Chapitre 23 : Devant un millier

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Shut Up and Dance – Jonathan Young

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Une fois sur le lieu du concert, le cauchemar se répéta ; les vigiles à l'entrée leur barrèrent le passage. Cette fois Neil ne tenta pas d'argumenter, ça ne servait à rien. Matthew l'observa longuement, ça ne lui ressemblait pas d'être aussi découragé, mais après s'être fait expulser aussi violemment de chez lui, il aurait été inhumain de ne pas être affecté.

– Hey ! s'écria une voix féminine à l'angle du bâtiment. Ah ! J'étais sûre que c'était vous dans cette voiture.

La jeune fille aux accessoires se précipitait vers eux en cliquetant dans sa robe froufroutante.

– D'un autre côté c'est vraiment votre voiture ? Elle est un peu... enfin bon... des amies me gardent la place, je voulais trop vous voir ! J'avais tellement hâte ! Et j'ai ramené le plus de monde possible, je suis assez fière de moi !

Le débit de parole ralentit soudain et elle passa de l'un à l'autre.

– Vous n'entrez pas ? Ça n'a pas l'air d'aller.

– Ils ne nous laissent pas entrer, marmonna Neil en désignant les vigiles. Comme la dernière fois.

La jeune fille serra les poings.

– Oh, vraiment ? Ben restez là, on va voir ça.

Et elle s'éloigna en courant. Neil et Matthew la suivirent sans se faire voir alors qu'elle rejoignait la foule. Ils l'entendirent crier en remontant la longue file des spectateurs, embrassant la fureur des personnes présentes comme une boule de feu dans une flaque d'huile. Si ça continuait, tout le quartier serait au courant de leur colère. Obligé d'intervenir, le directeur de la salle de spectacle incapable d'apaiser la foule. Sous la menace d'une très mauvaise publicité et d'un dangereux boycott, il finit par céder et un des vigiles aboya à Matthew et Neil d'entrer.

Ils n'eurent que très peu de temps pour se préparer. Une fois derrière les rideaux des coulisses, Matthew jeta un coup d'œil à l'éclairage ; à présent qu'ils travaillaient seuls, ils ne pourraient compter que sur eux-mêmes pour séduire le public, plus aucun artifice ne les soutiendrait. Pour Neil, c'était ce qu'il avait toujours connu. D'ailleurs il semblait plus angoissé par la foule qu'il fixait à travers les lourds rideaux de velours que par n'importe quel détail technique.

– Neil ?

Serrant l'archet et son violon dans une main, il prit une longue inspiration et se tourna vers lui, pâle.

– Je vais pas y arriver...

– Tu arrives bien à jouer dans la rue.

– Dans la rue les gens m'ignorent... là, il y a un millier de personnes qui se sont déplacées juste pour nous, on est pas prêt pour ça... enfin toi tu l'es, évidemment, mais pas moi... en plus à côté de toi je...

Un membre du personnel arriva à cet instant pour leur fournir les micros. Matthew aida Neil à équiper son violon. L'heure tournait. Les lamentations devraient attendre. Lorsqu'ils montèrent sur scène, la clameur du public était déjà assourdissante. Matthew lança les salutations et les remerciements de rigueur, tentant de les faire durer pour que Neil ait le temps de dominer son trac.

Lorsqu'il termina, Neil cala son instrument sur une épaule d'un geste tremblant et se mordit la lèvre, plus pâle que jamais. Il y avait trop de pression, trop d'enjeux et pas assez de préparation, il ne réussirait pas à se calmer et cet état le rendait incapable de jouer.

– Matt...

Matthew ne laissa rien paraître, il avait fait ce métier pendant des années et connaissait bien les réactions d'un public, il n'avait qu'à improviser. Neil le regarda avec stupéfaction quand il lui prit son archet.

– Avant que ce spectacle commence, j'aimerais vous présenter un peu plus celui qui jouera avec moi ce soir, lança Matthew.

Des cris retentirent des quatre coins de la salle, sans doute de ceux connaissant déjà Neil.

– Je sortais d'un de mes spectacles et je me baladais dans les coulisses, au hasard, quand j'ai entendu un de ses morceaux. Évidemment, sa salle à lui était ridicule, à peine une dizaine de personnes, ce qui est déjà pas mal, considérant que je donnais mon spectacle en même temps...

La salle éclata de rire face à son sérieux.

– Mais j'ai quand même pris un siège pour écouter.

Il y eut des applaudissements pour saluer Neil et Matthew lui tendit son archet, qu'il tenait de la même main que le micro, avec un regard appuyé. Le violoniste comprit et entra dans son jeu en attrapant le micro.

– Ce qu'il ne vous a pas dit, c'est qu'il a transformé mon concert en séance de dédicaces. Je n'étais pas spécialement ravi...

De nouveaux éclats de rire envahirent la salle et redoublèrent lorsque Matthew lui reprit son micro. Un peu plus calme, Neil recala son violon et y plaça l'archet, signe qu'il était prêt à jouer.

Les premières notes ne furent pas parfaites, mais il prit rapidement ses repères et redevint presque aussi bon que lorsqu'il n'était pas sous pression. La musique d'accompagnement se lança à son tour, accompagnant le violon, à qui la voix de Matthew répondit, et tout le potentiel de leur alliance frappa la salle. La fin de la première chanson provoqua un silence qui se mua en véritable triomphe. Matthew et Neil échangèrent un bref sourire ; la surprise était réussie.

Le reste du concert se poursuivit dans cette atmosphère folle, presque palpable, les contes laissèrent leur place à des morceaux de plus en plus enflammés avant de se redescendre doucement, déposant un voile de nostalgie sur le public. Matthew mit tout son cœur dans la dernière chanson, sentant Neil faire de même, et la mélancolie qui s'en échappait se mêla avec la tristesse du concert qui touchait à sa fin.

Puis ce fut une véritable ovation, des cris qui les rappelaient sans cesse, ils saluèrent plusieurs fois le public, les remerciant encore et encore. Matthew quittait la scène pour la dernière fois, lorsqu'il remarqua que Neil n'avait pas bougé. Les acclamations du public faiblirent. L'archet s'échappa des mains du violoniste et tomba sur le parquet de la scène, le choc résonnant dans l'étrange silence qui remplissait la vaste salle. Matthew revint vers Neil, verrouillant toute émotion derrière un visage fermé.

En voyant Neil basculer en arrière, il cessa de réfléchir et courut pour le rattraper. Mais son cerveau bloqua au moment crucial et le violoniste heurta les planches à ses pieds dans un bruit sourd sans qu'il n'ait tenté de le retenir.

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