Chapitre XVI

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Le procès du siècle, selon la presse, approchait. Depuis celui de Lana Ronor et Cyril Moscov, ou celui de Soline Candice, aucun procès n'avait fait couler autant d'encre. Daniel Moscov allait avoir droit à un nouveau procès, un avec du recul, un que jugeront une nouvelle génération, certes touchée par ses actions, mais admirative malgré elle de son combat. En tout cas, il se plaisait à le croire. Pauline grimaça, jura, et froissa brusquement le journal qu'elle lisait, puis elle le lança à travers la pièce. Seule dans son bureau, elle se garda toujours un moment pour lire tous les journaux nationaux. Il était si tard que la nuit était déjà pleine. Demain, le Ministère de la Justice annoncera que le recours de Daniel Moscov citoyen montois était accepté, même si au fond tout le monde était déjà au courant. La présidente Pauline avait été mise en courant en amont, ne pouvant rien faire contre cela. Séparation absolue des pouvoir. Son téléphone sonna. Elle décrocha par réflexe:

-Allo.

-Allo Madame la Présidente Aizon.

-Oui, à qui ai-je l'honneur?

-La Tariqua Aysha d'Auguste.

Pauline se redressa:

-Aysha.

-Pauline.

Elles s'appelaient par leurs prénoms depuis quelques années déjà:

-J'ai eu vent de cette horrible nouvelle. Murmura Aysha.

-Tu es donc déjà au courant.

-Tous les dirigeants concernés savent. Penses-tu vraiment que ce genre d'information reste confidentielle?

-Non, évidemment. J'imagine que tu penses que c'est une mauvaise idée.

-Oui. Tu n'as pas la possibilité d'empêcher cela?

-Non. Je n'ai aucun pouvoir sur la Justice, cela serait anticonstitutionnel.

-Bien. Si c'est ainsi. Nous n'avons guère le choix. Dit Aysha au bout du fil. Daniel va avoir un procès alors que l'opinion publique lui est favorable. Sa folie est-elle réelle?

-Qu'importe. S'énerva Pauline. Il a toujours été fou. Fou du pouvoir, fou de lui, fou de tout!

-Tu as raison. Il est fou, mais qui sommes nous pour le juger? La folie nous a tous touché un jour.

Pauline se demandait bien de quoi voulait parler Aysha. Elle préféra ignorer cette intervention. La conversation semblait lointaine et étrange, tels deux fantômes du passé qui discutaient d'un monstre plus grand et plus fort qu'avant. Puis Pauline demanda:

-Comment vont tes enfants?

-Bien, Sofiane est prêt à prendre la relève, même si nous avons le temps, Samira a le nez plongé dans des ouvrages divers et variés, elle a soif de connaissance, Lina est toujours aussi... « éparpillée ». Ria Aysha. Et Anwar va bien.

-J'en suis ravie. Sourit Pauline.

-Et toi?

-Herny est en 8 eme année de médecine, Andréa est à la faculté d'Humanité et Ronor...

Pauline hésitait toujours à parler de son mari depuis la mort de Jacob. Aysha sentit sa gêne et dit:

-Ton bonheur me fait plaisir Pauline. Jacob est mort il y a longtemps. Je souffre chaque jour un peu moins.

-Désolée. Ronor est toujours aussi têtu.

Aysha ria doucement. Elles discutèrent de choses futiles avant de raccrocher. Pauline eut un petit sourire, heureuse de savoir qu'elle n'était pas seule sur ce bateau, celui qui allait droit vers Daniel Moscov. Tout à coup quelqu'un frappa à la porte. Si tard! Pauline invita cette mystérieuse personne a rentrer. Un secrétaire apparu et tendit une missive cachetée du ministère de la justice. Elle s'étonna de recevoir un courrier de leur part. En tant que Présidente elle recevait rarement des courriers du ministère le plus puissant. Elle l'ouvrit dès qu'elle fut seule. Elle jura, se prit la tête et soupira de désespoir. Convoquée, elle était convoquée. Rosa Sevin avait bien fait son travail, elle valait son prix. Le procès aura lieu dans trois semaines exactement, et Pauline sera appelée à la barre pour expliquer ce qu'elle reproche à Daniel Moscov, son ex-mari, et ennemi. Elle se précipita chez elle. Ronor devait être au courant rapidement.

Lui aussi était convoqué. À peine Pauline passa la porte de leur demeure qu'il lui mit le courrier sous le nez avec une rage telle qu'il était rouge. Ils s'isolèrent dans le bureau, les enfants étant dans le salon:

-Tout le monde doit l'avoir reçu. Philosopha Pauline.

-Qui?

-Aysha, Pia...Je ne sais qui d'autre.

-Nom de Rey! S'énerva Ronor en s'affalant dans le sofa près de la fenêtre. Nous allons tous ensemble devoir justifier l'enfermement dans une prison de Daniel. Quelle horreur!

-Nous ne devons pas nous inquiéter, il suffira de raconter ce qui s'est passé il y a des années et les juges seront convaincus de sa bonne santé mentale.

-Il est fou Pauline. Tu le sais. Mais il n'est pas guérissable. C'est le seule chose dont je suis certain. Il restera à jamais fou.

Regardant sa convocation, Pauline imaginait sans peine les réactions d'autres souverains.

Pia entra dans une colère monstre que même Harald et Ida ne purent calmer. Elle hurla les prénoms de ses deux fils décédés et affirma que jamais Moscov ne méritait un tel traitement de faveur. Un hôpital psychiatrique et pourquoi pas un hôtel tant qu'on y est. Puis elle s'effondra en larme dans les bras de son mari. Ce couple si unis n'était plus tout jeune et chérissait chaque instant de leur vie. Ida de Harval était toujours célibataire, du moins officiellement. En réalité elle fréquentait depuis des années Anders Blake dont elle avait toujours été amoureuse, mais qu'elle ne pouvait pas épouser en l'absence de sang royal dans ses veines. Ainsi toute la famille savait qu'ils étaient ensemble, mais aucunes fiançailles à l'horizon. Malgré tout l'amour qu'elle portait à sa mère, Ida n'avait qu'une hâte: devenir Hospodar afin d'abolir cette loi stupide de sang pur. Mais ce n'était pas le principal problème de la famille à présent. Moscov en était un.

Aysha brûla la convocation par défi et assura qu'elle n'y répondrait pas. Samira désapprouva d'un signe de tête en croisant les bras. La Tariqua n'était pas en colère, elle était bien plus que cela. Elle se mourrait intérieurement à chaque tentative de Daniel. À chaque évocation de son nom, du nom de ce monstre, un morceau de son existence disparaissait rejoignant Jacob un peu plus. Samira prit sa mère dans ses bras. Aysha respira lentement dans les longs cheveux de sa fille, comme-si ils étaient de l'air. Sofiane, comme alerter par le bruit silencieux du désespoir de la personne qui l'avait élevé, arriva. Il grogna devant la situation, sentant son souffle saccadé sortir de ses narines. Il jura, en levant le poing:

-S'il sort, je le tuerais! Tu m'entends Maman, je le tuerai de mes propres mains!

-Tu n'aides pas. Soupira Samira sans lâcher sa mère. Ta colère ne sert à rien à cet instant.

-Je l'utiliserais. Elle est puissante, et forte.

Aysha ne répondit pas. La haine parcourait le corps de son fils et elle en avait peur.

Alexane resta silencieuse devant la lettre. Elle la lut à Francis dans l'intimité de leur chambre conjugal. Il se contenta d'hocher le tête d'un air pensif. Ils avaient vieillis, tous les deux, de la même manière: le blond devient blanc doucement, les rides se forment aux coins des yeux bleus, et la bouche souriant devant le bonheur de leur famille. Comme si le vieil adage était vrai: les gens qui vivent ensemble finissent par se ressembler. Bientôt Léonie annoncerait, probablement, un heureux événement, du moins Alexane l'espérait. Marcos Eliade était un homme bon et juste, un mari honorable, presque parfait malgré sa légère tendance au mystère. Il parlait peu ce qui avait le don d'agacer Francis parfois, dont la fille Irène, parlait sans cesse. Iréne Radmacher du haut de ses 18 ans, était une cavalier émérite et une femme accomplie. Elle appréciait particulièrement l'extérieur. Qu'il pleuve, qu'il vente, ou qu'il neige, elle avait toujours le nez dehors. Cette famille recomposé était à l'image de la situation de l'Allénie: ébranlée par des pertes et des amours maudites, mais plus forte que jamais. Jusqu'à cette convocation au tribunal. Côté à côté dans leur lit, Alexane et Francis discutaient:

-Tu vas y aller ? Demanda-t-il.

-Oui, si cela permet son enfermement à vie. Je dois y aller.

-Tu as raison. Je resterai surveiller Irène.

-Pourquoi tu as toujours peur qu'elle fasse une bêtise? Ria Alexane.

-C'est une Radmacher, nous sommes nés pour commettre des bêtises. Plaisanta-t-il.

Malgré cette nouvelle, ce procès en bonne voie, Alexane et Francis se couchèrent l'un contre l'autre, assurant que personne ne pourrait jamais les séparer. 

Les Seigneurs de Fallaris Tome 4: AugusteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant