Cendres de nénuphars

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Avec palomalarose, nous avons décidé d'écrire un recueil en commun (Cendres de nénuphars), chaque segment correspond à un thème lancé par l'une ou l'autre et contient deux petits textes inspirés par ce thème. Si cela vous intéresse, vous pouvez le retrouver sur son compte, à côté de sa super histoire Les poissons ne savent pas nager ! (:

Je vous partage le premier segment ici, il s'intitule "plaisirs simples" : 

PLAISIRS SIMPLES

Paloma : 

À vous, mes petits riens du quotidien.

Cela a été difficile de vous trouver. Au début, on n'y pense pas vraiment. On ne vous voit pas à l'œil nu, vous êtes cachés dans l'obscurité. Et puis, comme des particules de poussière, on commence à vous percevoir lors des chauds matins d'été. Vous dansez au milieu de ces auréoles de lumière. Les riens sont comme « des choses et d'autres ». Ils régissent nos vies, ne sont jamais fixes et sont toujours aussi intemporels que futiles.

J'ai longtemps réfléchi à ces petits « riens » qui me rendent heureuse. Qui sont-ils ? Où sont-ils ? Ils sont généralement en embuscade, prêts à m'égosiller quand je suis triste.

J'aime les cendriers coquillages. Ceux qui étaient disposés un peu partout dans la maison, sur la rampe des escaliers en bois, sur le canapé, sur la table du jardin. J'aimais y voir la cendre qui se collait aux nacres et qui semblait remplacer la perle.

J'aime l'odeur de cigarette sur la peau des hommes. J'aime sentir cet arôme doux et amer. J'aime quand mes lèvres glissent le long des peaux striées d'histoires, de souvenirs et de vies.

J'aime les vestes en cuir de mon frère. Elles sont lourdes, beaucoup trop grandes pour moi et quand je les porte, j'ai l'impression d'être intouchable. Il y en une, elle porte l'inscription « Frac Jan » avec un serpent qui s'enroule autour d'un homme. Je la porte souvent.

J'aime compter les taches de rousseur de Sacha. Elle en a quatre-vingt-sept, comme des petites fourmis, des petites étoiles parsemées sur sa peau de pêche. Je compte aussi ses grains de beauté, elle en a deux-cent-dix sur tout le corps.

J'aime rire à en avoir mal au ventre, à en avoir des crampes. Je me sens comme de nouveau vivre. Comme si mon corps perforait enfin cette chrysalide.

J'aime presser la détente de mon briquet rouge. Elle me laisse toujours une marque rouge sur le pouce.

J'aime le titre du livre « Le temps des secrets » de Marcel Pagnol même si je ne l'ai jamais lu.

J'aime l'odeur des oignons grillés, de mon parfum « mademoiselle amour » que je porte depuis mes dix ans, des fraises et du rhum.

J'aime les vieilles photos. Surtout celle, immense, qui est dans le patio de ma grand-mère. Ce sont mes arrières-arrières grands parents. Elle est en noir et blanc, encadrée et suspendue sur ce papier peint qui s'édulcore et se déchire au fil du temps.

J'aime sentir le sable dans mes cheveux. J'aime lorsqu'ils ondulent quand je vais à la mer. Ils s'éclaircissent comme s'ils avaient attrapé des petits morceaux de soleil.

J'aime les housses de couettes Ikea, surtout celle avec les petites fleurs rouges dessus. J'aime vivre en autarcie dans ces draps.

J'aime les cheveux de mon frère. Ils sont très longs, bruns et bouclés. Ils sentent la nicotine et la menthe.

J'aime les écailles des poissons et le bassin de mon jardin. On entend l'eau qui coule et on aperçoit des libellules se poser délicatement sur la fine pellicule d'eau. J'aime mes trois petites grenouilles. Elles ont de grands yeux noirs.

J'aime traquer mes rêves, les dompter et m'en souvenir.

J'aime croquer les glaçons et sentir le froid irradier mes dents. J'aime quand Raphael pose ses packs de glace sur mes joues rondes rougies par la chaleur des soirs d'été.

J'aime boire au goulot les bouteilles de whisky. C'est chaud, ça brûle la gorge et ça vous rend soudainement cotonneux et euphorique.

J'aime le mot colin-maillard et la comptine « trois petits chats, trois petits chats, trois petits chats chats chats, chapeau de paille ».

J'aime sa voix de velours. Et ses mots. J'aime son âme. J'aime son prénom d'artiste qui résonne si bien. J'aime m'imaginer ses lèvres sur les miennes et ses murmures contre mon oreille.

J'aime croquer dans une pêche et avoir tout le jus qui dégouline jusqu'au menton. Ça sent les étés à la plage.

J'aime les luttes, les différences et la fougue. J'aime le bruit des cris, voir les poignets levés vers le ciel bleu et sentir cette solidarité émanant des corps.


J'aime faire les lacets de mes Dr. Martens, ça rime avec « sorties », « explorations » et « imprévus ».

J'aime les riens, ils sont porteurs de souvenirs. Les riens sont un tout. Et les touts sont un rien. Et il vous faut les voir pour les apprivoiser.

Ninon :

Aimer est un drôle de mot. Fort et frêle. On aime avec un grand A, un petit puis les deux à la fois. Dans un tourbillon d'amour dédié aux élans romantiques, aux passions intrépides et aux cœurs téméraires, j'inscris, dans le secret, une ode à mes joies éphémères. Les plaisirs fugaces, les instants fragiles, les amours simples et graciles qui meurent d'un effleurement de doigts mais suffisent à me réchauffer tout entière.

J'aime le tendre ballet des arbres bercés par le vent sur les flancs du massif. La vue plongeante sur l'urbanité coulante de la ville depuis les hauteurs de la Crête. La caresse des premiers soleils de printemps sur ma peau. Les promenades dans les bruyères roussies par les brûlures des étés arides. Les balades en bord de mer sous la pluie fine des débuts d'averses. Les pique-niques sur la plage au coucher du soleil.

J'aime l'odeur des pins, de la résine et des bonbons. Le chant des cigales et les musiques qui rythment les aventures. J'aime les karaokés dans les dernières lueurs d'un jour tranquille. Les croisements de regards dont éclosent les plus beaux fous rires. Les éclats de rires emportés par les vagues. Les premières rencontres et le frisson de la complicité naissance.

J'aime raviver les souvenirs. Ceux de nos épopées à la lampe frontale. De nos rendez-vous nocturnes dans la moiteur des soirs de juillet. De nos discussions en fin de soirée indifférents aux morsures du froid de l'hiver. Des jeux d'enfants, du craquement des pignons sous nos dents de lait et ceux de vos visages heureux qui me sourient quand se ferment mes paupières.

J'aime les compliments inattendus et les débats d'idées. La couleur des yeux au soleil. Tomber amoureuse d'une chanson et l'écouter en boucle jusqu'à la vomir. L'instant de flottement, au cinéma, quand les lumières se rallument à la fin du film. La pureté du grain des voix d'opéra. Le chocolat fondant sur la langue. L'odeur du pain chaud, des panisses et des fougasses.

J'aime la douceur d'un regard gentil. Le fracas des couleurs à l'orée de la nuit et la pâleur du brouillard à l'aube des matins blêmes.

Et, plus que tout autre, j'aime la rugosité de ces diamants bruts que sont les bonheurs volages. 


J'espère que vous allez bien ! (: ♥

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