26. GALA DE CHARITÉ

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Pendant le repas, un gala de charité organisé par un grand nom de la joaillerie, nous nous retrouvons autour d'une table ronde, occupée par deux autres couples avec qui nous faisons rapidement connaissance.


L'ambiance est tamisée, les fleurs qui décorent la table sont assortis avec les chaises, recouvertes d'un velours mauve profond. L'ambiance se veut festive et détendue mais je n'arrive pas à me relaxer. Elle sait. Je n'arrive pas à enlever cette pensée de ma tête.


La disposition de la table est telle que voulant briser les couples pour amener les gens à faire la conversation, nous nous retrouvons, James et moi assis l'un à côté de l'autre, face à sa femme, Grace, et à Philippe. Cela ne fait que renforcer mon malaise. J'en ai presque la nausée.


Je ne sais pas pourquoi cela me met dans cet état là. Je crois que j'ai peur, peur qu'elle n'ébruite notre secret. De quoi est-elle capable ? Je ne la connais que si peu après tout. Comment voit-elle notre liaison ? Tout est possible. J'ose à peine la regarder par dessus l'arrangement floral qui trône au milieu de la table et fait mine d'être sûre de moi et loin de toute préoccupation en affichant un sourire éclatant.


J'ai besoin d'un remontant, je ne peux pas toucher aux entrées qu'ils viennent de servir mais vide presque d'une seule gorgée le verre de champagne qu'il me reste de l'apéritif. Je guette tout geste déplacé ou conversation inaudible entre Grace et mon mari, en essayant d'avoir l'air le plus charmant et innocent possible, au dessus de tout soupçon. Surtout, ne faire aucun geste, ni avoir aucun regard déplacé envers James, ni même lui parler. J'ai si peur que les autres puissent lire en nous. Je crois voir Philippe caresser brièvement la cuisse de Grace sous la table mais je finis par me persuader que c'est le champagne qui commence à me monter à la tête. J'en suis à ma troisième coupe.


Il me regarde bizarrement, j'ai l'impression qu'il fixe James, qui lui a l'air au contraire très détendu, comme si nous n'avions pas assisté plus tôt à la même scène. Philippe et lui échangent des blagues et ils rient tous les deux. Je crois voir Grace regarder Philippe d'un oeil complice. Je sens qu'elle me fixe. A quoi joue-t-elle ?


Je me suis toujours sentie en sécurité avec Philippe, comme si rien ne pouvait nous atteindre, comme s'il était tout à moi, pour toujours dévoué. Qu'adviendrait-il si je découvrais qu'il n'était pas meilleur que moi ? S'il osait me faire ce que je lui fais ? Et s'il savait que je le trompais depuis des mois avec James, que dirait-il, que ferait-il ?


J'étais trop sur un petit nuage jusqu'ici pour avoir le temps de penser aux conséquences de mes actes, ou plutôt je ne voulais pas y penser. Mais maintenant, l'horreur de ma trahison me saute aux yeux. Suis-je vraiment détestable pour avoir besoin de cet autre dans ma vie ? Peut-on vraiment tout avoir ? Je ne sais pas combien de temps cela va durer et je veux profiter de chaque instant. Jamais je ne me suis sentie autant à ma place, aussi vivante, en alignement avec tout ce qui fait sens pour moi dans la vie. Je veux que rien ne change, rester dans mon petit paradis d'écervelée qui pense que la vie peut être légère, que tout est possible, que l'on peut tout avoir.


Le plus étrange c'est le comportement de Grace. Elle n'a pas l'air triste de la femme bafouée auquel on aurait pu s'attendre. Elle a même l'air incroyablement épanouie, rayonnante. Pourquoi ? Comment ? N'aime-t-elle donc pas son mari ? Depuis quand est-elle au courant ? Pourquoi n'est-elle pas malheureuse, dévastée, en colère, ni même simplement jalouse ? Cache-t-elle tous ses sentiments pour donner le change ? A-t-elle aussi un amant ? Et le baiser de tout à l'heure, que signifiait-il au juste ?


Je vois James me lancer des regards interrogateurs : " Tout va bien ? " Je lui réponds que oui, le plus froidement possible, et me lève pour aller prendre l'air. Je cherche mon paquet de cigarette et me souviens avec agacement que je l'ai laissé dans la voiture. Je rebrousse donc chemin pour me diriger aux toilettes, dans la direction opposée.


Dès que j'ouvre la porte au pommeau doré, je vois Grace en train de se repoudrer le nez dans l'espace agencé comme un boudoir : un immense miroir, de grandes vasques en marbre beige et robinets en or à l'ancienne, un petit canapé rose et une console attenante, avec parfums et crème pour les mains à disposition.


Elle me regarde avec un sourire sur les lèvres, et finit par me dire sur un ton qui se veut rassurant, " Ne t'inquiète pas je ne lui dirai rien. " Mon coeur se met à battre plus fort. Je lui réponds que je ne vois pas de quoi elle parle.


Elle s'approche de moi, ses yeux verts injectés d'or plongés dans les miens, hypnotisants, et se mord la lèvre en remettant la mèche de cheveux qui me tombe continuellement sur le visage. Je ne peux pas répondre, ni même bouger, je reste plantée là, interdite.


Elle continue, et frôle du revers de sa main mon sein gauche, que je sens malgré moi répondre à son geste, sous le tissu de ma robe. Puis elle murmure d'une voix tranquille : " Je sais tout depuis le début, James n'a jamais su mentir. Tu veux savoir pourquoi je laisse faire ? Parce que ça m'excite, ça m'excite de l'imaginer avec une autre. Et puis j'ai toujours davantage aimé les femmes. Rassure-toi je ne suis pas en train d'essayer de te séduire, je te le laisse, tu lui fais du bien, et moi ça me libère. Chacun fait sa vie et tout le monde est content, on aime mieux se retrouver quand on s'autorise à s'éloigner un peu. Ça doit te faire pareil avec Philippe non ? "

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