Chapitre 8 : Une oreille attentive

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J'ouvre les yeux. Je me suis endormie sans m'en rendre compte.
Mes yeux sont encore mouillés.
La réalité me heurte en pleine face.
Je suis en danger.
Je suis seule.
Je ne sais rien.

Je regarde l'heure. 21h30.
Dans la maison, il n'y a aucun bruit.
Sur mon téléphone, pleins de messages. Les gens me souhaitent encore joyeux anniversaire...
Je leur répondrais plus tard.
Joyeux ne serait pas l'adjectif que j'utiliserai pour décrire cette journée.

J'ai plusieurs appels de Yasmine.
Elle doit s'inquiéter que je ne réponde pas.
Elle me connaît trop bien.
12 ans que l'on est devenues amies.
Je crois que je peux lui faire confiance.
J'ai besoin d'une alliée ainsi que d'un œil extérieur.

- Dispo pour parler ?
J'envoie le SMS à Yasmine.
Sa réponse est instantanée.
- Oui. Tu veux que je t'appelle ? Ou que je passe ?

Il est peut-être mieux que je lui explique en face à face.
- T'es seule chez toi ? Je peux passer moi ?
- Bien sûr ! Je lance l'eau à chauffer.

Un sourire se dessine sur mon visage.
Elle a compris que la discussion serait intense. C'est une habitude entre nous.
On discute toujours mieux avec une tasse entre les mains.

Je prends les clés de la voiture et sors.
Peut-être faut-il que je prévienne mes parents pour pas les inquiéter à nouveau ?
Je rentre et écris un mot dans la cuisine.
5 minutes plus tard je suis chez Yasmine.

Alors qu'elle ouvre la porte, je sens mes yeux se remplirent de larmes.
Ce n'est pas comme ça que j'avais prévu de démarrer la conversation.
Elle ouvre ses bras et me fais un long câlin.
Je ne tente plus de retenir les larmes.
Faut vraiment que je m'hydrate pour compenser toute cette quantité d'eau que je décharge en ce moment.
Yasmine m'emmène dans le salon.

Assise sur le canapé, une tasse à la main, je prends une profonde inspiration.

— En 24h ma vie a basculé. Je sais plus quoi croire... Ni quoi penser. J'ai été menacé. Louise a disparu. Je viendrais d'un autre monde. J'ai des facultés en quelque sorte magiques.

Ses yeux s'agrandissent d'étonnement.

— Oui je sais ça ne fait pas sens. Mais tente d'envoyer un message à Louise et vois si elle te répond.

— Ce n'est pas la partie avec Louise qui est le plus difficile à croire.

Elle a parlé avec une voix toute douce.
Elle s'inquiète pour moi.
Au moins on est deux.

Je lui raconte ces dernières heures.
J'essaie encore de n'oublier aucuns détails.
Je vois toutes les émotions défilaient sur son visage.
A la fin du récit, le doute persiste.

Une idée me traverse l'esprit pour finir de la convaincre.

— Tu permets que je te donne un ordre sympa ?

— Ah ah bien sûr ! Oblige-moi à aller préparer de nouvelles eaux chaudes !

Elle utilise l'humour pour se rassurer.
Je la comprends. Soit sa meilleure amie est en train de décompenser une pathologie psy. Soit sa normalité vient juste de valser.

Je lui adresse un sourire qui se veut rassurant.

— Va chercher de quoi boire les eaux chaudes.

Yasmine se lève. Ses yeux s'écarquillent. Sa démarche ressemble à du pilotage automatique.
Est-ce le choc ou l'obligation de le faire ?
Ma gorge a recommencé à chauffer. Deuxième fois que ça m'arrive aujourd'hui. Et à chaque fois, c'est juste après avoir utilisé mon pouvoir. Si je voyais une héroïne de film réfléchir comme ça, je lui crierais à travers la télé : "ben oui neuneux, c'est lié à tes pouvoirs".
Mais là, il s'agit de ma vie. Je ne veux pas partir sur de mauvais postulats.
Et puis, il faut que je trouve un autre nom que pouvoir. Le mot à lui tout seul pue l'irréalisme. Ça m'aide pas à accepter la nouvelle réalité de mon quotidien.

Yasmine revient avec nos eaux chaudes.
On prend chacune nos tasses.
Assises cote à cote dans le canapé.
Entourées par le silence.
Je suis soulagée d'en avoir parlé.
Même si je m'en veux de l'entraîner avec moi dans l'inconnu.

Sa voix brise le silence.

— Comment t-ont-ils retrouvé tout à l'heure ?

Je hausse les épaules. Je ne sais pas. La question ne m'a pas effleurée.
Ce sont les grands méchants. Ils ont enquêté sur moi. Ils savent où je suis.

— Tu crois qu'ils pourraient me retrouver ici ?

En posant la question, je me rends compte de l'absurdité de la situation. Je devrais rester chez moi. J'aurais dû lui dire de venir.
Ils connaissent sûrement son existence. Et surtout, ils connaissent le numéro d'immatriculation de ma voiture. Voiture qui est garée juste devant chez eux.

Je commence à me lever. Pour repartir. Pour me remettre à l'abri.

— Est-ce que tu n'as pas toujours considérer cette maison comme ta deuxième maison ? Perso, la maison de mes grands-parents c'est ma deuxième maison mais chez toi, c'est ma troisième maison. Tu ne crois pas que ça pourrait fonctionner comme défense ?

Je n'avais pas réfléchi comme ça.
De toute façon, je n'ai rien à perdre. Les galecs verront bien mon inutilité s'ils parviennent à me capturer.
L'idée est brillante.

Je murmure :

— Tu es géniale.

***

Les mots se sont enchaînés.
On a réfléchi à deux.
Et ça m'a fait du bien.
Un point de vue extérieur.
De nouvelles idées.

Yasmine dort à côté de moi. Ou tout du moins est allongée.
Pas sûre qu'elle puisse dormir avec toutes mes gesticulations. Ni avec ce qui nous attend demain.
Le mélange adrénaline, peur, excitation et incertitude n'est visiblement pas un bon somnifère.

Quand le réveil sonne, je ne sais pas si j'ai dormi. Mais j'ai encore de l'énergie.
Sur mon portable, un message de ma mère.
- Quand comptes-tu rentrer à la maison ?

C'est sa manière de s'inquiéter et de vérifier que je vais bien.
Si elle n'a pas une réponse, elle enverra une autre question détournée.
Alors je réponds à toutes les questions sous-jacentes :
- Je ne sais pas. J'essaie de réfléchir. Je vais bien. Je crois que j'ai trouvé comment me protéger.

En creusant l'idée de Yasmine, on a peut-être un super bouclier. 
On peut avoir plusieurs endroits que l'on considère comme sa maison.
Il suffit que je considère chaque lieu où je vais comme mon chez-moi.
On a poussé le raisonnement jusqu'à penser que je pouvais considérer la voiture comme mon domicile.
Si on ne se fait pas attaquer en allant au mystérieux endroit dont ma mère a parlé, c'est que ça fonctionne.

Parce que oui, on a décidé d'aller à ce fameux lieu.
Yasmine était partante pour m'accompagner.
Et j'ai besoin de ne plus me sentir dans un dessin animé.
J'ai des pouvoirs.
Les galecs sont méchants parce qu'ils m'attaquent.
Limëlian est un monde dont on ne connaît rien mais qui permet de justifier l'apparition de créatures et de nouvelles habilités.
C'est beaucoup trop absurde.
J'ai besoin de justification.

Nous prenons notre petit-déjeuner dans un silence quasi-absolu.
Chacune mange avec difficulté. La tension est palpable.
Mais nos regards se veulent rassurants.
Conscientes que chacune doit être un pilier pour l'autre.

Une fois dans la voiture, je rentre l'adresse indiquée par ma mère.
Yasmine conduit.
Je me répète en boucle je suis dans ma maison.
A la radio, la chanson Home we'll go commence.
On se regarde. Et on se met à chanter à tue-tête.
La confiance en notre mission prend de l'ampleur.
Rien ne nous arrêtera.
Je regarde les paysages défilés.
Je suis heureuse de pas être seule.

L'héritage de Limëlian (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant