Le vent serpentait le ciel avec frénésie. Il s'insinuait partout, gonflait les nuages, faisait rugir les arbres, jouait égoïstement avec leurs cimes et balayait les rayons du soleil. Le paysage était gris.
Ils s'étaient assis sur l'un des murets de pierres qui délimitaient les diverses zones du cimetière tel un puzzle macabre s'étendant sur des hectares d'herbe fanée nourrie à la chair humaine. Leurs regards se perdaient dans le vague, écoutant le murmure du vent chantant au creux des arbres, une marche funèbre qui rendait au paysage toute sa prestance morbide. Il n'y avait plus grand chose à voir dans cet amas de dalles gravées et de végétation désincarnée.
Le ciel grondait son mécontentement et la pluie se mêlait aux larmes qui s'écoulaient, sans fin, sur les joues de quelques uns d'entre eux. Sasha, stoïque, se tourna vers le corps sanglotant qui exposait ses larmes à sa gauche. Le visage blafard lui apparaissait dans toute sa vulnérabilité humaine. Son maquillage avait coulé et sa face brouillée suintait une détresse qu'il jugeait être déconvenue.
Elle est laide, se surprit-il à penser, au moins autant que nous tous.
Le garçon tirait sur le col de sa chemise, étouffé par ce costume guindé qu'il portait comme une seconde peau, stigmate brûlante d'une vie qu'il avait passé son temps à fuir. Paradoxalement, celle-ci n'en était qu'à ses balbutiements. Ironiquement, celle d'Orion aussi, pourtant, voilà qu'ils se retrouvaient tous, en ce lieu dégarni, pour honorer sa fin.
Camille n'était pas venue, elle qui, il n'y a pas si longtemps, disait le chérir plus que sa propre vie. David lui trouvait des excuses. Il avait toujours adoré ça, vivre dans l'illusion des nobles sentiments et des belles histoires. Sûrement qu'il puisait, dans ce mirage d'une possible pureté des sentiments humains, le courage d'affronter ses propres problèmes. Sasha lui jeta un regard en coin, il n'avait jamais su ce qui unissait ses deux amis et ne comprenait pas pourquoi ce dernier couvait l'espace d'un regard transpercé de douleur.
Certes, Orion était mort précocement dans l'existence mais, lui, il trouvait ça logique. Il était trop fiévreux cet ami pour survivre à la jeunesse.
Zéphir buvait une bouteille de vin rouge au goulot. Mylène avait sorti de son sac un paquet de cigarettes, entamé aux trois quarts. De ses doigts tremblants, elle s'en alluma une, libérant des volutes de fumée que Frédérique inhala en grimaçant. L'asiatique toussa ; pour la première fois, le silence était rompu. Il se reconstitua bien vite. Plus épais. Plus fort. Plus morbide.
Agatha regardait la tombe dont le relief se découpait au loin. Et, Sasha se disait qu'il n'avait rien à penser, pas de prière, pas de requête, pas d'excuses post mortem.
Il se demandait pourquoi ils semblaient tous plus tristes que lui.
Il songea qu'Orion aurait détesté une fin aussi fade mais que c'était la vie qui signait les fins et que, désormais, il n'avait plus son mot à dire. Il soupira longuement.
Frédérique se déplaça pour se nicher dans ses bras et c'est, dès lors que son visage fut caché contre son torse que le chagrin perça le masque et inonda ses traits en traînées douloureuses.
Il aurait aimé dire à Orion qu'il lui avait sauvé la vie. Il aurait aimé lui rendre la pareille. Le monde était mal fait, songeait le garçon. La mort faisait de mauvais choix. Une larme unique caressa son visage stoïque.
Il aurait aimé pouvoir revenir en arrière.
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Méditations
عشوائيFRACAS, ÉCLATS, BAZAR. Méditer dans le silence assourdissant de mes tribulations furieuses. N I N Même principe que "Ruminations" (liste de lecture "2016-2018" sur mon profil)