Chapitre 12 : Vital

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Tonight Alive - Wasting Away

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Il le tenait. Et cette fois, Matthew allait définitivement faire cesser ce connard qui se servait de son nom pour il ne savait quelles obscures raisons. Dès qu'il posa le pied sur les marches menant à l'estrade, Neil se tourna vers lui. Il arborait un sourire entendu, comme s'il savait d'avance que Matthew viendrait.

Ce fut la goutte d'eau de trop. Quelqu'un devait payer pour tout ce qui s'était passé et pour le futur de merde dans lequel ça l'enfonçait. Matthew se jeta sur lui et Neil bascula en arrière. Il heurta l'estrade de bois et tous deux roulèrent jusqu'à ce que Matthew réussisse à le bloquer au sol. Le fait que Neil ait cessé de sourire lui donna un bref sentiment de victoire. Puis il abattit son poing dans la figure du violoniste qui se débattit pour se dégager. Au deuxième coup qu'il encaissa, Neil réussit à libérer l'un de ses avant-bras et lui asséna plusieurs coups de coude dans les côtes. Matthew se replia sur lui-même et le violoniste le projeta sur le côté. Matthew roula contre le bois de l'estrade et se releva en toisant son adversaire qui l'imitait, le souffle court.

– Je savais que tu viendrais... marmonna Neil.

La douleur dans ses côtes l'énervant plus encore, Matthew avança vers lui, le fixant d'un regard noir. Le violoniste recula d'un pas et désigna le public qui les observait dans un silence absolu. En tendant l'oreille, on pouvait entendre le bruissement des feuillages et les clapotis d'une fontaine proche.

– C'est pour eux, pas pour moi, dit Neil en tentant de reprendre contenance. Tu as dit que tu en avais assez de porter un masque, non ? Là je crois que tu es parfaitement sincère dans ton envie de me descendre. Enfin, si tu pouvais attendre encore un peu ; ici tu n'as rien, aucun artifice.

Matthew le dévisagea. Il pensait comprendre la signification de tout ça, et cela l'irritait. Il avait dit qu'il voulait abandonner, que ce métier n'était pas pour lui, et Neil avait décidé de s'acharner, à sa place ; s'il chantait maintenant et que le public appréciait, cela serait la preuve que tous le reconnaissaient, son talent et lui, pour ce qu'ils étaient. Sans aucun artifice.

– Je t'ai déjà dit... commença Matthew d'un ton qui retrouvait peu à peu sa froideur habituelle.

– Je sais, répliqua Neil. Pourtant tu es un artiste, parce que tu en as le talent et la persévérance. On ne devient pas aussi doué que toi sans sacrifices et sans y consacrer énormément de temps. Je sais de quoi je parle. Et tu penses qu'on n'apprécie que l'image creuse donnée par ton ancienne agence ? Les gens se retournaient, dans la rue, quand tu as chanté pour eux. Mais puisque ça ne semble pas suffisant pour te convaincre...

Il désigna à nouveau la foule qui les observait, filmait et se faisait silencieuse pour ne perdre aucun mot de l'échange. Neil s'esquiva un bref instant et sortit son violon de l'étui posé au fond de la scène. Il revint se placer à côté de lui, ou du moins à une distance suffisante pour pouvoir réagir en cas d'attaque, et cala le violon sur son épaule. Dès les premières notes, Matthew reconnut la mélodie qu'il avait chantée, dans l'appartement miteux. La balle était dans son camp, chanterait-il ?

Les notes lui remémorèrent les paroles qu'il avait lues. Il jeta un coup d'œil à la foule le fixant avec espoir, puis Neil qui jouait, les yeux fermés comme à l'accoutumée. Un léger frisson le parcourut alors que la douce musique l'enveloppait. Il aimait chanter, c'était ce qui le poussait à avancer, à s'améliorer ; sa passion depuis qu'il était en âge d'aligner les mots.

Puis Neil acheva la mélodie et l'air changea pour un accompagnement discret. Matthew cessa de réfléchir et se lança. Il avait l'impression que cela faisait une éternité qu'il n'avait ne serait-ce que fredonné et le sentiment de félicité qui le prit à la gorge lui fit réaliser à quel point ça lui avait manqué.

Ce fut à regret qu'il tient la dernière note de la chanson et se tut. La foule tint une seconde de silence avant d'exploser en applaudissements dans une clameur infernale. Neil fit un bref salut, un sourire en coin dansant sur ses lèvres, alors que Matthew restait silencieux à fixer, sans le voir, le public déchaîné en face de lui. Le poids qu'il avait sur le cœur depuis qu'il s'était fait renvoyer de son agence semblait s'être soudain allégé.

Alertées par l'événement, les autorités eurent un mal fou à faire évacuer le parc.

Restés seuls sur scène, aucun des deux ne dit un mot. Matthew s'approcha du bord de l'estrade et s'y laissa tomber, ses jambes balançant dans le vide. Neil le rejoint et s'assit en tailleur, rangeant avec précaution le précieux violon dans son étui. Il ne fallut pas longtemps pour que des journalistes les encerclent et les bombardes de questions, mais une seule retint l'attention de Matthew.

– Comptez-vous continuer votre carrière ? lança une jeune femme au visage magnifique qui se battait pour pouvoir approcher d'eux. Ensemble ?

Il s'accorda un instant de réflexion, le regard fixé sur le ciel nocturne les surplombant. Finalement, il prit sa décision. À l'instant où il ouvrit la bouche, un silence impatient se fit parmi les journalistes.

– Non. Je ne reprends pas ma carrière, dit Matthew. Je la commence.

Il capta le discret sourire de Neil à ses côtés et ignora l'irritation qu'il provoqua en lui. Après tout, il allait falloir qu'il apprenne à composer avec l'agaçant violoniste.

– Et non, reprit-il, hésitant encore sur cet aspect de sa décision. Je ne serai plus en solo.

Cette fois, un grand sourire illumina le regard noisette de Neil. Matthew se détourna. Hors de question d'admettre qu'il avait eu tort, même si c'était la stricte vérité ; chanter était vital pour lui, et il ne savait faire que ça.

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