Chapitre 5 : Un concours de circonstances

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Ma mère lance un regard à mon père. Celui-ci hoche la tête. Elle prend une grande inspiration :

— Tout d'abord désolée que tu aies dû découvrir toutes ces informations par toi-même.
Nous ne connaissions pas le contenu de la lettre et espérons qu'elle t'a tout de même plus éclairé qu'elle ne t'a assommé de questions.

Je retrousse mes lèvres pour signifier que c'est raté.

— Bon comme l'a dit ton père tout à l'heure. On t'explique notre version des faits puis si tu as des questions quand même après, tu nous les poseras. Mais si je t'en aie pas parlé pendant ce récit, c'est qu'il est fort probable que nous ne pussions pas y répondre !

Elle reprend son souffle. Elle cherche du courage.

— Nous ne sommes pas tes parents biologiques. Nous t'avons toujours considéré comme notre fille cependant. Désolée de te l'avoir caché mais il en allait de ta sécurité. Si tout le monde te pensait notre fille biologique, tu ne nous pouvais pas venir de Limëlian. J'espère que tu nous en veux pas trop et que tu continueras à nous considérer comme tes parents.

Je regarde ma mère et mon père. J'aimerais pouvoir leur assurer que oui mais pour le moment je ne suis pas apte à promettre quoi que ce soit.
Mon cerveau essaie juste d'intégrer les informations. La phase réflexion et la possibilité d'émettre des avis ne sont pas pour tout de suite.
Je me contente donc de leur sourire.

Ma mère reprend :

— Nous avons rencontré ta mère biologique Villat par le biais de Damien et Jocelyne.

Je hausse les sourcils. Trois noms qui m'étaient inconnus sont cités par ma mère.

— Damien et Jocelyne étaient un couple d'amis. Damien avait fait ses études avec ton père. Ils nous ont un jour invité à un repas pour nous présenter une amie.
En arrivant, ils nous avaient préparé un jeu pour la soirée. Il fallait s'astreindre à n'émettre aucun avis. Et si quelqu'un le faisait, une autre personne devait alors dire tout le contraire. Au début, ton père et moi avons fait plusieurs faux pas. A chaque fois, Villat se tendait puis semblait se calmer quand Damien ou Jocelyne nous reprenait.
Nous avons bien apprécié sa compagnie et la tienne, Anatholie comme elle t'appelait. Tu n'étais qu'alors un bébé de 3 mois mais tu faisais les plus beaux sourires. Le monde entier aurait voulu te faire un câlin.

J'ai déjà entendu cette anecdote mais raconté comme s'ils me voyaient tous les jours.
Comme si j'avais toujours été qu'avec eux.

— Nous avons revu Villat que deux fois après. Elle s'est un tout petit confié à nous. Elle venait d'un autre monde Limëlian. Elle était en danger. Les opinions avaient sur elle une force décuplée. Ce sont à peu près les seules choses que nous avons réussies à savoir.
Quelques jours après que nous l'ayons vu pour la dernière fois, Damien et Jocelyne nous apprenaient qu'elle avait disparu. Villat leur avait confié leur fille. Ils t'ont renommé Chloé pour que les galecs ne puissent pas te retrouver.

Je hausse les sourcils. Ils étaient donc au courant de la menace qui plane au-dessus de moi.
A ce stade d'informations, j'ignore si le récit m'aide ou au contraire m'ensevelit comme l'a fait la lettre.

— Étant des amis proches, ils nous ont expliqué que les galecs étaient des créatures prenant la forme d'humains qui venaient de Limëlian. Elles en avaient après Villat et c'est pour ça qu'elle a dû quitter son monde d'origine. Tu es née dans ce monde. Villat était déjà en exil quand elle a accouché de toi.

Je ne sais pas pourquoi cela me rassure. Je n'ai donc jamais posé les pieds là-bas. Je n'ai jamais interagi avec ce monde. C'est normal que je ne le connaisse pas. Et pour le peu de normalité qu'il y a eu dans ces dernières 24 heures, c'est une victoire.

— Damien et Jocelyne étaient complètement gagas de toi. Puis, quelques semaines après que tu sois rentrée dans leur vie, en rentrant du travail, ils ont eu un accident de voiture. Ils sont décédés. Nous étions ravagés.
Puis, nous avons appris qu'ils nous avaient désignés comme tes tuteurs pour veiller sur toi en cas de malheur. A seulement 4 mois, tu avais déjà changé trois fois de foyer.

Mon cerveau ne sait plus quoi penser. Dois-je être triste pour moi-même ? J'ai vécu une enfance paisible en ignorant cette suite d'événements. De mon point de vue, il n'y a donc eu aucune tristesse. Cependant, à la lumière de cet enchaînement, une mauvaise fée s'était penchée sur mon berceau.

— Ton père et moi avons accepté sans trop réfléchir de t'accueillir. Nous avons changé de ville pour pouvoir t'offrir un nouveau départ. Un nouveau départ loin de ces tragiques incidents. Un nouveau départ comme notre fille biologique. Un nouveau départ pour ta sécurité.

Dans mon cerveau, les informations se connectent. Mes parents n'ont aucun proche qu'ils connaissent depuis plus de 19 ans, soit mon âge.

— Voilà, c'est tout ce que nous savons. Enfin, il me semble.

Ma mère regarde mon père d'un œil interrogateur.
Il prend la parole :

— Ta mère a très bien résumé la situation. Cependant, elle a omis de te parler d'aujourd'hui.

Je me concentre à nouveau pour tenter de retenir ces nouvelles informations.

— Jocelyne et Damien nous avaient informés qu'une lettre de ta mère biologique t'attendait pour tes 19 ans. On savait qui contactait pour que tu puisses la recevoir. En revanche, on ignore ce qu'il est écrit dedans.

Il me lance un regard inquisiteur. C'est sa manière de signifier qu'il aimerait plus d'informations mais que si je souhaite garder cette lettre pour moi-même, il ne m'en voudra pas.

— Maintenant, tu sais tout. Tu dois avoir quelques questions !

J'ai une tonne de questions plutôt. Elles se mélangent et je ne parviens pas à les entremêler. Rien ne fait sens. Rien n'est logique.
Je n'avais pas prévu d'apprendre l'existence d'un autre monde. Ni que j'en étais originaire.
Je m'oblige à respirer. J'entends à nouveau la voix de Louise me dire d'inspirer et d'expirer.
Louise, où est-elle ? Pourquoi n'est-elle pas partie avec nous ? Pourquoi mes parents l'ont invité en premier lieu ?
De nouvelles questions se forment.
Il faut que je me concentre ou que je pense plus à rien au contraire.
Je ne sais plus. Je suis perdue.
Je prends conscience que j'ai fermé les yeux. Je les rouvre et découvre le visage de mes parents inquiets.

Je murmure :

— J'ai besoin d'être seule.

Je me lève pour sortir et attrape mon sac.
Mes parents n'ont pas le temps de réagir. Je suis déjà dehors.
La lettre dans ma poche. Le cerveau en ébullition.
Je sors de mon sac mes écouteurs et lance de la musique.
Dans mes oreilles, la voix de Pomme résonne.
Je me laisse porter.

L'héritage de Limëlian (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant