4. REFAIRE PARTIE DU JEU

21 3 3
                                    


Le lendemain je me lève aux aurores. Je profite du silence, pendant que tout le monde dort encore, laissant mes idées vagabonder du songe que je viens de quitter, à mes projets pour la journée. Rien de grandiose, seulement les courses, laver le linge, et aller au parc avec Noah.


Je me dirige vers la cuisine. La longue robe avec laquelle j'ai dormi caresse mes pieds nus à chaque pas et traîne sur le carrelage. Je remplis la bouilloire d'eau que je fais chauffer, sors le café, verse deux cuillères dans une tasse immense, blanche à liseré doré ; au dernier moment, je rajoute une dose, pensant à la journée assommante qui m'attend.


Pour l'heure, je profite. J'ouvre la fenêtre et les volets en bois sombre ; dis bonjour au soleil qui se lève, adouci par la brume matinale. L'herbe scintille dans la douceur du petit matin. Je souris en respirant à plein poumons pour graver cette paix en moi, me rappeler qu'elle existe toujours, que je peux encore l'atteindre.


Même si je me sens perdue, que ma vie semble finie, en cet instant précis, je me sens bien. Comment faire durer ce sentiment quand Noah sera levé, et qu'avec lui, recommenceront les pleurs, les cris, l'attention constante qu'il demande, mettant tous mes sens et mon corps en alerte, demandant tellement plus que je ne peux lui donner ?


C'est ça le plus dur au quotidien, ne pas avoir le loisir de poser mon attention sur quoique ce soit plus de cinq secondes, être constamment sur le qui-vive, ne plus m'appartenir. Ma présence, mon énergie, mes pensées, en somme, tout mon être, accaparé par ce petit être égoïste qui suce le peu d'élan vital qu'il me reste jusqu'à-ce que je m'effondre.


J'ai besoin de sortir de ça. Il faut que je reprenne le travail. Je crois que je suis arrivée au bout. Je ne sais même plus pourquoi je m'entête, pourquoi je force les choses, pourquoi je veux autant y arriver alors que la vérité c'est que ça me rend misérable. J'aime mon fils, mais je crois que nous sommes en train de nous intoxiquer à macérer ensemble dans ce vase clos. Il faut renouveler l'air, aussi bien pour lui que pour moi.


Et c'est comme ça, en trente secondes, que je prends la décision d'appeler Cassie avant la fin de la matinée, pour qu'elle me fasse un topo de la situation au journal. Je veux savoir s'il y a une place à prendre, et envisager la manière de remettre mes pions dans le jeu. Pourquoi maintenant, alors que ça fait si longtemps que je laisse la situation traîner en longueur et m'asphyxier comme un serpent qui enserre sa proie jusqu'à la mort ? Mystère.


J'ai peur d'être finie, dépassée, mais j'ai encore plus peur de m'enfoncer dans la déprime, à continuellement m'oublier, me faire passer en dernier, ne pas écouter mes besoins à moi. Je suis tellement bonne pour écouter les autres, prendre soin d'eux, comment se fait-il que cela soit si dur de le faire pour moi-même ? 

Infidèl(e)sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant