Chapitre 20 - Thomas

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Lorsque je vois le nom de Léna s'afficher sur mon portable, j'essaie de me rappeler de quand date notre dernier appel mais sans succès. Elle m'annonce qu'elle a rendez-vous dans le quartier ce matin et me demande si je suis libre pour déjeuner ce midi. Ça fait des mois qu'on ne s'est pas vu ni parlé, j'accepte donc avec plaisir.

Nous sommes sortis ensemble pendant trois ans. Nous nous sommes rencontrés lors d'un meeting et nous avons discuté, pratiquement toute cette soirée-là, ignorant les autres participants. Une chose était évidente, nous parlions le même langage, nous avions la même vision du travail, nous étions tous les deux pragmatiques allant à l'essentiel. Nous avons gardé contact, échangeant régulièrement puis nous avons commencé à sortir ensemble sans vraiment se poser de questions.

Nous nous entendions tous les deux sur le fait qu'il était hors de question de parler de vie de famille, d'enfant ou autre. Nous n'étions clairement pas un couple conventionnel faisant des projets sur notre futur. Nous parlions des actualités, du travail, d'évènements culturels, nous mangions ensemble, sortions le week-end et nous épaulions dans les moments difficiles. Cette vie me convenait parfaitement puis un jour Léna a pris la décision de mettre fin à notre relation.

Elle ne m'a pas donné d'explications et je ne lui en n'ai pas demandé non plus. Nous sommes cependant restés en très bon terme et faisons en sorte de prendre des nouvelles de temps en temps.

*

Je la rejoins donc à la brasserie à côté de l'immeuble où se trouve notre bureau. Elle est toujours aussi magnifique ressemblant à une poupée un peu fragile. Mais, ceux qui, dans le monde professionnel, la jugent uniquement sur son apparence commettent une grave erreur et l'apprennent, généralement, à leurs dépens.

Notre commande passée, je m'informe de ce qu'elle devient. Elle est ravie de m'annoncer qu'elle passe enfin coassociée dans l'agence d'architecture où elle travaille et qu'elle a acheté un appartement dans le quartier qu'elle désirait tant. Je la félicite chaudement pour ces bonnes nouvelles.

Elle me demande à son tour quelles sont les nouvelles me concernant. Je suis sur le point de lui parler des contrats que nous avons signés dernièrement et de notre agenda bouclé pour les mois à venir. Je ne sais pas pourquoi alors, je me ravise à la dernière minute.

Je me mets à tout lui raconter, absolument tout : ma rencontre avec Gabriel, son agression dans la rue un soir, le chantage dont il a été victime, son passage à l'hôpital, son séjour chez moi, ce qu'il m'a raconté sur sa vie. Je lui raconte tout, absolument tout, jusqu'au moment où je l'ai embrassé et qu'il m'a avoué ses sentiments.

J'étais tellement pris dans mon récit que je l'ai à peine regardé durant tout ce temps. Léna est figée sur place, la fourchette encore à mi-parcours entre son assiette et sa bouche. Elle me regarde les yeux ronds comme si elle se demandait qui peut bien être la personne en face d'elle. Elle s'anime à nouveau lorsque je lui demande si ça va :

- Je n'en reviens pas. Jamais tu n'as parlé de qui que ce soit ou même de quoi que ce soit avec autant ... autant d'énergie, de ferveur, de passion !

- N'exagère pas quand même. Je réponds embarrassé sans en comprendre la raison.

- Non, non pas du tout, je n'exagère pas du tout. Tu devrais te voir parler de lui : tu t'agites, tes yeux brillent, tu... tu t'animes !

- C'est ridicule. Je me suis un peu emballé mais il est tellement agaçant aussi et en même temps il est ... je ne sais pas fragile.

- Tu vois ! Tu recommences !

- N'importe quoi ...

- Incroyable ! Le maître de l'analyse n'est pas fichu de comprendre ce qu'il lui arrive ! Dit-elle en éclatant de rire.

- Comment ça ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Laisse-moi reprendre mon souffle et apprécier l'instant s'il-te-plait ! Ajoute-t-elle pouffant encore de rire.

Après avoir pris le temps de boire un verre d'eau, elle reprend :

- Bien, puisque tu es quelqu'un de logique, utilisons la logique ! Je vais te poser des questions, ne réfléchis surtout pas, dis-moi juste ce qui te vient à l'esprit. C'est parti ! Quand tu le vois qu'est-ce que tu ressens ?

- Je suis content, il est drôle et j'aime bien le taquiner.

- Parfait. Comment tu te sens quand tu es avec lui ?

- Bien, je me sens bien quand il est là.

- Bon. Ça te fait quoi quand il est triste ?

- Ça me chagrine, je n'aime pas le voir comme ça.

- On progresse. Qu'est-ce que ça te fait quand il n'est pas là ?

- Je m'ennuie ...

- Très bien. Corsons un peu les choses. Quand tu vois quelqu'un le toucher ou se rapprocher un peu trop de lui, ça te fait quoi ?

- Ça ... m'énerve... Je me sens agacé...

- Qu'as-tu ressenti quand tu l'as embrassé ?

- C'était ... agréable...

- Seulement agréable ?

- C'était... bon, j'ai aimé l'embrasser...

- Il a dit qu'il t'aimait, tu en as pensé quoi ?

- Je ne sais pas...ça m'a troublé mais ça ne m'a pas dérangé. En fait, je crois que j'étais content...

- Bien. Dernière question...Il t'a demandé d'oublier ce qui s'est passé et d'oublier sa confession, tu te sens comment maintenant ?

- Je me sens triste, j'ai l'impression qu'il me manque quelque chose. J'ai eu mal au cœur sur le moment, j'ai mal au cœur maintenant...Il me manque...

- Mon dieu, Thomas, si tu avais ressenti toutes ces choses pour moi, jamais je ne t'aurais quitté ...

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Mais ce n'est pas possible, comment peut-on être aussi intelligent et bête à ce point à la fois ?! Tu ne comprends vraiment toujours pas ? Il faut vraiment que je te mette les points sur i ? Réveille-toi nom d'un chien ! Tu es amoureux Thomas ! Tu es ENFIN amoureux !

- Non, non, ce n'est pas... ce n'est pas possible. Je n'ai jamais été attiré par les hommes, jamais de ma vie !

- Peut-être mais par ce Gabriel, oui. C'est une évidence !

*

Je n'ai aucun souvenir d'avoir terminé le repas. Je suis dans la rue, dans les bras de Léna quand je le réalise. Elle me dit de prendre soin de moi, elle me dit qu'elle est contente de m'avoir vu comme ça, au moins une fois dans sa vie, elle me dit de chérir cet amour et ne de ne pas jouer les idiots en le laissant s'échapper. Je comprends les mots, j'en comprends le concept mais je n'arrive pas à les lier ensemble. Elle m'embrasse sur la joue et me quitte me laissant en proie à un gouffre d'incompréhension. 

Le ChallengeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant