Chapitre 14 : Différent

716 102 11
                                    

Lifehouse – Between The Raindrops

____________________________


Lorsque Matthew émergea d'un sommeil sans rêves, le réveil indiquait sept heures quarante-sept. Il passa par la salle de bain pour s'habiller d'une chemise simple qu'il assortit d'un jean et d'un gilet.

– Ouvre les volets, ordonna-t-il en entrant dans le salon.

Le mécanisme à reconnaissance vocale s'enclencha aussitôt et l'obscurité fut chassée par la lumière du soleil. En apercevant la silhouette endormie dans le canapé, Matthew eut un mouvement de recul, avant de se rappeler de qui il s'agissait et ce qu'il faisait là.

Mais visiblement, le bruit et la soudaine lumière n'avaient pas perturbé Neil, car il dormait encore à poings fermés, ses mèches blond cendré reposant sur son visage. Matthew se demanda s'il était simplement épuisé où s'il avait appris à dormir quelle que soit la situation, dans son immeuble miteux. Sans plus s'en préoccuper, il alluma son ordinateur portable pour consulter les actualités pendant qu'un de ses robots lui pressait un jus de pomme.

Il était presque midi quand Neil émergea enfin, l'air désorienté. Quand il accrocha le regard de Matthew, il passa une main sur sa figure.

– S'lut, marmonna-t-il.

Visiblement, ses réveils étaient difficiles. Un sourire moqueur flotta sur les lèvres de Matthew alors qu'il reportait son attention sur les informations.

– C'est un peu tard pour le déjeuner, il va bientôt être midi, déclara-t-il sans relever les yeux de son écran.

Une idée lui vint et il chargea une nouvelle page de navigation, fouillant dans son esprit à la recherche d'un nom perdu dans le lointain de sa mémoire.

– Tu... payes l'eau chaude ? marmonna Neil.

– Pas la peine de prendre une douche froide, dit Matthew, agacé d'être dérangé dans sa recherche. C'est la porte attenante à ma chambre.

Neil ramassa ses vêtements de la veille et se dirigea vers la salle de bain. De son côté, Matthew avait enfin trouvé ce qu'il cherchait – à force d'essais hasardeux. Il recopia le numéro sur son portable et écouta les sonneries habituelles. Un bip, deux bip...

Traiteur du Haut'rang, fit une voix professionnelle dans son haut-parleur. Je vous écoute ?

Au moment précis où Neil sortait de la douche, on sonnait à la porte. Matthew traversa le jardin pour ouvrir au livreur, lui paya la commande et la ramena à l'intérieur. Les boîtes contenant la nourriture étaient chaudes dans ses mains. Neil le regarda déposer les paquets sur la table de verre d'un air interdit.

– Tu n'aurais pas dû faire cette dépense.

Il semblait plus réveillé, mais n'avait toujours pas retrouvé son entrain habituel.

– Tu as mangé le saumon de ce midi et je n'avais rien d'autre à t'offrir, dit Matthew en désignant un des hauts sièges.

– Alors tu aurais dû le garder, je ne comptais pas m'incruster pour ce repas aussi, je me suis seulement réveillé tard.

Neil passa une main sur son visage et ferma un instant les yeux. Pendant ce temps, Matthew déballa le contenu des différentes boîtes, plus appétissantes les unes que les autres. Il avait pris un peu de tout ; des nems aux sushis en passant par le poulet caramel, le mélange d'odeurs était tout simplement exquis.

– Je vais y aller, répéta Neil en fuyant la nourriture du regard.

– Au final, j'ai l'impression que tu n'étais pas honnête hier, dit Matthew, tu n'aimes pas tant que ça recevoir et tu ne dis pas oui quand le cadeau te paraît trop. Enfin maintenant j'ai payé et c'est trop pour moi. Prends ou ça finira à la poubelle.

– J'espère que tu n'es pas sérieux... !

Mais il fallut que Matthew attrape la boîte des nems et ouvre le couvercle de sa poubelle en fixant le violoniste dans les yeux pour que celui-ci se décide à bouger. À contrecœur, Neil s'installa à la table de verre et résista encore un peu avant de tendre la main vers le poulet au caramel.

– Tu es insupportable, marmonna-t-il.

Matthew redéposa la boîte avec un sourire en coin. D'une il avait gagné, de deux, travailler avec Neil s'il avait constamment l'air affamé lui aurait pesé sur les nerfs.

Lorsqu'ils se levèrent pour jeter les emballages, il ne restait pas une miette du repas.

– Je vais rentrer chez moi, dit Neil. Je dois travailler sur mes partitions, trouver de nouvelles paroles... Les fans n'attendront pas indéfiniment maintenant qu'ils savent que tu reprends du service.

– Pendant ce temps je vais chercher un nouvel appartement où on puisse répéter.

– Oui, chez moi ça risque d'être difficile, avec mes problèmes de voisinages.

Il y eut un léger silence et Neil indiqua la porte d'entrée, attendant qu'il lui ouvre. Matthew n'en fit rien ; comment allait-il retrouver le chemin jusqu'à son quartier s'il s'entêtait à refuser de payer un taxi ? Mais Neil semblait déterminé à déranger tous les passants jusqu'à retrouver le chemin de son quartier. Comme il avait l'air sûr de lui, Matthew lui déverrouilla la porte. Neil s'arrêta cependant devant la grille et sortit l'antiquité qui lui servait de téléphone.

– Ah et Matt ! Ça simplifiera les choses si tu prends mon numéro, tu sais, pour s'organiser.

Matthew enregistra le numéro qu'il lui dicta parmi ses contacts et suivit Neil du regard alors qu'il longeait les haies taillées à la feuille près. Puis ce qui venait de se passer le frappa. Se rendre dans l'appartement de quelqu'un qu'il connaissait à peine l'avait déjà fait tiquer, mais il s'était convaincu que les circonstances l'exigeaient. Là, c'était différent. Il l'avait invité chez lui. Personne n'était jamais entré chez lui. Pourtant, en voyant Neil sur le trottoir en pleine nuit, sans téléphone valable pour se diriger, et probablement sans argent non plus, il n'avait même pas hésité.

Ça ne lui ressemblait pas. Comment avait-il pu dormir avec ce semi-étranger dans la pièce à côté ? Peut-être que la journée et les émotions l'avaient fatigué plus qu'il ne le réalisait ?

Sans doute, oui. La fatigue, sa pitié pour Neil... ou alors, il avait chuté si bas qu'il n'avait plus rien à perdre ? Oui, ça devait être ça. Il aimait sa solitude, il n'y avait pas de raison que ce soit différent avec Neil.

Pour se changer les idées, il consacra son après-midi à la recherche d'un appartement en location et sillonna de long en large les sites immobiliers présents sur la toile, notant de temps à autre les références intéressantes.

Dès le lendemain, il avait obtenu la visite de plusieurs appartements relativement modestes ; le confort lui importait peu tant qu'il possédait un toit pour dormir et suffisamment à manger. Contrairement à Neil, il n'était pas prêt à sacrifier sa santé.

Même si le violoniste ne s'était probablement pas vu offrir beaucoup d'autres options.

ShowOù les histoires vivent. Découvrez maintenant