Aujourd'hui, je ne veux pas parler. Alors je suis là.
Yeux fermés sur ce banc de l'université à attendre.
Attendre...
Attendre encore et toujours.
J'ai l'impression de ne faire que ça depuis trop longtemps.Une alarme s'allume dans ma tête. Une brune de tristesse a envahi mon cerveau. Je me méfie de moi-même, des pensées sombres que je pourrais avoir. Ne pas philosopher. Demain sera un autre jour et il ne doit pas garder des séquelles de ce brouillard.
Des rires viennent sonner dans mon esprit. Ils m'arrachent un sourire. Je saurais les reconnaître partout. Même dans une foule pleine de gens se torturant en se faisant des guilis. La pensée d'une telle scène me fige le sourire sur le visage. Joie reprend les commandes du tableau de bord. Le brouillard se dissipe. Merci douce imagination.
J'ouvre les yeux et les localise. Debout, elles se chamaillent bruyamment. Les deux piliers de ma vie. Yasmine ma meilleure amie et Louise ma petite amie.
Je m'approche d'elles pour m'incruster dans la conversation. Du coin de l'œil, je vois la prof arriver. Docilement, je suis le mouvement de la classe pour aller m'installer.Chère Madame, je ne vous connais pas mais votre cours a intérêt à être intéressant parce que j'ai pas du tout la motivation de suivre un cours. Cette pensée se faufile dans ma tête mais ne franchit pas mes lèvres. Je sais me taire. Mes ébauches de dialogue sont rarement utiles alors je les garde pour moi.
La prof commence son cours. Sa voix est posée, son diaporama est clair, elle maîtrise le sujet. Je me laisse embarquée.
A la fin du cours, elle demande si on souhaite récupérer le diaporama. Réponse unanime : oui.
Elle me pointe alors du doigt :— Si vous avez une clé USB, je vous le met dessus et vous ferez passer à vos petits camarades.
Tout le monde range ses affaires. La salle se vide.
Je me rapproche de l'ordinateur pour lui donner ma clé. Son regard me paralyse. Je n'ai jamais lu autant de menaces. Les voyants PARANOÏA et FUITE se sont allumés en même temps dans ma tête. Je choisis la voix de la raison et lui tends le support de la transaction. Cette formulation me redonne un petit peu de courage. J'ai l'impression d'être au centre d'un film d'action. La prof attrape la clé et ouvre la bouche :
— Demain n'essaie pas de t'enfuir. On te retrouvera.
Dans ma tête, c'est le noir. Plus rien. La zone affectée à la compréhension essaie de saisir quel mot j'ai échangé. Elle ne peut pas voir dit ça...
En me rendant la clé, elle ajoute :— Tu peux maintenant rejoindre ta petite amie.
Ma petite amie ? Comment sait-elle ? Première fois que je la vois et je n'ai eu aucune interaction avec Louise en sa présence.
Je récupère automatiquement mon sac.
Lorsque je vais pour quitter la salle, j'entends un "on sait tout de toi" qui me glace le sang.Louise m'attend bien devant l'école. C'est notre rituel. On s'attend mais devant l'école.
On se met en route machinalement.
Elle me lance :— C'est bon tu as récupéré le diapo ?
Je lui réponds un oui sans m'étaler. Une petite voix me glisse de ne pas lui parler de ce qui vient de se passer. Pas tout de suite. Il faut que je fasse le tri et que je n'analyse tout ça d'abord. Parce que là c'est le chaos dans mon cerveau. Il patauge. Aucune explication plausible ne fait son apparition.
La voix de Louise me ramène sur Terre.
— Pardon. Tu peux répéter ?
— Demain is a big day ! Tu auras 19 ans. Tu veux que l'on se fasse quoi de spécial ?
Sa joie est communicante. Je me force à peine à simuler la mienne quand je réponds.
— Chevaucher une licorne et partir dans le monde des bisounours.
— Challenge accepted
— Mais on fait ça après demain ? Je passe la journée avec les parents demain. Ils veulent que l'on fasse une journée que tous les trois.
— Pas de soucis ! Le défi reste relevé.
On se serre la main pour sceller cet accord. Devrais-je m'inquiéter ? Elle est capable d'aller très loin. Ça promet d'être drôle.
— Tu passes à la maison avant de rentrer chez toi ? J'ai décidé d'être exécrable à 19ans. Faut profiter du moi de 18ans.
J'ai proposé ça spontanément. J'ai besoin de sa présence pour essayer de repousser le moment où je vais me faire ensevelir par mes propres pensées. Elles sont déjà entrain de se bousculer.
— Tes parents ne sont pas là ?
— Si, mais ça ne les dérange pas quand tu viens !
Je lui fais mon plus beau sourire. Son hochement de tête est ma victoire. Je me discerne une coupe dont l'intitulé est réussir à convaincre sa copine de venir à la maison de manière joyeuse sans avoir aucune idée de ce qui se passe dans sa vie après avoir reçu une menace obscure pour le lendemain. Alors oui, le titre est un peu long mais j'ai pas trouvé plus concis. La prof ne m'a pas laissé assez d'indice pour que je parvienne suffisamment à cerner la situation pour faire un résumé clair et court.
La porte d'entrée de chez moi est ouverte mais mes parents ne sont ni dans le salon ni dans la cuisine. Je propose à Louise :
— Tu veux un goûter ?
— Pourquoi pas ! Tu as quoi de bon à manger ?
— Des cookies !
Je n'attends même pas qu'elle me réponde et cours chercher le paquet. Je sais déjà qu'elle adore ces biscuits. Elle en profite pour sortir les boissons et on s'installe sur le canapé.
Nous entamons une conversation sur ce que nous allons faire ce week-end.Cette discussion à propos du futur fait surgir la menace du lendemain. Je participe comme je peux en tentant de m'engager dans la planification d'un pique-nique. L'arrière boutique de mon cerveau, quant à elle, carbure mais ne produit que des questions. Que va-t-il se passer demain ? Que va-t-il m'arriver ? Quelque chose de suffisamment effrayant pour que j'ai envie de m'échapper si j'en crois les dires de la prof. Comment...
La voix de ma mère interrompt la liste de questions :
— Hey ! Comment s'est passée votre journée ?
— Bien ! Une journée banale de cours. Et toi ?
— Bien aussi.
Ma mère se retourne vers Louise :
— Tu viens à la maison demain ? Vers 9h ? Et tu passes la journée avec nous ?
Alors qu'elle donne son accord, mon cerveau rajoute d'autres questions à la boîte à énigme de ma vie. Pourquoi a-t-elle fait ça ? Mes parents sont d'accord pour que Louise passe une heure ou deux à la maison mais ils ne l'ont jamais invité à passer toute la journée avec eux. Et surtout, elle ne m'a pas du tout prévenu, ni demandé mon avis,...
Louise me lance un regard inquisiteur tandis que ma mère s'éloigne de nous.
— C'est super chouette que ta mère propose ça ! C'était juste une excuse alors le "ils veulent que l'on passe la journée que tous les trois". Tu peux me le dire si tu veux pas me voir !
Elle le dit sans méchanceté. Ce ne sont pas des remarques déguisées. Juste des taquineries. Elle sait que je pensais réellement que mes parents souhaitaient que l'on soit que tous les trois. Mais c'est la goutte qui fait déborder le vase.
Les larmes commencent à couler.
Mon cerveau ne répond plus.
J'ai juste envie de pleurer.
L'incompréhension se lit dans les yeux de Louise alors qu'elle me prend tendrement dans ses bras.
Elle me murmure :— Je plaisantais.
Je lui prends la main et l'emmène dans ma chambre. Je vais lui dire. Je peux pas garder ça pour moi. A deux cerveaux, on comprendra peut-être.
Je ferme la porte et tente d'articuler entre mes sanglots :— J'ai... besoin... de... tes.. con...seils.
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L'héritage de Limëlian (en pause)
ParanormalEN PAUSE « Il me faut faire la part des choses. De quoi puis-je douter ? Qu'est-ce que je peux croire ? Premier sujet à trancher : est ce que Limëlian, cet autre monde, est réel ? Mon cerveau s'emballe. Je n'ai aucun élément tendant à prouver son...