Chapitre 10 : Se battre ?

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Green Day – Boulevard of Broken Dreams

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– Matt ?

Matthew se tourna vers la silhouette sombre de Neil qui scrutait la petite salle du personnel depuis l'encadrement. La lumière revint et il croisa son regard.

– La police ne viendra pas, dit-il en le rejoignant, l'air fier de lui. J'étais sûr que tout le monde partirait en entendant parler de « dédommagement financier ».

– Génial, lâcha Matthew en se forçant à adopter son ton blasé habituel.

Neil le dévisagea en silence et il se sentit obligé de préciser :

– Dégage.

– OK, là je vais avoir besoin d'un éclaircissement. Si c'est le truc anti-incendie, je suis désolé, mais il n'y avait pas vraiment beaucoup de solutions et je te ferai remarquer qu'au fond, tu as cherché tout ce qui t'est arrivé.

– Cette histoire de groupe était une mauvaise idée, répondit Matthew en se relevant. Avec mon agence pour me pourrir, ce n'est pas toi qui changeras quoi que ce soit à la situation. Je ne suis pas un artiste, je ne l'ai jamais été. C'est terminé et j'ai perdu mon temps.

– C'est à cause de ce qui vient de se passer que tu dis ça ? Tu abandonnes parce que c'est trop d'efforts de ne pas être un connard ? Pourtant tu y arrivais très bien quand tu jouais au pantin pour ton agence.

– Ce n'était pas moi, répliqua Matthew, et je suis fatigué de faire semblant, de porter un masque pour que des inconnus, dont je n'ai rien à foutre, m'apprécient. Je n'ai aucune envie qu'ils s'approchent encore de moi, je veux qu'on m'oublie, qu'on me foute la paix !

Il frissonna, il commençait à avoir froid dans ses vêtements détrempés. Neil tira sur une manche pour retirer sa veste et la lui tendit.

– À t'entendre, tu es misanthrope.

– Ferme-la, répliqua Matthew d'un ton acide en jetant la veste comme s'il s'agissait d'un déchet.

– Quelqu'un qui n'a que du dégoût pour l'être humain, sans aucune distinction. Je suis désolé, mais c'est exactement toi, alors qu'est-ce qui te gêne ? Que je mette un nom sur ton problème ?

Neil avait parlé d'un ton calme, mais le bref regard qu'il avait lancé à sa veste baignant sur le sol trempé trahissait son agacement.

– Je n'ai aucun problème, dit Matthew.

– Si tu ne le reconnais pas, ce n'est pas près de se résoudre ! Arrête un peu de réagir comme un gamin et prends tes responsabilités ! Tu t'es fait virer de ton agence, et tant mieux si tu détestais ce que tu faisais, mais tu n'es plus en mesure de faire autre chose maintenant ! Tu n'as pas le temps de reprendre des études et aucun petit boulot normal ne pourra t'accepter, je crois que ça, on n'a plus besoin de preuve !

Matthew continua de le toiser de son expression la plus dédaigneuse et Neil serra plusieurs fois le poing comme s'il se retenait de le frapper.

– Tu l'as dit toi-même, tes ressources ne sont pas illimitées ! explosa-t-il. Si tu refuses de te battre pour ta carrière, tu finiras à la rue, sans avenir !

Il y eut un nouveau silence et Neil le saisit par le col de sa chemise.

– RÉPONDS ! Est-ce que tu comptes te battre, OUI OU MERDE ?!

Matthew soutient son regard.

– Non.

Neil le lâcha et ramassa sa veste dans un silence glacial. Puis il quitta la salle du personnel. Matthew resta encore de longues minutes le regard dans le vide, ses vêtements trempés lui collant à la peau, avant de sortir à son tour. Il traversait un rayon saccagé quand le gérant du magasin se précipita à sa rencontre.

– Monsieur Eldohn... Je suis terriblement désolé pour cet incident, j'ai... j'ai ma part de responsabilité dans ce qui vient de se passer... je n'aurais jamais dû... vous n'êtes pas responsable, sachez-le, mais... je pense que vous comprendrez... il n'est plus vraiment question que vous reveniez travailler ici... Je suis encore désolé...

Matthew détacha son badge et ouvrit la main pour le laisser tomber au sol avant de quitter le magasin sans un mot. Dehors, le vent léger lui donna l'impression d'être glacé jusqu'aux os et il serra les dents pour les empêcher de claquer.

Il habitait à plusieurs kilomètres de là, mais un bus faisait la liaison avec son quartier. Il se dirigea donc à l'arrêt sans se préoccuper des regards atterrés des passants quant à son état lamentable. Matthew songea qu'au moins, jamais personne ne le reconnaîtrait ainsi.

Lorsque le bus s'arrêta devant lui, il lança quelques pièces au chauffeur qui le dévisagea de haut en bas, hésitant à lui donner une place. Matthew lui lança un regard noir et le conducteur se décida à lui tendre l'un des tickets.

– Ne prenez pas de siège... commença-t-il alors que Matthew lui arrachait le ticket des mains.

Puis, sous le regard scandalisé des passagers, il choisit une place et s'y assit, les murmures et remarques destinées à le mettre mal à l'aise glissant sur lui comme sur de la glace. Il se passa plusieurs arrêts et lorsque Matthew se leva finalement pour descendre, son siège était presque plus trempé que lui.

Il descendit sans s'en préoccuper et longea de nombreuses rues sous les regards désapprobateurs et méfiants des riches propriétaires. Dès qu'il fut enfin chez lui, il arracha ses vêtements inconfortables pour se réfugier sous une douche brûlante. Il aurait voulu hurler toute sa frustration, toute sa haine, mais il se contenta de silence.

Ce futur de liberté dont il avait tant rêvé n'était qu'un autre enfer. Un enfer qu'il ne pouvait même plus fuir, qui le suivrait, quel que soit le chemin qu'il tenterait d'emprunter. Plus possible de mener une vie normale, de trouver un travail ou de rencontrer des personnes en qui avoir confiance. Matthew frappa contre la vitre inondée de la douche qui vibra d'inquiétantes secondes.

Il resta longtemps, laissant le jet brûlant effacer les tensions et les mauvaises pensées qui l'empoisonnaient. Quand la chaleur devint insupportable, il tendit le bras et attrapa une serviette sur le radiateur mural.

Avec dépit, il regarda tout autour de lui ; les meubles lustrés dans un design moderne destiné à simplifier la vie, les détails et gadgets qu'ils fournissaient, les rangements dissimulés, les meubles parfaitement adaptés à lui... tout ce confort allait lui manquer cruellement. Matthew ne se faisait pas d'illusions ; sans emploi, il n'irait nulle part. Et ses parents étaient hors de cause... Après ce qui s'était passé, jamais son père ne le laisserait revenir, et sa mère ne s'opposait jamais à cet homme, sachant elle aussi qu'il valait mieux ne pas le contredire.

Une fois dans un pyjama sec, Matthew se laissa tomber sur son matelas et enfoui son visage dans ses mains. Il se sentait oppressé à la seule pensée de futur. Chaque seconde le précipitait un peu plus vers un abîme insondable. D'un geste las, il frappa dans ses mains et la lumière s'éteignit.

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