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Ah bon ? De l'eau dans le gaz peut-être...

_ Ben... je ne sais pas... je pensais que vous déjeuniez ensemble d'habitude.

_ Et pourquoi est-ce que j'aurais l'habitude de déjeuner avec Marion ? , me demande-t-il, un drôle de sourire sur le visage. Pour le coup, c'est moi qui lève les sourcils. Il se moque de moi ou quoi ?

_ Vous sortez ensemble, non ?

Il éclate de rire et je me sens un peu larguée. Marion n'a pas arrêté de dire qu'il lui courait après, qu'il la draguait et qu'elle avait fini par accepter de sortir avec lui. C'est vrai qu'il vient fréquemment dans notre service et qu'ils sont souvent en conversation, mais en même temps, il restait tout de même distant avec elle. Aurait-elle menti pour se faire mousser ? Je m'en souviens très bien : elle l'avait dit d'un air un peu ennuyé, comme si elle n'avait rien fait pour ça et qu'elle lui faisait vraiment une faveur en acceptant ses avances. Sainte Marion ! Elle se doute bien que j'ai un gros faible pour lui. Et vu qu'elle ne me supporte pas et que je le lui rends bien...

_ Marion et moi ? On ne peut pas vraiment dire qu'on sort ensemble. Disons... que ça nous arrive de flirter de temps en temps, c'est tout.

Ah ? C'est tout ?! C'est déjà beaucoup trop pour moi. Je déballe mon sandwich et mords dedans à pleines dents. Mon Dieu ! Il est délicieux. J'avais vraiment faim. Le pain est croquant, c'est une pure merveille ! C'est décidé, je mangerai ici tous les jours.

_ Ça fait bien deux ans que tu bosses avec nous ? , me demande Caïn. Il déballe son sandwich lui aussi et je remarque qu'il a de très belles mains. Des mains soignées aux longs doigts orné d'une chevalière et de tatouages. Je les imagine bien en train de me caresser et mon ventre se contracte douloureusement. Je lui réponds. Il me sourit. Je le questionne :

_ Et toi ? Ça fait combien de temps que tu bosses là ?

_ Cinq ans déjà.

_ C'est vrai ?

_ Eh oui. Et je peux te dire une chose : je ne la regrette pas !

J'abonde dans son sens. Mme Brugnon est une vieille pimbêche : elle est autoritaire, maniaque et souvent de mauvaise foi ! Elle n'est pas loin de la retraite et tout le service n'attend que son pot de départ ! Toujours à râler, elle n'en fiche pas une et laisse tout le boulot à ses assistants. Et quand de bonnes affaires sont réalisées, qui récupère tous les honneurs ? Elle, bien évidemment !

_ Alors, rien n'a changé depuis que j'ai quitté le service juridique ? Pff ! Franchement ! Enfin bref. Je te souhaite bien du courage.

_ Ben merci, je vais en avoir besoin ! Et toi sinon ? Tu fais quoi exactement auprès du Procureur ?

_ J'aime les défis et j'ai toujours un challenge à relever et être son bras droit ça demande de la patience et du sang froid

Il est si passionné que je l'écouterais des heures durant. On passe toute notre pause ensemble ce jour-là et je suis aux anges quand je retourne au bureau. Tellement aux anges que Sara me regarde d'un air suspicieux.

_ Ben Kaly ? Qu'est-ce qui t'arrive au juste ?

_ Rien, pourquoi ?

Je ne sais pas pourquoi, mais je n'ai pas trop envie de lui raconter ce qui s'est passé. C'est un peu comme si le fait de le garder pour moi me permet de garder la magie intacte. C'est stupide, je le concède, mais... je veux que ce souvenir reste gravé en moi.

_ Je sais pas, tu as un sourire à faire pâlir le soleil ! Tu as vu un ange ou quoi ?

Presque, ai-je envie de répondre. Mais je me retiens, ce qui est très dur, car j'ai envie de lui en parler. Mais je connais Sara : si je lui dis « j'ai déjeuné avec le ténébreux ! » d'un air surexcité, elle me répondra : « t'emballes pas surtout, ça ne veut rien dire ! », d'un ton plus que terre à terre. Je n'ai pas envie de ça pour l'instant, je veux rester sur mon petit nuage !

_ Non. J'ai juste bien mangé, c'est tout. J'ai pris une tartelette au citron en dessert.

_ Oh ! Bon sang, m'en parle pas ! Je crève la dalle, moi !

_ Ah bon ? Tes deux feuilles de salade ne t'ont pas remplie ? , je lui demande d'un ton plus que sarcastique. Elle me fusille du regard.

_ Bon ça va, lâche-moi ! Je me rattraperai ce soir ! , me rétorque-t-elle en haussant les épaules. Je souris et jette les yeux sur le bureau de Marion. Vide.

_ Toujours pas revenue de sa pause, Miss Parfaite ?

Sara secoue négativement la tête et m'explique qu'elle était en réunion avec Mme Brugnon et que ça s'était éternisé. Du coup, ça ne faisait que dix minutes qu'elle était partie en pause. Je souris en mon for intérieur : si seulement elle savait avec qui j'avais déjeuné. Puis, je me reprends bien vite. Qu'est-ce que je peux être conne ! Marion et Caïn flirtent ensemble, c'est lui-même qui me l'a dit, pas plus tard que tout à l'heure... Bon, je rallume mon ordi et je décide d'arrêter d'y penser. Mais comme d'habitude, je sais déjà que mes pensées vont tourner en boucle dans ma tête sans que je ne puisse rien y faire...

_ Tu es superbe ! Vraiment, s'il ne succombe pas, passe à autre chose !

Je suis chez Sara. Son studio est petit mais super accueillant, dans des tons chauds et colorés : jaune, orange, rouge. Un véritable arc-en-ciel. Mais on s'y sent tout de suite bien. Je me suis vautrée sur le clic-clac jaune canari en attendant qu'elle sorte de la salle de bain. Elle tenait à tout prix à me faire voir la tenue qu'elle porterait pour son rencart. Elle lui va comme un gant : il s'agit d'une robe moulante rouge, si moulante qu'on dirait une seconde peau. Mais en même temps, Sara peut se le permettre, elle a un corps parfait ! Je la regarde. Elle est si mignonne et bien qu'elle ait l'air fragile, c'est une battante. Une fille vraiment chouette, qui mérite vraiment d'être heureuse. Malheureusement, elle ne sort qu'avec des cons, des machos, des mythos et compagnie. J'espère que cette fois, ce sera le bon. J'ai déjà vu son prof de fitness : plutôt beau gosse, avec tout ce qu'il faut là où il faut, une peau couleur caramel, le sourire dentifrice. Côté physique, tout colle, j'ai plus peur du reste, parce que la plupart du temps, c'est là que ça coince.

_ Tu veux quelque chose à boire ? J'ai du vin si tu veux, me propose Sara.

_ Non merci ma poule. Je vais rentrer, je suis claquée, lui dis-je en me levant.

_ Quoi, déjà ?

_ Ben oui. Je vais te laisser te préparer. Si je reste, tu seras en retard et vaut mieux éviter, hein ?

_ C'est sûr que les retards, ça te connaît, n'est-ce pas ?

Je lui tire la langue et je l'embrasse pour lui dire au revoir, après lui avoir fait promettre de tout me raconter en détails. Je me dirige vers la bouche de métro. Il est déjà dix-huit heures quarante-cinq et je ne sais même pas ce que je vais manger ce soir. En fait, je n'ai pas envie de préparer quoi que ce soit. Je regarde autour de moi, me demandant si je ne pourrais pas plutôt me faire un petit resto. Je décide, sur un coup de tête, d'arpenter les rues et de chercher un endroit sympa. Tandis que je flâne l'air de rien, je repense à Caïn. Avec le recul, je trouve bizarre qu'il se soit joint à moi pour déjeuner. D'habitude, c'est juste « bonjour-bonsoir » et là, on discute comme de vieux amis pendant près d'une heure... Une enseigne rouge attire mon regard. Un restaurant asiatique, coréen pour être plus précise. Pourquoi pas ? Ça me changera du japonais. Je me hâte. Il a l'air petit ce resto et en poussant la porte, je m'en rends bien compte. Il n'y a que huit tables en tout et pour tout, mais heureusement pour moi, ce n'est pas l'heure de pointe. La gérante lève les yeux et me sourit. Elle est minuscule et si vieille, mais en même temps, je ne sais pas si c'est un cliché ou pas, elle paraît pleine de sagesse. Son visage ridé semble sans âge.





Mr. CaïnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant