Les quatorze heures de voyage, escale à Munich incluse, se sont passées dans le silence. De toute façon, il n'y avait rien à ajouter à ce départ, lequel disait assez de leur situation.
Sung-ki, pâle malgré son hâle, n'a pas dormi, pas regardé d'anime, pas écouté de musique. Il a mangé un peu tout de même à l'insistance de Kyung-hwan, mais outre ces brefs moments, il est resté immobile, le visage tourné vers le hublot. Sur sa tablette, le petit Spitz blanc en peluche qu'Anders lui avait offert en novembre lors de son voyage en Corée du Sud — mais le danseur ne l'a pas non plus réellement regardé durant le trajet.
Lorsqu'ils récupèrent leurs bagages sur le carrousel, Sung-ki, en posant les yeux sur sa valise derrière ses lunettes noires, plisse soudain les lèvres. Kyung-hwan sait que son ami se retient alors de pleurer. Tout ce qui reste de sa vie d'avant est contenu dans ce bagage, et c'est si peu que c'en est terrifiant.
En rejoignant l'académie, Sung-ki a laissé les objets de son enfance et son adolescence à Busan. En quittant Séoul, il y a abandonné tout de ses années d'idol, puisque la quasi intégralité appartenait à SYW Entertainment. Leur carrière était un prêt. Ils n'ont rien gagné de tangible, mais au moins Sung-ki ne leur doit-il plus rien puisqu'il a remboursé sa dette de justesse grâce aux récents succès de 21st June. Ils ont été une supernova — l'incandescence subite de la gloire, si vive, et l'explosion.
De quoi racheter un smartphone et un ordinateur portable après avoir rendu les « siens » à Manager Kim, et un billet d'avion pour Stockholm — l'intégralité de ses gains dépensés dans ces trois achats, après plusieurs années de labeur près de vingt heures par jour, sept jours sur sept. Kyung-hwan serre le poing sur la poignée de sa propre valise — mais ils avaient souhaité être où ils étaient.
Aujourd'hui, du jour au lendemain, plus personne dans l'industrie ne veut d'eux. Les fans ont hurlé à une telle trahison, à des années de mensonge : il n'est pas possible de se relever d'un si grand raz-de-marée. Sung-ki est gay, Sung-ki les a trompées, Sung-ki est en plus amoureux — sa carrière est complètement terminée, car ce sont les fans qui la font vivre et elles ne lui pardonneront jamais ce qu'il leur a fait subir.
Ses amis ont soutenu le jeune homme et, ce faisant, creusé le tombeau de leur propre avenir en prenant le parti du félon contre celui des Summers coréennes sûres de leur bon droit. Ils ont dit « nous sommes à côté de Sunshine », elles ont entendu « nous sommes contre vous parce que nous cautionnons le chagrin qu'il vous a causé ». De toute façon, Sung-ki a enfreint son contrat qui lui interdisait la moindre relation amoureuse ou sexuelle avec qui que ce soit, et rien que cela a scellé son bannissement par l'agence et, par extension, par tout le milieu.
Que faire lorsqu'on est gay en Corée du Sud, dans une société qui n'accepte pas que l'on sorte des normes ? Que faire lorsqu'en plus, on est tombé amoureux d'un étranger, cumulant par là-même les fautes aux yeux de certains traditionalistes ? Que faire lorsque tant de crimes ont même raison des liens familiaux ?
L'échec de sa carrière a signé la rupture définitive avec son père ; son homosexualité a plongé sa mère dans trop de désespoir pour qu'elle puisse continuer à l'appeler son fils. Son fils était censé ramener à ses parents une jeune fille coréenne avec qui se marier, avec qui enfanter des bambins de « sang pur » qui seraient une richesse pour la famille. Sung-ki, bien sûr, a coché toutes les cases contraires, et il n'y a plus de place non plus pour lui dans la maison des Sun à Busan.
Des vêtements, un ordinateur et un téléphone neufs, des affaires de toilette, un passeport — le solde de vingt-trois ans de vie. Tout d'elle est resté derrière lui, et si peu lui a réellement appartenu.
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Soleil invaincu (2e partie)
RomantizmSuite de « Soleil invaincu ». Sung-ki et Anders se retrouvent à Séoul en novembre, et ce qui devait arriver arrive. Tout est ©️Shukimo Studio/Alba/Aël.