Chapitre 50 : Soutien

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Paradise Fears - Battle Scars
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Cette fois, son père ne daigna pas venir le voir ni l'informer de la marche à suivre. Matthew se réveilla aux aurores avec la sensation d'un mauvais rêve et se trouva incapable de se rendormir, trop préoccupé par la présentation du soir même. Il n'avait aucune idée de ce que son agence exigerait de lui pour l'épreuve finale. Qu'attendaient-ils ?

Peu avant midi, on toqua enfin à sa porte. Le garde de faction lui donna une salade dans un emballage cartonné et un mot signé Winston. Il referma la porte au nez du garde et déplia le papier.

Comme nous l'avons dit lors de notre dernière conversation, ta réputation importe peu. Tu vas remporter ce trophée, quel qu'en soit le prix. Si nous voulons atteindre cet objectif, il faut que tu remportes à la fois l'adhésion du jury et du public.
Tu vois, mon fils, j'ai toujours pensé que les torts que nous infligent les autres finissent par se payer d'une façon ou d'une autre. J'avais raison, parce que tu as écrit la seule chanson capable de décrocher le trophée malgré tous les mauvais jugements que te portent tes fans. Tu ne peux l'avoir oublié, elle a fait couler tant d'encre après ton dernier concert. Cette fois, je te laisserai aller jusqu'au bout de ce que tu as à dire.

Matthew froissa le papier dans son poing. Il ne pouvait pas lui demander ça. Il ne pouvait pas chanter ça. Ces paroles se destinaient à Neil, contenant tout ce qu'il était incapable de lui dire en face. S'il achevait sa chanson, Neil comprendrait qu'elle s'adressait bien à lui, à qui d'autre pouvait-il dire ça ? Et ça ne pouvait pas arriver alors qu'il se trouvait juste derrière lui, dans les coulisses.

Matthew pressa son poing contre son front. Une fois avait été suffisamment angoissante, il ne voulait pas chanter ça à nouveau, encore moins alors qu'il serait ensuite diffusé devant tout le pays.

Mais il n'avait pas le choix.

Sa salade resta intacte. Son estomac était trop retourné pour qu'il puisse avaler quoi que ce soit. Quand la limousine se gara devant le bâtiment où se tournait le concours des Espoirs, Matthew se sentait nauséeux.

Il croisa Neil dans les coulisses, seul à répéter avec son violon, ses lèvres remuant sans le moindre son alors qu'il répétait ses paroles. Une fraction de seconde, leurs regards se croisèrent, mais aucun d'eux ne maintint l'échange.

La première à passer fut Alicia Keitmarch. Matthew n'écouta rien de sa représentation. Ses mains tremblaient et rien ne parvenait à calmer son trac. L'envie de vomir qu'il ressentait revint en force, tordant son estomac vide.

Les lumières s'éteignirent sur Alicia et la foule s'embrasa pour saluer sa prestation. Le jury se mit à l'annoncer. C'était son tour, mais Matthew resta immobile ; ses jambes semblaient faiblir. Est-ce qu'elles réussiraient à le porter jusqu'au-devant des jurés ?

Les lumières se rallumèrent et il fut forcé de bouger, il aurait déjà dû être sur scène. Lorsqu'il franchit les rideaux, un silence de plomb l'accueillit. Il avança vers le devant de la scène, entendant le sang bourdonner à ses oreilles. C'était particulièrement blessant. Tous ses récents faux pas les avaient amenés à le détester. Il savait que leur réaction était justifiée, mais devoir s'ouvrir face à cet essaim d'hostilité... Un regard en arrière et il distingua la silhouette de Neil dans les coulisses.

Exprimer ses sentiments, à froid, lui semblait insurmontable. Il était seul, le silence pesait sur lui, même le jury semblait embarrassé. Sa détresse empira lorsque les premières notes résonnèrent, et il leva son micro. Ses mains tremblaient.

Il fouilla son esprit à la recherche des paroles originales, vides, composées par son agence, mais impossible de s'en souvenir. Il avait volontairement refusé de les apprendre et à présent il se retrouvait sans issue de secours.

Soudain, il y eut une grande agitation et le public explosa en cris hystériques. La mélodie de sa chanson et les paroles qu'il avait eu le temps de prononcer avaient beaucoup tourné sur le web, filmées à travers différents portables. On y voyait la musique se couper, puis les lumières s'éteindre. Pas étonnant que certains l'aient reconnue, et que l'info se soit répandue comme une traînée de poudre dans les gradins.

Matthew entrouvrit la bouche, les notes marquant le début des paroles approchaient. Le cœur battant douloureusement fort, il entendit l'accroche où il aurait dû commencer à chanter, mais fut incapable d'émettre le moindre son. La mélodie se poursuivit, et tout le monde commença à réaliser que quelque chose n'allait pas. Puis le silence revint brutalement, pesant.

– Excusez-moi, articula-t-il, le sang bourdonnant à ses oreilles. Est-ce que... je pourrais recommencer... ?

Le jury eut un sourire compatissant et la musique recommença. Manquant d'air, Matthew tenta de se calmer. Les notes fatidiques se jouèrent bien trop vite. Il ouvrit la bouche, sachant d'avance qu'il n'y parviendrait pas. Pire que de se ridiculiser devant le pays entier ; son père allait le tuer.

Encore une fois, sa voix lui manqua. Il était incapable de se lancer. Quelque chose bloquait. La musique s'éteignit à nouveau, et cette fois, l'expression du jury fut bien moins indulgente.

– Je suis désolé, souffla Matthew. J-je n'arrive pas à... je ne peux pas faire ça...

– C'est votre dernière chance. Si vous refusez de chanter, vous serez disqualifié, dit le critique.

Matthew serra les dents. Il devait le faire... sauf qu'il ne réussirait pas. Il avait l'impression de se trouver face à un mur insurmontable. Quoi qu'il tente, il s'y heurterait. La gorge serrée, il entendit des bruits de pas dans son dos. Le public s'enflamma alors que Neil le rejoignait en courant à moitié, son violon à la main.

– Qu'est-ce que tu... ?

Neil l'interrompit d'un coup de coude.

– Je connais le début de ta chanson, ne me demande pas pourquoi et chante.

Malheureusement, la stupéfaction ne suffisait pas à chasser l'angoisse qui suffoquait Matthew. D'un signe, Neil fit repartir la chanson, s'amusant à donner quelques intonations avec son violon.

Lorsque le moment où il devait chanter arriva, Matthew baissa la tête. Neil lui jeta un regard de côté, et à sa grande surprise, commença à chanter à sa place. Les yeux écarquillés, Matthew finit par l'imiter. Sa voix était faible, mal-assurée, et Neil l'accompagna quelques secondes, le temps qu'il prenne un peu confiance. Puis, il le laissa continuer seul, se concentrant sur son violon qui agrémentait les notes, lui répondant, l'accompagnant.

Ce fut extrêmement difficile, mais à travers les paroles qu'il avait écrites, il dévoila absolument tout ce qu'il avait sur le cœur. Il se demandait juste comment Neil avait pu gober que ça ne s'adressait pas à lui.

Profitant d'un court répit dans la chanson, Matthew osa un coup d'œil vers lui pour juger sa réaction. Des larmes silencieuses roulaient sur les joues de Neil, tombant parfois sur son violon. Il fermait les yeux, les sourcils froncés, comme s'il luttait contre lui-même.

Il fut bien plus difficile d'enchaîner le dernier couplet après ça, mais Matthew s'obligea à terminer sa fichue chanson. À présent, il voulait que ce crétin de Neil l'entende.

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