6. JAMES

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Je dois me remettre en mouvement. Je me suis un peu perdue en route mais je peux, et je dois, retrouver la trace de mon enthousiasme, de ma passion. J'ai toujours voulu écrire un recueil de poème, et peut-être même un roman, pourquoi ai-je abandonné ? Pourquoi me suis-je détournée de ce qui est vraiment important pour moi ?


J'ai besoin que ça bouge tout autour, qu'il se passe des choses, de voir des gens, d'être dans un milieu que je connais, que je comprends, qui me comprend. J'ai besoin de redevenir une femme à part entière, complexe et multiple, et pas seulement une mère nourricière. Et puisque j'ai décidé d'être tout à fait honnête, j'ai aussi besoin de le revoir lui. Je parle de James évidement.


Je ne sais pas pourquoi il est toujours gravé en moi comme ça. N'est-ce pas un signe que je dois aller vers lui ? Que nous avons quelque chose à faire ensemble ? Ne serait-ce que pour mettre un point final à cette relation inachevée, il y a maintenant 10 ans ?


Et en même temps, ce n'est pas un hasard, que de toutes mes conquêtes ce soit lui qui me reste dans le coeur. Il représente justement ce dont je manque si cruellement, l'art, l'instabilité et la folie, qui constituaient l'essentiel de ma personnalité et de ma vie d'avant ; cette nature que j'ai tant cherché à étouffer. Je crois que c'est cette partie de mon être, que j'ai sans cesse mise de côté et qui ne veut pas mourir, qui se rattache à lui pour me montrer la voie, celle que j'ai oublié d'emprunter. C'était un détour nécessaire, mais il est temps de redevenir moi-même.


Je ne peux pas m'empêcher de me demander s'il aime sa vie. S'il est fou amoureux de sa femme, comme Philippe l'est de moi, ou si c'est un éternel insatisfait, comme je le suis avec tout ce que j'ai.


J'ai voulu ma vie, ma famille, et je les veux encore, mais je ne peux pas m'arrêter là. Je veux ce cocon où l'on peut venir se réfugier quand tout va mal, mais l'aventure et la passion aussi. Je veux Philippe, bon père de famille, attentionné, paisible, pragmatique, méticuleux, sage, cohérent, mais aussi James parfois, son grain de folie, sa fougue, son intensité, son côté imprévisible, capable de tout, la violence de ses états-d'âmes. Ça me manque.


C'est même parce que j'ai Philippe que je veux tout ça, ça n'aurait pas de sens si je n'avais pas la stabilité. C'est parce qu'on a un cadre qu'on a envie et la possibilité d'en sortir.

Des milliers d'années d'évolution et nous en sommes toujours au même point : le besoin en nous, pauvres humains ingrats et insatiables, de posséder l'irréconciliable, toujours. Stabilité et passion. Sécurité et danger. Dépendance et liberté.


Je l'imagine dans sa vie excitante et bohême qui me fait rêver, avec sa femme danseuse, leur enfant, leurs amis inspirants et inspirés. Et je nous vois, avancer chacun en parallèle, deux lignes qui ne seront à priori jamais amenées à se retoucher un jour, mais qui ont l'air de pointer inexplicablement dans la même direction.


Nous avons eu chacun un fils, à un mois d'interval ; nous nous sommes mariés la même année ; nous sommes tous les deux avec des conjoints plus âgés, moi de dix ans, lui de six ; nous sommes tous les deux passionnés par la musique ethnique ; aimons tous les deux dessiner ; avons une âme d'artiste, j'écris, il est photographe ; nous avons quitté la ville pour la campagne il y a peu ; sommes passés sans transition "d'artiste junkie" à "être spirituel en quête d'apaisement"...


Voilà pour les détails les plus flagrants. C'est fou toutes les informations que l'on peut glaner sur Internet. Je n'ai fait tous ces recoupements qu'après coup. Sommes-nous véritablement liés, comme j'en ai le pressentiment ? Ou suis-je simplement folle ?


Pour l'instant, régler cette question de travail. Il y a des tonnes de choses que je peux faire. Je pourrais postuler dans un autre journal, dans la presse féminine, qui a le vent en poupe, ou même en profiter pour changer complètement de carrière, prendre un petit job dans une boutique de vêtements ou un café ; j'en ai toujours rêvé ; ou encore me lancer en freelance. D'accord, ça prendra du temps de renouer des contacts mais je peux le faire, non ? J'ai autant de capacités que n'importe qui. Je me sens larguée pour l'instant c'est vrai, mais je peux me remettre dedans, je le sais. Et surtout, il le faut.


Il faudrait que je contacte des gens, que je sorte, que je me remette dans le milieu. Mais à force d'être restée à l'écart, une part de moi a peur de tout ça, peur de se confronter à nouveau au monde, comme si je n'en avais plus le droit. 

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