Chapitre X

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Ce n'était pas une prison comme les autres. Dans une prison classique, les barreaux sont d'aciers, les gens de glaces, les plats froids, l'enfer devait se matérialiser en son sein. C'était ainsi, c'était la punition ultime, rien d'autre. Passer l'envie au plus petit délinquant comme au plus grand des meurtrier de réitérer son geste. Mais ici, dans cet endroit, tout était différent. Aucun barreau, quelques barbelés autour d'une vaste propriété, composée de hauts murs, d'une cuisine vérifiée chaque jour, personne ne devait empoisonner le grand Daniel Moscov.

Plus de trente geôliers se relevaient jour et nuit, jetant parfois un coup d'oeil à leur prisonnier. Le lieu hautement sécurisé était loin de tous et de tout. La « forteresse » était son surnom. La forteresse de l'Empereur Moscov. Le quotidien du pseudo-empereur était très bien délimité et cela sous sa seule impulsion. Il se levait à cinq heures et demi du matin, mangeait son petit-déjeuner, pratiquait son sport, ce qui lui donnait une carrure d'athlète, prenait une douche et lisait jusqu'à midi, heure de son déjeuner. L'après-midi il recevait son avocate à treize heures autour un café, noir, sans sucre. La discussion durait des heures...À dire vrai, Rosa Sevin, avocate au barreau de Lebel, était bien plus qu'une brillante femme pour Daniel, elle était sa maitresse, son amante, depuis plus d'un an. Grande, élancée, elle dégageait une maîtrise d'elle même absolument incontestable. Elle avait enflammée des procès de plaidoiries merveilleuses et historiques. Une méthode apprise en faculté de droit portait son nom: la méthode Sevin. Elle s'était jurée de ne jamais laisser un homme entrer dans sa vie de manière totale et irréversible et pourtant Moscov était arrivé à lui ravir son esprit et son coeur. Ses cheveux blonds, lâches, ondulés par endroit, accompagnait une face ravissante aux yeux bleus perçants. Son nez, quoi que imposant, était en harmonie sur son visage ferme, le tout semblait être couronné de ses lèvres roses et charnues. Dans son tailleur noir, elle attendait dans l'antichambre en compagnie de deux geôliers peu emphatique. L'un d'eux lui lançait des regards grivois, elle soupira en levant les yeux au ciel. Elle avait l'habitude. C'était deux fois plus dur pour une femme d'être acceptée en tant que personne compétente, mais une femme belle, capable de séduire tous les hommes qu'elle croisait, c'était trois fois plus dur. Elle avait une jolie tête bien remplie. Elle venait de fêter ses 37 ans, et avait déjà une belle carrière derrière elle, et surement une somptueuse devant elle.

Un petit bureau était dressé au milieu d'une pièce sobre aux murs blancs, et avec des fenêtres hautes, et inatteignable par l'Homme. Un des geôlier ouvrait parfois les vitres mais de l'extérieur seulement, impossible que le prisonnier puisse les ouvrir. Ce geôlier fumait. Daniel détestait l'odeur de la cigarette, c'était pour lui une bêtise énorme de se détruire la santé sciemment. Boire était un plaisir, mais fumer une absurdité. Rosa entra dans le bureau et prit place sur une chaise, son attaché caisse sur les genoux. Daniel arriva peu de temps après. Le cour des années se mêlaient doucement aux multiples cicatrices de son passé. Il avait toujours ce charme étrange et calculateur qui émanait de son sourire, et de ses yeux d'une banalité affligeante. Une cicatrice imposante traversait son crâne. Entourée de cheveux, elle était tel un chemin blanc qui conduisait à son front. Comme si elle indiquait le point sensible, l'endroit où Daniel souffrait. Rosa se leva et salua Daniel d'un sourire franc et qui se voulait magique. Il ouvrit ses bras et elle s'y logea amicalement:

-Ma chère Rosa. Assieds-toi. Nous avons tant à faire.

-En effet. Néanmoins nous sommes en bonne voie, je ne comprendrais pas les objections du procureur de Lebel concernant votre requête.

Daniel acquiesça d'un signe de tête grave. Il prit place au bureau, comme-s'il venait faire passer un entretien à Rosa. Elle sortit un épais dossier de son attaché-caisse. Daniel avait demandé un recours, une amnistie pour folie. Son crâne déchiré par les méfaits des Augustins jouaient en sa faveur. Faire semblant d'être fou pour un sain d'esprit et simplisme, faire semblant d'être sain d'esprit pour un fou, était presque impossible. Loin d'aimer la simplicité, Daniel se refusait de faire le fou « facile ». Il comptait sur une folie dissimulée, et réaliste. Rosa et Daniel eurent ainsi une longue discussion. Mettre en place le procès était compliqué et intense, tout comme leur relation. Rosa dit:

-Aizon s'oppose à votre nouveau procès. Elle affirme que cela serait vous donner du crédit.

-Des bruits de couloir j'imagine.

-Mais réels. Confia Rosa. Avec la séparation des pouvoirs elle ne peut, évidemment, pas exprimer son avis, mais il va de soit avec votre passé commun, elle...

Daniel leva la main pour la faire taire:

-Tout le monde sait que mon mariage « d'opportunité » avec Mme Pauline Aizon n'était qu'une mascarade n'ayant pour but que de me permettre d'avoir la nationalité Montoise. Elle est toujours avec ce maudit Ronor? Mon cher cousin.

-Oui. Dit Rosa. Néanmoins je peux vous affirmer que le procès aura lieu, c'est l'issue qui me semble peu prévisible.

-Le monde doit me voir Rosa. Voir que je suis un pauvre fou...

Il eut un sourire narquois et charmant. Son avocate ne rougit pas. Elle avait l'habitude de ces moments de séduction, d'échanges amoureux, de réflexions aguicheuses. Si une bonne partie de l'après-midi était consacré aux discussions judiciaires et folles, un moment était toujours consacrer aux rapprochements charnels entre eux. Le sofa du petit bureau servait exclusivement à cet instant de béatitude commun, d'embrassades mutuelles. Puis un gardien frappa trois fois à la porte car les visites étaient terminées.

Les soirées se ressemblaient dans la belle prison de Daniel. Il dînait avec le journal du jour. Il lisait souvent les actualités le soir, il n'aimait pas que son esprit soit encombré de faits divers sans interêt durant la journée. Et les nouvelles du monde, si insignifiantes soient-elles, lui permettaient de mieux dormir. En effet le monde sans lui était bien fade. Assis dans son fauteuil dans sa petite chambre, il entendit des pas dans le couloir, et quelqu'un sonner. Un gardien ouvrit les grilles de fers, et salua d'un mot le professeur Archibald. C'était un petit homme, dégarni, de grands yeux clairs espacés sur sa face droite et anguleuse. C'était le psychiatre de Daniel depuis plus de trois ans, depuis le jour où il avait plaidé la folie. Il entra dans la chambre et se racla la gorge. Daniel haïssait cet homme, mais se délectait de la manière dont il abusait de lui. « La folie fausse » était le nom de sa pièce de théâtre, celle qu'il jouait chaque semaine pour le même public: le Professeur Archibald. Il prit place face à son patient, croisant les jambes et tirant les pans de sa veste hideuse et trop large:

-Monsieur Moscov. Comment vous portez-vous?

-Bien et vous Professeur? Un verre de vin?

-Non merci. Fit-il. Je ne bois pas en travaillant.

-C'est très louable.

-Pour quand est votre procès?

Archibald déplia son dossier et sortit un petit carnet ainsi qu'un crayon à papier. Daniel ferma les yeux, joignant ses mains sur son torse:

-Dans trois mois. Ou avant. Rosa va fait son possible pour accélérer la chose.

En effet accélérer la démarche permettait de prendre de cours le procureur de Lebel qui sera peu préparé:

-Vous avez hâte? Reprit le docteur.

-Je l'ignore. Avez-vous hâte de témoigner ?

-C'est mon travail Monsieur Moscov.

-Votre travail...Vous savez quel est mon travail?

Archibald soupira et ne répondit pas. Daniel continua:

-Je suis Empereur. L'Empereur Daniel Moscov, fils de Salim d'Auguste, et d'Elizabeth IV d'Allénie. Voici mon travail Docteur.

-Vous considérez cela comme un travail?

Daniel se redressa, le dos droit et fixa de son regard simple Archibald:

-C'est une destinée! Un travail! Une destinée! C'est les deux à la fois. Votre métier était-il votre destinée?

-Je ne pense pas. Murmura Archibald. Le destin et le travail sont deux choses différentes. Pourquoi associez-vous de tel concept?

Le patient se mit à rire. Un rire fin et court:

-Les concepts sont créés pour être associés afin de créer de nouveaux concepts. Ainsi soit-il. Rey nous guide Docteur.

-Rey vous guide vers où?

Daniel resta le regard fixe sur son psychiatre et, de la manière la plus apathique du monde, répondit:

-Vers la gloire et le pouvoir. 

Les Seigneurs de Fallaris Tome 4: AugusteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant