Chapitre III

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Pour lui c'était le meilleur moment de la journée: le crépuscule, ce moment béni où le soleil touche la mer, s'enfonce en elle, et disparait dans un éclat de rouge. Anwar, accoudé au balcon de sa chambre, observait cet instant avec patience et envie. Il se rêvait soleil, ou mer, pour tout simplement disparaître sans savoir où arriver. Être un autre, ailleurs...Ailleurs. Tout à coup quelqu'un rentra dans la chambre et courut vers lui, sautant à pieds joints. Lina. Forcement. Lina. Elle venait tous les jours juste avant de se coucher pour embêter un peu son petit-frère. Le dîner s'était achevé calmement et personne n'avait rien dit de spécial. Lina s'approcha d'Anwar et mit le coud sur son cou:

-Alors ça va pas mon petit Anwar?

-Si. Si. C'est juste que j'aimerai...

-Tu aimerais?

-M'enfuir.

-Tu voudrais aller où? Dans la mer?

-Non. Sourit-il. J'aimerais aller là où l'horizon ne s'arrête pas, aux endroits que les livres évoquent...Tu n'en as pas marre d'être juste...

-Une princesse avec des précepteurs qui nous apprennent tout, des gardes du corps qui veillent sur nous, des activités diverses et variées absolument géniales, vivre dans un palais, être aimée  par tout un peuple...

Anwar ria avec sa soeur:

-Je sais c'est stupide. Murmura-t-il. Je veux juste autre chose.

-Toi c'est différent. Tu es Anwar d'Auguste, le dernier né, celui qui lui rappelle le plus Papa. Maman ne te laissera jamais partir.

Il baissa la tête, soupirant. en serrant ses mains l'une contre l'autre. Le soleil disparut. En effet, depuis la mort de Jacob, Aysha ne jurait que pas Anwar, le petit Anwar. Sofiane était devenu l'homme de la famille, montrant ses forces, ignorant ses faiblesses, Samira la tête, l'intellectuelle qui n'hésitait à conseiller sa mère sur les affaires de l'État, Lina le bout en train, la perle qui alimentait une conversation de ses pointes d'humour et Anwar...L'enfant chéri. Le regard de Jacob. Une fois Aysha avait dit:"Regarde-moi mon fils, regarde-moi, car quand tu me regardes j'ai l'impression qu'il me regarde".Et elle avait pleuré. Chaudement. Anwar n'avait su que faire. Il avait sept ans et s'en souvenait comme-si c'était hier. Lina murmura:

-Des fois je me dis que j'espère rencontrer quelqu'un que j'aimerais autant que Maman aimait Papa, et quand je la vois parfois, errer tel un mort vivant dans les couloirs, et même dans le temple...J'en tremble de peur.

-Que voulons-nous vraiment Lina? Ne pas aimer et en souffrir, ou aimer à en mourir.

-Tu as une âme de poète Anwar, ne le perds jamais.

-Tu es une grande âme Lina, ne l'oublies jamais.

Ils se souhaitèrent une bonne nuit. Il faisait toujours aussi chaud en Auguste et les nuits étaient ardentes. Anwar tourna dans ses draps pendant des heures afin de se lever. Une promenade nocturne l'aida parfois à s'endormir. La lune était presque pleine et la lumière belle. Une légère chemise sur le dos, Anwar descendit les escaliers qui le séparaient du jardin intérieur. La fontaine fonctionnait encore, il s'assit sur le rebord humide, et s'approcha de l'eau, posant sa main juste au dessus, sans la toucher. Il se disait souvent qu'un geste pouvait bousculer un environnement. S'il plonge sa main alors le poisson qui se dandinait sous ses yeux fuyait, l'eau si calme, s'agiterait et pourtant ce n'était qu'une geste banal en apparence. On ignore les répercussions d'un petit mouvement sur l'ensemble. Il ne toucha pas l'eau, ne l'effleura même pas:

-Anwar.

Il leva le tête. Maman. Aysha, quelques cheveux blancs dans sa chevelure noire, des cernes sous ses yeux, des lèvres fournies, un teint basané, un corps frêle...Mais d'une beauté évidente. Aysha d'Auguste était une belle femme et objectivement tout le monde le savait, même ses enfants:

-Que fais-tu debout à cette heure? Demanda-t-elle en approchant de lui.

Elle posa une main affectueuse sur son épaule. Il l'embrassa tendrement:

-Je n'ai pas sommeil.

-À quoi penses-tu? Murmura-t-elle.

-À tellement de choses.

-Quelle est l'idée principale?

Anwar observa sa mère, il enfouie son regard dans celui d'Aysha. Il n'ignorait pas quel effet cela produisait sur elle:

-J'aimerai partir de Balsam.

-Partir? S'étouffa-t-elle.

-Oui, partir. Je veux voir le monde.

Elle s'assit à son tour:

-Je savais que ce jour arriverait. Fit-elle peinée. Sofiane ne jure que par l'Auguste, espérant être le meilleur Tariq qui soit, Samira ne veut que comprendre les rouages du pouvoir, Lina s'amuser, sans comprendre, mais toi...Tu ne sais pas ce que tu veux.

-Je ne sais pas qui je suis. Avoua Anwar. Cela fait des années que je veux te dire que...Je n'en peux plus de vivre dans l'ombre d'un homme que je n'ai jamais connu.

Aysha étouffa un sanglot, levant la tête vers le ciel, ravalant sa fierté:

-Je ne veux pas que tu partes Anwar. Tu es...Tu es tellement comme lui. Tout. Ta gestuelle, ta manière de parler, de voir le bien chez tout le monde, tes yeux!

Elle prit son visage entre ses mains, le fixant comme si elle voyait un fantôme:

-Tu es celui qui a passé le moins de temps avec lui, et pourtant tu es celui qui lui ressemble le plus. Je mourrai sans toi Anwar.

-Maman...

Il s'écarta, quitta son siège et essayant de s'exprimer malgré l'émotion:

-J'ai besoin d'être un peu moins comme lui, et d'être un peu plus comme moi. Et le seul moyen c'est de partir, loin de toi.

Aysha enfouit son visage dans ses mains. Anwar se précipita à genoux devant elle, mettant sa tête sur ses genoux à elle. Il lui enlaça les jambes et murmura, comme-s'il priait:

-Je t'en supplies. Je ne suis pas mon père. Je suis moi.

-Je sais. Je sais.

Elle lui effleura les cheveux, si denses, si beaux avant de lui embrasser le crâne. Son souffle était chaud. Son fils le sentit sur son corps. Il pleura. Aysha repassa brusquement à la manière dont elle avait élevé ses enfants, seule. C'était-elle trop reposée sur les aînés, ou avait-elle trop surprotégé les seconds? Ou les deux? Oui, elle avait commis des erreurs, mais ignorait les répercussions que cela pouvait avoir sur eux, personne ne peut savoir cela:

-Où veux-tu allé?

Anwar fut surpris, et ses yeux entourés de larmes se levèrent vers sa mère:

-Je l'ignore.

-Réfléchis. Et on trouvera une solution. Tu partiras. Ton père avait l'habitude de dire qu'on trouve toujours une solution. Maintenant dormons.

Elle se redressa et fit une bise à Anwar, sur sa joue humide et salée. Il resta un instant seul avec le bruit de la fontaine. Au dessus à un balcon, Sofiane était là. Il avait écouté la plupart de la conversation et n'avait qu'une pensée en tête: Anwar les abandonne. Il abandonne son pays, sa famille, son sang. Il fuit. Lâchement. Il avait toujours été lâche. Refusant de se battre, refusant d'être un bon Augustin! Sofiane serra les poings, enfonçant ses ongles dans sa paume. Lâche Anwar, brave Sofiane. Lâche Anwar. Brave Sofiane...

Les Seigneurs de Fallaris Tome 4: AugusteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant