L'héritage de Limëlian (en pause)

Chapitre 11 : Un détournement des mots

Nos deux versions des livres ne se ressemblent pas.
J'ai écrit et passé du surligneur sur le texte.
Elle a condensé les informations sur sa feuille de brouillon.

Je prends une grande inspiration :

— L'une de nous deux donne toutes les infos qu'elle a trouvées sur un sujet et l'autre complète si elle a vu autre chose. Ça te va ?

Elle hoche la tête. Je lui fais signe de commencer.

— Limëlian est bien un autre monde. Il semblerait que l'on puisse y accéder mais le narrateur a dû expliquer comment plus tard dans le livre. La faune et la flore semblent être sensiblement la même. La seule différence qui est pointée du doigt c'est la présence des galecs et des qsittas parmi les humains. On est d'accord ?

C'est à mon tour de hocher la tête. Cette partie du livre n'a pas développé l'aspect de Limëlian. Un petit croquis ou un plan aurait été le bienvenu.

— Les qsittas semblent être peu nombreux. Ce sont des humains avec des pouvoirs. Il semblerait que tu sois une qsitta. Selon leur famille et leurs entraînements, ils peuvent plus ou moins contraindre les gens et se laisser influencer.

J'ai lu la même chose. Je la laisse poursuivre.

— Les galecs, eux, ressemblent à des humains. La seule différence c'est qu'ils ne vivent que grâce à la domination. Ils se nourrissent de la soumission d'autres espèces.

— C'est ce que j'ai compris aussi ! Mais il me semble qu'ils prennent l'apparence de l'espèce qu'ils dominent. Et on est d'accord qu'il suffit qu'une partie des galecs asservissent une autre population pour que ça profite à tous ?

— Oui c'est ce qui m'a semblé comprendre... Et que les humains par leur complexité de pensées étaient une source plus importante de nourriture une fois soumis.

Je sais enfin quel était leur but. Ça fait du bien.
Faut "juste" les empêcher de prendre le contrôle.
Rien de plus simple.
Les galecs ont une ennemie de taille.
Une fille seule qui galère avec ses nouvelles capacités.
Pas tout à fait seule. Mais sans mentor.

Je ferme les yeux. Les larmes s'accumulent.
Pas maintenant. J'ai besoin de rester concentré.
Je sens les bras de Yasmine s'enroulaient autour de moi.
Je ne suis pas seule.

Allez Chloé ! Ou Anatholie ! Qui que tu sois ! Tu peux le faire !

Je m'essuie les larmes.

— Pardon. De temps en temps, je parviens plus à tout retenir.

— T'inquiète ! On va tenter de s'en sortir.

Le "on" me redonne du courage. On est une équipe.

— Allez abordons le sujet de cette maudite Perle.

Elle me sourit et lit ses notes.

— Aucune description de sa forme ou de sa localisation. Mais elle semble puissante et désirée par les deux camps. Les galecs pour amplifier leur propre emprise. Les qsittas pour se décharger des opinions qui les encombrent.

— Oui, il semblerait que contrairement à ce que je pensais, deux opinions ne s'annulent pas mais se battent. Plus j'aurais de conflits intérieurs plus je les ressentirais. C'est là où la Perle pourrait m'être utile. Cependant, dans la lettre, il semblerait qu'elle permette aussi de canaliser mes pouvoirs.

On n'a pas assez d'informations. Ou peut-être trop.
Il faut qu'on en fasse quelque chose.
Que je puisse me défendre.
Que je puisse contrer le plan de ces galecs.
Que je puisse être efficace.
Je me sens à nouveau submergée.

— Je vais prendre une douche pour tenter de me dénouer les muscles et le cerveau. C'est bon pour toi ?

Yasmine acquiesce. Elle s'allonge sur mon lit.
Une tentative de sieste semble se mettre en place.

***

On glandouille depuis plus d'une heure.
On a fermé les yeux.
On a critiqué les photos sur Instagram.
On a lâché prise.
Et ça me fait du bien.
Je veux rester dans cette bulle.

Ma mère toque à la porte.

— C'est l'heure de manger. Vous venez ?

On se regarde avec Yasmine. Le repas promet d'être gênant.

Le repas est effectivement assez particulier.
Personne ne parle. Sauf pour se demander l'eau.
Je peux tout de même être reconnaissant à mes parents.
Ils ne cherchent pas à me faire parler. Ils me laissent la liberté d'entamer la conversation.
J'opte pour le silence.

Une fois rassasiées et reposée, on a plus le choix. On reprend notre enquête.
La liste de ce qu'on sait est courte. Et nous n'aide pas trop.

— Faudrait que l'on retourne à la bibliothèque pour avoir la suite du livre.

Je secoue la tête. Je ne crois pas que le jeu en vaille la chandelle.
On se mettrait plus en danger. On a eu de la chance jusqu'à présent. Ne tentons pas le diable.

— Je ne pense pas que ça soit une bonne idée. En revanche, on pourrait interroger la galec !

— Tu crois qu'elle nous aiderait ?

— On ne va pas lui laisser le choix ! On prend de quoi écrire pour tout noter.

Dans le garage, on s'installe face à elle.

— Dis nous tout ce que tu sais !

Ma gorge s'enflamme.
Seules ces lèvres se mettent à bouger. Parfait ça n'annule pas l'ordre précédent.

— Je suis née le 15 mai 1976. Je suis dans un garage.

L'interrogatoire va être long. Elle va dire tout ce qui nous intéresse pas. Avant de ne plus rien avoir d'autre à dire. Avant que ça devienne intéressant.

Je tente de reformuler.

— Dis nous tout ce que tu sais sur les galecs et l'univers de Limëlian.

Je ne sens pas de changement de température dans ma gorge. L'inquiétude prend place dans mon cerveau.
La galec continue.

— Je pense que tu n'arriveras pas à nous contrer.

Cette phrase se fraie un chemin. Je la sens s'implanter en moi.

— Bien sûr que si ! Je pense que tu vas réussir.

Yasmine réagit encore une fois de manière adaptée.

— On va faire comme ça. Dès qu'elle émet un avis, tu dis le contraire pour que je ne me laisse pas influencer.

Étrangement, la galec sourit.

— Je vous ai trouvé à la bibliothèque. J'ai assommé le libraire.

Mes doutes se confirment. Mon deuxième ordre n'a pas eu d'effet. On va en avoir pour longtemps.

— Je pense que Louise ta petite amie est gentille.

Encore une fois, je sens l'opinion s'inscrire en moi.

Je n'ai pas le temps d'interrompre Yasmine.

— Je pense que Louise est méchante.

Je comprends le sourire.
Je comprends le besoin de se décharger de ces combats.
La galec utilise mon ordre pour s'enfoncer dans mes failles.

Les deux phrases s'opposent. Se battent. S'entrechoquent.
Sans qu'une résultante ne se crée.
Je suis écartelée entre les deux avis. Dont Louise est au centre.
Cela me tient trop à cœur pour que je ne le ressente pas.

— Continue à l'écouter sans moi.