aujourd'hui, je suis de retour au bord de la mer, sur les terres de mon enfance...
La semaine entière s'est passée à Ajaccio, en Corse, et pour ce dernier jour, une sortie sur le terrain est prévue. La cité napoléonienne n'est pas avare en paysages superbes, et plusieurs parcours permettent d'accéder à des points de vue qui marqueront la mémoire de nos invités. C'est dans cet esprit que nous choisissons de randonner sur le site de la Parata, la porte des îles Sanguinaires. La météo n'est pas fameuse : la pluie est enfin annoncée, après des semaines entières de sécheresse. Le timing est certes loin d'être parfait, mais qu'importe ! Une ondée sera la très bienvenue, même si elle contrarie notre programme touristique.
Ce site, je le connais bien... Mon père m'y emmenait souvent. J'y ai découvert ce milieu si particulier où la terre rejoint la mer dans un ballet sensuel et permanent, fait de vagues écumeuses se brisant sur la roche ensanglantée, de brises aux senteurs terrestres et maquisées se courbant sur l'eau, légères et ondoyantes.
Par beau temps, le bleu soutenu du ciel ne se confond pas avec celui de la mer, car ici le fond est hétérogène, offrant tout un panel de couleurs : outremers signalant la roche sombre, céladons là où le sable clair domine, bleus verdâtres sur les herbiers des eaux peu profondes. La matinée nous a offert ce type de paysages, irradiés de lumière solaire.
Mais le changement prochain s'annonce, devient de plus en plus perceptible : il y a depuis plusieurs minutes une tonalité différente qui émerge de l'air ambiant... Une sensation que je connais bien, l'enseignement paternel y a veillé. J'ai appris à lire le temps comme d'autres lisent un livre, et je l'avoue, j'ai parfois un peu de nostalgie en songeant à cette époque révolue où décrypter la nature était une découverte permanente. Je retrouve sans peine tous les signes qui m'ont été inculqués alors. Cette sensation sur ma peau, différente de celle provoquée par l'humidité de la mer... l'inversion des brises après une courte accalmie... la forme des nuages qui se modifie rapidement à présent... Tout m'indique que le temps est en train d'évoluer. La vue est largement dégagée vers la baie d'Ajaccio, et nous assistons en direct à la naissance de l'orage qui va frapper la ville, spectacle grandiose s'il en est. Le blanc des premiers cumulonimbus tourne lentement au gris, de plus en plus foncé, jusqu'à ce que la couleur du ciel paraisse se confondre avec celle de la mer en deuil, miroir vivant des nues qui s'y reflètent. Au loin, les premiers nuages libèrent leurs larmes, et l'ondée s'effondre au sol en un rideau de pluie qui efface la montagne vert sombre. Même le son de l'eau associé au tonnerre émet des ondes évoquant la colère céleste, grondements profonds, allitérations sonores répondant à celles des couleurs, elles aussi unifiées dans un même ton de gris.
L'orage fut bref, malheureusement. Plus d'eau aurait été bienvenue. Mais le vent qui a amené cette pluie bienfaisante l'emporte aussi au loin, et dégage peu à peu l'horizon grisâtre. La terre n'a pas vraiment eu le temps de beaucoup fraîchir, et de paresseuses volutes blanches s'élèvent rapidement du sol, comme autant de fantômes inconsistants qui s'accrochent au relief. Bientôt le soleil brûlera à nouveau, ne laissant derrière lui que le souvenir nostalgique de la fraicheur temporaire, et surtout, celui de la beauté du spectacle offert par les éléments déchainés.
Avec le soir, c'est un astre enflammé qui lentement s'enfoncera dans la mer, intensifiant l'incarnat de la roche. C'est aussi pour cela que ces îles portent le nom de "Sanguinaires", j'entends encore la voix de mon père qui murmure ces mots à mon oreille.
Aujourd'hui, j'ai à nouveau 10 ans...
Et je me souviens...
Encore et toujours, je me souviens...
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© Clelia Maria CASANOVA – 13 avril 2019
Texte écrit en réponse au défi d'écriture #FingersOut2 relayé par EidolonGarde-mots
Consignes : utiliser les thèmes/mots :
Allitération, un fantôme, une ville, l'enfance/la nostalgie, le blanc.
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En Vers et contre tous - Tome II
PoetryLa suite du journal poétique d'un Coquillage globalement allergique au monde des humains... Poèmes majoritaires, mais quelques textes courts. J'écris comme je pense, et à vos yeux je livre Tout ce qui me construit, les mots qui me délivrent, Ma poés...