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Le pied d'Eren collait dans une flaque de Tequila. Il se balançait d'avant en arrière telle une otarie qui présentait son spectacle à un public ébahi ; son rire cassé faisait écho dans la grande pièce. Armin s'activait, la serpillère dans une main, une bouteille d'Heineken dans l'autre. La musique était au volume le moins élevé et servait plutôt à donner l'illusion d'un amusement plutôt qu'à envoyer les gens sur la piste de danse - sans surprise, entièrement désertée.

-Cap' ou pas cap' de lécher le bout du nez de Jean ?

Eren but l'ultime gorgée qui finit sa bouteille. Il attendait la réponse d'Ymir qui ne se fit pas attendre : elle se leva et titilla le nez rougi par l'alcool de sa victime. Victime qui ne se réveilla pas. Presque tout le monde était parti, il ne restait que deux pelés et trois tondus.

-N'oublie pas ton pari, rappela Ymir à Eren.

-Je suis un homme de parole.

Il sortit son portable et tapota l'écran d'un doigt peu délicat.

-Tinder ? Badoo ? Meetic ?

Eren citait des noms de sites de rencontre tous les plus connus les uns des autres.

-Au hasard, répondit Ymir en se penchant sur l'écran. C'est elle qui cliqua sur l'onglet « télécharger » d'une des applications.

Bienvenue, Eren ! Depuis le questionnaire auquel vous avez répondu, nous avons sélectionné quelques profils qui pourraient vous intéresser. Votre quête de l'amour peut désormais commencer !

-C'est pitoyable, ricana Eren. Aucune de ces personnes ne sont « des profils qui pourraient m'intéresser ».

-Mais ta quête de l'amour a commencé, se moqua Ymir en ramassant une bouteille aléatoire pour en vider le fond. Elle grimaça en avalant le reste de la boisson qui gisait là depuis trois bonnes heures.

Différents profils défilaient sous le doigt - toujours aussi peu délicat - d'Eren. Il faisait glisser les photos qui l'intéressaient vers la droite, et celles qui ne l'attiraient pas vers la gauche. Très directe comme méthode, mais assez efficace. Il n'avait pas une seule fois envoyé un profil vers la droite. Prometteur.

Armin, qui s'était penché par-dessus l'épaule d'Eren, commenta :

-Tu ne peux pas refuser chaque profil. Tu ne respectes pas ton pari.

Puis il tendit son bras et fit basculer un profil vers la droite.

-Bah, merde, c'est un garçon.

Eren faisait la moue. Il était déjà sorti avec plusieurs hommes ; mauvaises expériences qu'il ne voulait plus réitérer.

-Envoie-lui une photo de toi, l'incita Ymir.

-De mes muscles saillants ?

-Quels muscles ?

Visiblement, Jean s'était réveillé. Il frotta le bout de son nez et Ymir éclata de rire.

-Oui, bon, d'accord. Je vais peut-être simplement lui dire bonjour.

Mardi 15 février

Eren

« Hey »

Envoyé

Levi est en train d'écrire ...

Message vu à : 23 :57.

-Il m'a mis un vent. Bon, j'ai respecté mon pari. Bye.

Eren se leva, un sourire malicieux collé au visage, et s'en alla. Il pensait s'en être sorti.

Le réveil assourdissant. La douche froide. Le déjeuné gobé tout rond. L'arrêt de bus désert. Les grilles de l'usine rouillées. Eren avançait dans la masse, les yeux encore irrités de son sommeil et le visage gonflé. C'était décidé, plus jamais il n'irait à une soirée la veille d'une journée où il commençait à six heures. C'était du suicide.

Après avoir enfilé sa tenue de travail et sa charlotte, il se plaça à son poste et se mit à rêvasser. Ses pensées, il n'avait que ça pour se créer un petit coin de paradis dans ce trou à rats. Alors il réfléchit à ce qu'il allait manger ce soir. Du poulet ? Non, la dernière fois, il avait été trop sec. Des pâtes ? Oui, mais il y avait trop d'options de sauces. Bolognaise ? Carbonara ? Alfredo ? Bien sûr, il fallait penser aussi au type de pâtes. Penne ? Spaghetti ? Farfalle ? Eren claqua la langue. Il n'arrivait pas à se mettre d'accord avec lui-même. Sur une épaule, son petit démon lui chuchotait de commander chinois.

-Oui, mais quelles nouilles je prends ?

-Au bœuf, bien évidemment, lui répondit le petit démon.

-J'ai été malade la dernière fois.

-L'amour fait mal. Allez, commande à la pause.

Sur son autre épaule, le petit ange le ramenait à la raison en lui rappelant le solde de son compte bancaire. Oui, il était plus prudent de se faire des pâtes.

-Mais je ne sais pas quelle sauce cuisiner, bouda Eren.

-Tu aimes les penne Alfredo, répondit son petit ange.

-J'aime aussi les spaghettis à la bolognaise.

-Ton estomac est fragile.

-C'est vrai. L'acidité.

Eren fit fonctionner ses neurones pour se souvenir du contenu de ses armoires. Il dressa une petite liste dans sa tête. Crème fraîche, parmesan, penne, épices, poulet. Il avait moyen de concocter un petit plat avec ce dont il disposait à la maison. Il était soulagé de ne pas devoir se rendre au supermarché. La dernière fois, il y avait croisé un type pas très net à l'odeur indescriptible qui l'avait suivi à travers les rayons. Il eut des frissons en repensant au regard malsain qui l'avait scruté ce soir-là. « Prends ça pour un compliment », avait dit Jean. Absolument ! Pourquoi n'y avait-il pas pensé plus tôt !

Attablé, Eren lisait sans réellement lire les informations qui défilaient sur son portable. Toutes les lumières étaient éteintes et le seul éclairage dont disposait la pièce provenait de ce bijou technologique. Il réagit à quelques photos de ses amis : Mikasa et ses collègues en voyage d'affaires, tant de belles femmes sur une seule photo ! Impossible pour Eren de ne pas laisser un commentaire. « Vous êtes en voyage d'affaires, mais la seule affaire qui m'inquiète pour le moment c'est vos beaux yeux. Je vous déclare coupable ». Très drôle, comme blague. Une avocate comme Mikasa la trouverait probablement hilarante. Il y avait aussi Conny et Sasha qui avaient publié une photo de la clé de leur nouvel appartement, Christa et Ymir qui venaient de se fiancer, ... En gros, seul Eren n'avait rien accompli dans sa vie. Il travaillait quatre jours par semaine dans une usine alimentaire, ne savait jamais s'il allait pouvoir payer ses courses, et était endetté jusqu'à l'os auprès de son fournisseur d'électricité. Jamais il n'aurait imaginé ce train de vie en ayant fini ses études. Pour un qui avait fini premier de classe dans toutes les matières, quelle ironie.

Alors qu'il allait se lever de sa chaise et se résoudre à laver la vaisselle qui s'était entassée depuis deux jours, il reçut un message. Bah, mieux vaut tard que jamais !

O N L I N EOù les histoires vivent. Découvrez maintenant