Tic-tac

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Le premier jour de Levi commençait à peine et il n'en pouvait déjà plus. Personne ne l'avait accueilli, il avait failli se faire dessus en cherchant les toilettes, et il avait hérité d'une classe incontrôlable. La seule indication qu'il avait obtenue en arrivant dans sa nouvelle école était un mot laissé par l'ancien professeur retraité : «Courage ! ». Il eut un haut-le-cœur. Bon, au moins, il avait un emploi. Il pouvait barrer cette tâche de sa liste d'objectifs à réaliser pour atteindre le bonheur. La suivante : balancer sa boîte Erwin à la poubelle. Cela risquait d'être compliqué mais il tenait à se débarrasser de tout objet qui lui rappelait son passé. Il voulait devenir un homme nouveau, épanoui, prêt à évoluer.

Dans la salle des professeurs, tous le regardaient avec compassion. Pauvre nouveau ! Lui et sa classe difficile ! Oh, il n'a pas trouvé les toilettes ! Il va manger seul ! Leurs yeux parlaient pour eux. Levi devinait chacun de leurs jugements. Oui, il allait manger seul. Mais franchement, il n'avait pas la force de sociabiliser. De tout manière, aucun d'entre eux ne paraissait amical. Cette journée était éprouvante. Levi n'avait qu'une seule envie : rentrer chez lui et profiter du repas que ses parents lui auraient concocté. Tant qu'à faire, il rajouta l'achat d'une maison dans sa liste d'objectifs à réaliser. Il se dit qu'il était peut-être temps de prendre son envol et de quitter le cocon familial. Lui qui était si pomponné... Cela risquait d'être un coup dur.

-Vous êtes le nouveau professeur de philosophie ?

Une jeune femme s'adressait à lui. Au fond, il était heureux que quelqu'un lui fasse la conversation.

-Oui. Levi. Et vous êtes ?

-Ymir. Professeure de français. Je peux m'installer avec vous ?

En réalité, Ymir avait reconnu Levi presqu'immédiatement. Elle était étonnée de le rencontrer de cette manière. C'était ce que l'on appelle une situation impromptue.

-Uniquement si nous nous tutoyons.

-Marché conclu ! Alors, ce premier jour ?

Levi souffla tout l'air que contenaient ses poumons. Ymir comprit le message.

-Oh, mon pauvre, dit-elle. Un petit conseil, n'engage pas la conversation avec la professeure de géographie. Elle te tiendra la grappe pendant une trentaine de minutes pour te parler de son fils diabétique.

-Ahah. C'est noté.

Ymir observait Levi avec attention. C'était un homme petit, fort timide et renfermé, mais il donnait l'impression de vouloir se faire des amis. Il était très sympathique. Pas étonnant qu'Eren l'apprécie. Elle brûlait d'envie de passer un rapide coup de fil à Eren, d'ailleurs. Elle imaginait déjà sa réaction.

-Tu termines tard, Ymir ?

-Seize heures. Et toi ?

-Aussi. Tu rentres comment ?

-Je prends le bus.

-Tu veux que je te raccompagne ? Je conduis.

Eren décrocha mais recula le téléphone de son oreille lorsqu'Ymir cria.

-Calme-toi, bon sang.

-Tu ne vas jamais deviner qui j'ai vu à l'école aujourd'hui.

-Mon envie de mourir ?

-Levi !

-Pardon ?

Il avait bien entendu. Elle lui raconta le temps de midi à discuter avec lui, lui donna son avis sur son physique, puis elle lui expliqua qu'il l'avait raccompagnée chez elle. Eren avait tout écouté avec attention et ne l'avait pas interrompue une seule fois. Un exploit, pour lui.

-C'est un vrai gentleman, dit-elle. Il est très gentil.

-Tant mieux. C'est bien qu'il ait trouvé une bonne compagnie.

Il était sincère, bien qu'un tantinet jaloux.

-Il n'habite pas si loin que ça, tout compte fait.

-Belle coïncidence, répondit Eren. Le destin fait bien les choses.

-Viens le voir, à l'occasion. Il sera très content de te rencontrer en chair et en os.

-Comment tu peux en être sûre ?

-Il m'a parlé de toi !

Eren avait manqué une respiration. Levi était décidément bel et bien un homme mystérieux qui regorgeait de surprises.

-Il t'a dit quoi, au juste ?

-Secret défense.

-Tu lui as dit qu'on se connaissait, toi et moi ?

-Hors de question. Je voulais m'amuser. Je te laisse, à la prochaine !

Lundi 11 mai

Eren lance un appel audio.

Levi accepte l'appel audio.

-Alors, ta première journée ?

-C'était horrible, Eren.

-Raconte, mon chou.

Levi raconta sa journée. Son accueil froid – glacial –, ses élèves indisciplinés. Les places de parking qui étaient toutes prises, son dérapage sur une crotte de chien. Le pauvre avait vécu la pire journée de sa vie.

-Heureusement, j'ai rencontré une collègue sympathique, termina-t-il.

-Ah oui ?

-Ymir, elle donne le cours de français. Je l'ai raccompagnée chez elle et on a discuté tout le long du trajet.

-Levi, je te le dis parce qu'elle ne te l'a pas dit et que c'est une sorcière, mais je la connais.

-Hm ?

-C'est une fille qui fait partie de mon groupe d'amis. C'est elle qui m'avait lancé le pari.

-Donc, c'est un peu grâce à elle si j'ai fait ta connaissance.

-Tout à fait !

-Elle est géniale. Je l'aime.

Eren éclata de rire. Il était du même avis. Ils passèrent de longues minutes à lui trouver un surnom : Ymir l'entremetteuse, Ymir l'agence matrimoniale, Ymir Cupidon. Finalement, ils ne purent se mettre d'accord. Parce que Cupidon était trop cliché et que les deux autres supposaient qu'ils soient un couple. Or ils ne l'étaient pas. Du moins, pas pour l'instant. Le destin s'occupait doucement de défaire les nœuds qui empêchaient ces deux-là de tomber dans les bras l'un de l'autre. Tic-tac.

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