Chapitre 16 : Départ

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Rixton – Me and My Broken Heart

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Après un silence pendant lequel Matthew examina les partitions d'un œil critique, Neil attrapa le violon qui reposait dans son étui, sur la table en bazar.

– Tu veux écouter un des morceaux que j'ai composé ? Si tu as des critiques, je suis preneur.

Matthew acquiesça et lui tendit la première feuille qu'il avait sous la main. Neil y jeta un bref coup d'œil et ajusta son instrument. Les notes qui envahirent la pièce étaient douces, mélancoliques et les plongèrent peu à peu dans un monde loin du leur.

Ce fut de furieux coups sur la porte de l'appartement qui forcèrent le retour à la réalité. Neil jeta un regard anxieux vers l'entrée et reposa lentement le violon dans son étui, comme pour gagner du temps. Après un bref signe de tête en direction de Matthew, il se résigna à aller ouvrir. Peu désireux d'être impliqué, Matthew se dissimula dans un coin de la pièce et tendit l'oreille. Il distingua deux voix provenant de l'entrée ; un homme qui devait être le propriétaire de l'appartement et un vieillard ronchon.

Le vieillard se plaignait sans discontinuer du « tapage » que Neil faisait. Le propriétaire ne prêtait pas la moindre attention à ce dernier alors qu'il menaçait le violoniste de le mettre à la porte s'il n'avait pas immédiatement ses deux mois de loyer.

– La paye est pour après-demain, répéta plusieurs fois Neil.

Il aurait aussi bien pu s'adresser à un mur. L'homme haussa brusquement le ton et on n'entendit plus que lui, résonnant dans la cage d'escalier :

– J'ai été suffisamment patient monsieur Aaron. Ce mois, comme les précédents, vous accumulez du retard, encore et encore. En revanche, lorsqu'il s'agit de m'éviter, vous êtes particulièrement consciencieux ! Si après-demain je n'ai pas les deux mois de loyer que vous me devez, je vous poursuis en justice. Et bien évidemment, je vous mets à la porte.

Il y eut un silence tendu.

– Ça aurait dû être fait depuis longtemps, bougonna le vieillard d'un ton satisfait.

La porte claqua et les secondes s'écoulèrent sans que Neil ne réapparaisse. Matthew finit par contourner la table en bazar et le trouva dans l'entrée sombre, adossé au mur.

– J'aurais préféré que tu ne sois pas là... commença Neil d'une voix tremblante.

Il inspira avant de reprendre :

– Est-ce que tu pourrais partir ?

En dépit de ses qualités d'artiste, Matthew n'avait ni les mots ni l'envie de s'essayer à réconforter qui que ce soit. En revanche, il refusait d'avoir fait tout ce trajet pour repartir sans rien.

– Ça suffit pour te mettre dans cet état ?

Neil haussa les sourcils d'un air irrité et se redressa. Sans prévenir, il le repoussa contre le mur. Matthew fit un geste pour se soustraire, mais Neil intercepta son poignet et le bloqua, lui coupant toute échappatoire. Le cœur battant, Matthew se raidit.

– Et il t'en faut encore moins pour te mettre dans cet état, répliqua Neil en le relâchant.

Il esquiva élégamment le coup de poing qui lui était destiné puis disparut dans le salon. Matthew prit quelques secondes pour retrouver son sang-froid et le suivit. Le violoniste était devant la table en bazar et la préoccupation l'accablait à nouveau.

– Plus jamais... plus jamais tu me refais ça, s'exclama sèchement Matthew qui n'avait plus rien à faire des états d'âme du violoniste.

Neil haussa les épaules sans réussir à sourire.

– Je vais être un boulet dans les premiers mois, dit-il en penchant la tête, se dissimulant derrière ses mèches blondes. Et je me rattraperais dès que ce sera possible, je suis désolé...

Neil n'encaissait pas l'humiliation qu'il venait d'essuyer. Pourtant le monde qui l'attendait était plus cruel encore, et de loin. D'un ton où suintait l'amertume, Matthew répondit :

– Quelle importance ? Ils te supplieront de les laisser lécher le sol sous tes pas dès que tu seras célèbre. Profite de pouvoir encore voir leur vrai visage...

Neil releva le regard vers lui, et un sourire mêlé de stupéfaction naquit sur ses lèvres.

– Soit tu es encore plus misanthrope que je le pensais, soit tu tentes de me réconforter ?

– Non. Je te dis la vérité ; ce monde qu'on voit avec des yeux remplis d'étoiles quand on n'y appartient pas est un nid à serpents. Ne te laisse pas avoir.

Le violoniste secoua la tête.

– Pourquoi tu détestes tout le monde à ce point ?

– Par principe.

La discussion ne lui convenait plus, alors Matthew décida qu'il allait partir. Il était dans l'entrée sombre quand il entendit Neil l'appeler :

– Matt, attends !

Matthew se retourna et vit la silhouette du violoniste qui se découpait devant le salon éclairé.

– Merci et... à demain ? hésita-t-il.

– Je te donnerai l'adresse de mon nouvel appartement, on répétera là-bas.


La société de déménagement qu'il avait contacté se chargea du transport de ses affaires dès le lendemain. Pendant que ses quelques cartons étaient déplacés, Matthew s'assura encore une fois de n'avoir rien laissé derrière lui qui permette de remonter à sa nouvelle adresse. Après une brève discussion avec le propriétaire concernant l'état impeccable de la maison qu'il laissait, il fit une dernière fois le tour de l'endroit.

Presque aucun meuble ne lui appartenait, il n'avait pas de voiture pour le déménagement et plus de travail, alors il doutait que ses parents anticipent son départ. Cela valait tous les problèmes qui pointaient le bout de leur nez. Et notamment qu'il allait passer ses premiers repas sur une boîte en carton et ses nuits sur une couverture étalée au sol. Si c'était le prix à payer pour que ses parents perdent sa trace, il le paierait sans se plaindre.

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