28. LA VÉRITÉ

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De retour à la maison, ses mots tournent dans ma tête comme des vautours, assombrissant tout. Je ressens une tristesse indicible. Nous qui n'étions fait que pour le meilleur voilà que nous nous étions dit le pire, les mots qui fâchent, comme un vieux couple qui ne peut plus se supporter. Je suis habituée aux disputes avec Philippe, mais pas avec lui. Je ne pensais pas que nous puissions un jour être en désaccord sur quoique ce soit.


" Qu'est-ce qu'il se passe ? " Philippe court vers moi, paniqué, en me voyant par terre, sur le sol de la cuisine, en pleine crise de larmes que je ne peux plus arrêter. Et je finis par lui dire, par tout lui raconter. Tous les mensonges auxquels que je me raccrochais depuis des mois, en pensant qu'ils constituaient mon seul salut. Je ne retiens plus rien. ils se répandent sur le sol, jusque dans son coeur, pour tout empoisonner, pour changer à jamais notre quotidien, notre relation, la façon dont il me voyait jusque-là.


Je sais que mes mots tâcheront tout de leur encre indélébile et qu'au fur et à mesure que je dis ma vérité il n'y a plus de retour en arrière possible. Je fais une croix sur tout ce en quoi j'ai cru jusqu'à maintenant, sur notre mariage, pour lequel j'ai tant donné, sur l'équilibre de notre fils qui devra peut-être vivre sans ses deux parents réunis, alors que je m'étais toujours promis le contraire.


Je sais que potentiellement tout est fini, cette belle image de moi, l'épouse aimante, la bonne mère de famille, qu'avant de revoir James, je m'étais fait un plaisir de construire, ce mythe que j'aimais alimenter sur moi-même, pour me voir belle dans les yeux des autres. Je sais que maintenant on va me mépriser, me montrer du doigt. Pour toujours, ce sera moi la méchante qui a osé tout exploser, bafouer l'homme le plus sain, le plus juste, le plus aimant de la terre, et pour quoi ? Pour une petite idylle sans avenir.


Je m'entends lui dire tout haut, tout ce que je pensais garder en moi à jamais, et répondre à ses questions les plus abjectes, à son besoin malsain de se faire mal avec des détails. À la fois qu'une terreur indicible emplie ma poitrine, une sorte de poids se soulève de mes épaules et les libère, et je sens derrière ma peine le soulagement de la liberté, de la vérité, de ne plus avoir à me cacher.


Maintenant que tout est perdu, que ma vérité est exposée à l'air libre, je retrouve étrangement une force et une assurance qui me faisaient défaut depuis bien longtemps. Je viens de briser la coquille qui me retenait prisonnière, je suis meurtrie de mille coupures, mais quelque chose en moi veut croire que ça en valait la peine.


Qu'est ce que la fidélité après tout ? À part un concept de plus qu'on ne remet pas en question ? Est-ce que j'aime moins Philippe parce que je le trompe ? Non. Si on ne veut pas que l'autre soit libre c'est par peur, c'est une question d'égo, pas un choix rationnel. Les êtres humains aiment le sexe, hommes et femmes, et ce genre de situations arrive, tout le temps, entre n'importe qui, dans tous les milieux. Pourquoi cela doit être un si grand tabou ? Quelle hypocrisie !


Pour moi, ma trahison se situe bien plus dans le mensonge que d'avoir couché avec quelqu'un d'autre. Même s'il y avait des sentiments. On ne peut pas tout apporter à l'autre, ni en amitié, ni en amour. Nous sommes limités, et nous avons besoin des autres pour évoluer, si ça doit passer par une relation sexuelle, pourquoi pas ? Pourquoi se brimer ? Au nom de quoi ? De l'amour ? Ridicule. L'amour ne se soustrait pas, il se multiplie.


Il n'y a pas de bien ni de mal, il n'y a que ce que nous devons faire pour nous permettre d'évoluer et de nous aligner avec nous-même.


Savoir se retenir lorsque nous ne ressentons qu'une vague envie primaire et animale me semble aller de soi, mais s'abstenir quand il y a un désir irrévocable, ça je ne le comprendrai jamais.


Il existe deux types de personnes, radicalement différents. Il y a les gens comme Philippe, simples dans leurs choix, dans leur vie, fidèles aux autres et à eux-même, et les gens comme moi, compliqués, avec qui tout est toujours plus gris que franchement blanc ou noir, qui sont leur propre référence et ne sont fidèles qu'à eux-même, quelques soient les conséquences.


Nous nous reconnaissons entre nous, comme les immortels. Quelque chose dans le regard qui nous rapproche, le pétillement particulier de celui qui aime jouir des petits plaisirs de la vie, qui leur confère une valeur essentielle. J'ai longtemps voulu ignorer que je suis de cette trempe-là, pas bien reluisant, mais personne ne peut aller contre-nature sans mourir à petit feu. Et je ne veux plus mourir.

Infidèl(e)sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant