Soleil invaincu (2e partie)

La Floride en avril (2)

Miami International Airport, Floride

Tous ont très bien vu Manager Kim sortir de l'aéroport à leur suite, mais aucun ne s'est attardé plus que de raison sur cette vision. Il était certain au moment même où ils l'ont quitté pour faire changer leurs billets que leur manager ferait de même et les surveillerait au plus près. Il est le garant de leur sécurité pour l'agence, doit savoir nuit et jour où ils se trouvent et ce qu'ils font. Il a sans doute sélectionné, comme madame Hayes l'avait suggéré, l'hôtel le plus proche de la Como Avenue à Coral Gables, et il fera l'aller-retour entre les deux bâtiments non-stop durant deux jours s'il le faut.

— Je me sens un peu coupable, murmure Woo-jae lorsque leur taxi s'arrache à son emplacement et qu'il aperçoit, à travers la vitre teintée de noir, que Manager Kim en hèle un autre.
— Moi pas, dit tranquillement Elian. Je refuse de penser à lui durant cette parenthèse hors de l'emprise de SYW et des fans. J'espère d'ailleurs que personne n'aura envie de mettre de la K-pop à fond dans la maison.
Tous parlent en anglais, puisque le hockeyeur qui les accompagne ne comprend pas le coréen.

— La maison est loin de l'aéroport ? s'enquiert de son côté Sung-ki, qui a repris des couleurs après l'angoisse de l'atterrissage.
Assis à côté d'Anders sur la banquette du fond, il lui a pris la main à l'insu du chauffeur. Madame Hayes, qui l'a entendu depuis le siège avant, lui répond.
— À une demi-heure de route. On va descendre un peu vers le sud et se rapprocher de la lagune.
— Oooh, je suis sûr que ce sera super beau !

Le danseur s'appuie contre l'épaule du Suédois et lui dédie un grand sourire. Il se penche plus encore, jusqu'à ce que son nez frôle l'oreille d'Anders, et chuchote :
— Mais ce qu'il y aura de plus beau là-bas, c'est toi ! Je suis tellement content que tu sois venu avec nous ! Et j'ai tellement hâte d'être arrivé pour pouvoir te serrer dans mes bras !
Enfin habitué aux compliments de Sung-ki, Anders ne rougit plus. Il a un petit sourire en coin et répond, lui aussi à voix basse :
— Rien que pour ça, j'ai aussi très envie d'être arrivé. Ça a été dans l'avion, au fait ?
— Oui, franchement, je me suis étonné ! Je ne referais pas tous les jours, mais ça aurait pu être pire ! J'espère quand même que Manager Kim me donnera mes cachets pour le retour à Séoul, car le voyage est beaucoup plus long, et je ne sais pas si je pourrai m'en passer.
Installé juste devant lui, Elian a entendu ses craintes et le rassure derechef.
— On achètera une boîte ici avant de partir pour être sûrs. Il y a des pharmacies. J'enverrai ma sœur, comme ça, Manager Kim n'osera pas l'arrêter et lui dérober ses achats.

☀️☀️☀️☀️

Coral Gables, Floride


Le taxi atteint sa destination dans le temps imparti. Madame Hayes paie le chauffeur du van jaune tandis que les autres occupants s'en extraient. Le soleil de l'après-midi brille de mille feux ; il fait facilement dix degrés de plus qu'à New York, mais sans l'humidité oppressante des étés séouliens.

— Woah ! Je vais mourir de chaud dans les habits que j'ai emportés ! s'exclame Sung-ki en rajustant ses lunettes noires sur le nez. On n'avait pas prévu qu'on viendrait ici !
Il se tourne vers Anders.
— Il fait aussi chaud que ça en Californie en ce moment ? Tu as des vêtements adaptés, toi ?
— Si jamais, je vous prêterai ce qu'il faut, dit Elian en prenant la valise de sa mère, qui donne le bras à Woo-jae pour remonter l'allée menant au portail de la villa. J'ai un dressing plein de vêtements que je n'ai quasi jamais portés, puisque ça fait des lustres que je n'étais plus venu ici. Ça n'a dû me servir qu'une fois.
— Il fait chaud en Californie, oui, répond Anders de son côté. Mais je n'ai rien prévu pour la Floride, vu que j'étais juste censé venir à New York où il faisait plus frais. Du coup... je vais accepter ta proposition, Elian. C'est très gentil à toi.

Tout en parlant, ils ont atteint la porte d'entrée de la maison, qui s'ouvre brutalement avant que madame Hayes ne puisse la déverrouiller.
— Eliannie !
Une jeune fille qui ressemble très fort au chanteur, avec de longs cheveux bruns et des yeux bleu pâle, vêtue d'un minuscule short et d'un top à bretelles, se jette sans hésitation au cou d'Elian et l'étreint.
— C'est Reign, sa petite soeur, précise Sung-ki à Anders au cas où ce dernier n'aurait pas additionné deux et deux.
Anders hoche la tête machinalement, mais ne dit rien. Il se fait toujours l'impression d'un intrus rapporté il y a quelques mois par le hasard du destin.

Sans se soucier des gens autour d'eux, l'Américano-coréenne saisit l'un des poignets de son frère et relève sa manche. Ses yeux se remplissent de larmes lorsqu'ils parcourent le tracé des cicatrices encore roses qui déchirent la ligne d'électrocardiogramme en de multiples endroits.
— Reignie, dit madame Hayes, aujourd'hui et pour les deux jours à venir, on se réjouit simplement de tout ce qu'on peut sauver.
La jeune fille hoche la tête ; une grosse goutte se détache néanmoins de ses cils et s'écrase sur le sol. Sans prononcer un mot, elle fait volte-face et disparaît dans les profondeurs immaculées de la maison, dont l'intérieur est fait de marbre clair et de blanc. 

Un peu gêné d'avoir assisté à cette scène, Anders observe les alentours, se dandine d'un pied sur l'autre. Elian passe une main dans ses cheveux et expire.
— Quel accueil. J'irai lui parler dès que je me serai changé. Papa est au boulot, je suppose.
— Oui, répond sa mère. Mais entrez tous et, je vous en prie, faites comme chez vous.
Elle montre l'exemple en se déchaussant rapidement dans le vestibule, puis en se hâtant vers une autre pièce.

Sung-ki est le dernier à pénétrer dans la villa. Il ferme la porte blindée derrière lui ; le battant de verre dépoli les met à l'abri du regard de Manager Kim comme de celui des fans ou des passants. Dès que le cliquetis de la serrure retentit, le danseur pivote vers Anders d'une glissade sur le sol brillant comme un miroir. Il agrippe le col de son compagnon et l'embrasse avec urgence. Malgré les trois amis du jeune homme toujours présents, Anders ne résiste pas à l'envie de répondre aux baisers de Sung-ki ; il en rêve depuis des mois.