Chapitre 5 - Un rendez-vous dérangeant

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Cela fait déjà un mois que j'alterne entre les deux bureaux. Je m'entends à présent bien avec Will, Geoffrey et Alban. J'ai eu un peu de mal au début car ils sont extrêmement sérieux mais les choses se sont un peu déridées quand, lors d'un déjeuner, ils ont appris par inadvertance mon « dérapage » avec Thomas. Depuis ils prennent un malin plaisir à me taquiner régulièrement mais jamais méchamment.

Mes craintes envers Thomas se sont, quant à elles, également envolées. Je ne dis pas qu'il ne m'en veut plus mais son animosité s'est exprimée par des moyens pour le moins déconcertants. J'ai ainsi découvert un aspect de sa personnalité à laquelle je ne m'attendais pas du tout.

Dès le départ j'aurais dû me méfier, son accueil était trop amicale pour être honnête.

Il a patienté quelques jours, endormant ma vigilance, avant de commettre ses méfaits.

Cela a commencé par un café qu'il m'a gentiment déposé, café que j'ai dû recracher immédiatement : il était salé. Mes affaires changeaient de place et je pestais à les chercher partout. Quand je revenais de pause, il n'y avait plus de pile dans ma souris, mon écran était éteint, les touches de mon clavier étaient inversées ou alors mon siège était trop bas ou au contraire rehaussé. Il était devenu un monstre d'ingéniosité quand il s'agissait de me torturer.

L'ambiance avait bien changé dans leurs locaux, tous étaient à présent aux aguets pour voir ce que me réservait Thomas et surtout découvrir ma réaction face au dernier traquenard.

Visiblement, m'entendre râler, houspiller, soupirer et geindre à longueur de temps était devenu son passe-temps favori. Mes grimaces et autres mimiques semblaient totalement le satisfaire.

J'avais eu droit à une morale musclée dans son bureau pour mon « incartade » mais maintenant il montrait une facette puérile que même lui, surement, ignorait avoir.

Du coup, mes amis ne cessent de me tarauder de questions sur ma collaboration rapprochée avec Thomas : je suis comme une nouvelle attraction Disney pour eux. Ils m'appellent régulièrement pour connaître mes dernières aventures et je les imagine très bien préparer le pop-corn avant de prendre de mes nouvelles.

Au bout d'un mois, donc, j'ai pris l'habitude de ce nouveau train de vie. Même si ses blagues m'agacent, au plus haut point parfois, elles ne sont jamais humiliantes et je me surprends même, à présent, à les attendre et les guetter.

*

Ce matin, Thomas et moi avons un rendez-vous chez un de ses clients qui a déjà fait appel à lui. Il s'agit du directeur d'une des plus grosses agences immobilières de la ville. Nous y allons pour un nouveau projet et mes compétences de graphiste sont requises pour le mener à bien.

Nous pénétrons dans un bâtiment luxueux du centre-ville. Je ne suis clairement pas la cible des annonces qui sont diffusées ici.

Nous somme reçus dans un immense bureau cossu. Le directeur se lève et vient à notre rencontre :

- Thomas, enchanté, de vous revoir !

- Tout à fait ravi également. Enchéri Thomas. Alexandre Lemoine, je vous présente Gabriel Leroy qui va se joindre à nous pour travailler sur ce nouveau projet.

Il se décale pour me présenter à notre interlocuteur qui se tourne vers moi :

- Bonjour Gabriel, heureux de faire votre connaissance et merci pour votre contribution.

Sa poignée de main est ferme mais pas écrasante et il a des mains soignées. Alexandre est un homme assez imposant. Il n'est pas aussi grand que Thomas mais donne l'impression d'être tout droit sorti d'un tableau de maître. Le teint également halé, il a une belle musculature, les cheveux blonds, des yeux bleus en amande et un sourire chaleureux. Il possède un charisme indéniable et intimidant. Je le salue à mon tour :

- Enchanté de vous connaître.

Alors que Thomas s'installe à la table préparée pour nous recevoir, Alexandre s'attarde à m'observer. Son regard intense me gêne. Il me dévore littéralement des yeux. J'ai comme la sensation d'être mis à nue. J'ai subitement l'image d'un bonbon dont on défait l'emballage qui me traverse l'esprit.

Je me fais surement des idées mais je suis gagné par un sentiment de malaise. Je m'installe à mon tour à côté de Thomas, Alexandre prend place juste en face de moi.

Nous passons près de deux heures à faire le point sur ses besoins et ses attentes et j'indique qu'il me faudra plusieurs jours avant de pouvoir présenter une première ébauche. Tout le long de notre entretien, chaque fois que je relève la tête je croise les yeux d'Alexandre rivés sur moi, parfois se plissant comme pour mieux m'évaluer.

Je n'ai qu'une hâte quitter cette pièce. J'ai été dragué gentiment, lourdement, avec insistance ou de façon amusante dans ma vie. J'ai eu droit à des regards d'envie, et c'est parfois flatteur aussi, mais son regard à lui m'indispose. Il a quelque chose d'indéfinissable qui me dérange.

L'entrevue terminée, nous prenons congés et le maître des lieux nous accompagne jusque dans le hall d'entrée. Il s'entretient encore avec Thomas quelques minutes mais je ne prête absolument pas attention à leur conversation, je ne pense qu'à sortir.

Il se dresse à présent devant moi et me tend la main un sourire charmeur aux lèvres. Je lui serre la main en retour : mon sourire est plus tendu. Son autre main posée sur mon épaule, il me tire légèrement alors à lui et me dit d'une voix suave :

- J'ai été très heureux de vous rencontrer Gabriel. J'ai hâte de voir votre travail et je suis impatient de vous revoir.

Il se redresse laissant sa main glisser le long de mon bras. En agissant ainsi, il ne fait qu'alimenter mes doutes à son sujet et mon sentiment de malaise.

Je ne dis pas un mot en montant dans la voiture de Thomas qui est aux anges après ce rendez-vous. Il se félicite à haute voix d'avoir sous la main un atout comme moi dans sa manche à présent. S'attendant à une réaction de ma part, il se tourne interrogatif :

- Quelque chose ne va pas ? Vous savez si vous ne réagissez plus quand je vous taquine, ça ne va plus être drôle de jouer !

- évidemment, je pense à la charge de travail que vous me collez sur le dos.

Je souris et lui tire la langue pour donner le change mais j'ai toujours cette sensation inconfortable qui me perturbe.

C'est un gros client pour lui et il est visiblement réjoui de ce contrat. Je l'interroge alors :

- Je peux vous demander comment vous avez rencontré le prince Disney là ?

Il ricane et me répond :

- A un congrès. Nous avons sympathisé et quand il a eu besoin de restructurer son agence, il a fait appel à nos services. Pourquoi il vous plait ? Dit-il avec un clin d'œil.

- Ce n'est pas parce que je suis homo que je saute obligatoirement sur tous les mecs potables qui passent et puis je préfère les récalcitrants. Je lui retourne son clin d'œil mais de façon exagérée.

- Ha ha ha, très drôle. Réplique Thomas.

Mon instinct me dit d'être prudent et de ne rien révéler de mes impressions surtout qu'il n'a rien remarqué de l'attitude d'Alexandre.

Nous rentrons à l'agence relater notre entretien aux autres et je me mets à travailler dès l'après-midi sur la mission.

J'essaie de ne plus repenser à Alexandre mais sa main sur mon bras et ses regards appuyés ont du mal à sortir de ma tête.

***

Je crois que je ne me suis jamais autant amusé de toute ma vie. Ses réactions de jeune chaton ulcéré sont vraiment comiques. Honnêtement, il amène une bouffé d'air frais dans les bureaux.

Finalement, je dois admettre que je l'aime bien. Il a de l'humour, de la répartie et son caractère, aux antipodes du mien, me fait aborder les choses de façon différente.

En plus, c'est un livre ouvert, tout ce qu'il ressent ou pense transpire à travers son attitude ou ses expressions. Mais cette fois, je reconnais que je n'ai aucune idée de ce qu'il a en tête en sortant du rendez-vous avec Alexandre.  

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