19. COLLISION

16 4 2
                                    




En manque de lui, je retourne au salon, mais ne le voyant nulle part, je ne peux m'empêcher d'être déçue. J'ai tout de suite envie de repartir, je me dégoûte de me raccrocher à ce semblant de lien entre nous qui n'existe certainement que dans ma tête. Je n'ai aucun droit sur lui, aucune légitimité à m'inviter dans son monde, à rester fascinée par lui, à entretenir cette flamme qui semble brûler en moi depuis toujours.


Je me répète que je n'arrive pas à l'oublier mais quelle est véritablement ma part de responsabilité là-dedans ? Moi qui l'appelle constamment dans mes songes éveillés, quand je ne rêve pas de lui la nuit. J'aimerais tellement redevenir moi-même, retrouver qui j'étais avant d'avoir ce besoin de me mélanger à lui, de me perdre en lui comme s'il détenait la clef de mon identité, comme si je ne pouvais me sentir entière qu'en mêlant nos corps et nos existences.


Je me déteste de ressentir cette obsession qui me dévore, qui semble venir de moi mais sur laquelle je n'ai pourtant aucun contrôle. Je le jure, je voudrais qu'on me libère de ce poids qui m'écrase et rétrécit ma vie à une longue attente, à un désir non partagé, aussi incompréhensiblement pathétique que douloureusement ridicule.


J'entends le soupir de quelqu'un qui se plante juste derrière mon épaule gauche. C'est lui. Il me fait sursauter. Je tourne la tête et nos regards se croisent. Nous sommes si proches à présent qu'il me suffirait de lever un doigt pour pouvoir le toucher, mais je suis bien incapable de bouger, ni même de prononcer une parole.


Ayant souhaité ce rapprochement tant de fois, je suis paralysée maintenant qu'il me faut le vivre dans le réel. J'ai certainement un air de panique au fond des yeux. Je le vois, pas plus à l'aise que moi, une expression indéchiffrable sur le visage. Il déglutit difficilement en serrant la mâchoire, et détourne le regard.


Nous sommes sauvés de notre gêne par la lumière et la musique qui s'éteignent tout à coup. Panne de courant. On entend quelques cris s'élever, plus de surprise que de peur, et tout de suite la voix forte de l'hôtesse qui calme tout le monde : " Ce sont sûrement les plombs qui ont sautés, pas de panique, je vais aller voir ça. Jeff, va prendre les bougies dans le deuxième tiroir de la commode en attendant. "


Juste avant que dix téléphones portables soient dégainés en mode lampe torche pour aider Jeff, je sens sa main agripper la mienne.


Je ne suis consciente à présent que de mon coeur qui bat à tout rompre et de sa main familière qui me transmet une force incroyable en m'entraînant à l'écart. Il connaît bien les lieux et n'a aucun mal à nous guider dans le noir, vers une des chambres d'amis. Il ouvre la porte en m'attirant à l'intérieur et contre lui.


Nous sommes pris par une urgence qui nous empêche de parler. Je sens son corps se presser contre moi, la douceur de son T-shirt lorsque je passe ma main dessous pour caresser la peau de son dos, ses bras qui m'enlacent, me serrent si fort que je vais m'évanouir, et nos bouches qui enfin s'unissent et se souviennent.

Infidèl(e)sOù les histoires vivent. Découvrez maintenant