L'heure des soldes avait sonné. Alors, forcément, tout le monde était de sortie. C'était infernal. Eren avait essayé toute sa garde-robe avant de trouver une tenue dans laquelle il serait suffisamment à l'aise sans y parvenir. Il se retrouvait par conséquent avec un jeans bien trop moulant et des baskets qui l'irritaient. Il se sentait con.
-Bonjour, Eren.
Il reconnut la voix. Elle l'électrocuta. Plutôt, elle lui envoya un poignard dans les tripes. Qui se retournèrent. Se mélangèrent. Peut-être qu'en fait, il n'avait plus de boyaux. Il n'était plus sûr.
-Salut, Levi.
Sa bouche était pâteuse. Il était persuadé que Levi se retrouvait dans la même situation, ça se voyait. Lui aussi avait les lèvres sèches.
-Je connais un café chouette, si tu veux.
Menteur. Il avait tourné trois fois dans le centre commercial pour trouver l'endroit parfait.
-Je te suis.
Ils se firent bousculer à de nombreuses reprises mais aucun des deux ne parla ni ne se plaignit. Ils étaient calmes. Le regard baissé sur leurs pieds. Comme des gamins. Levi ne savait pas trop si toute cette mascarade était censée être romantique ou pathétique. Il ne choisit aucune de ces deux options et opta pour « spéciale ». Parce qu'ils étaient spéciaux à leur manière. Ou parce qu'ils s'étaient rendus spéciaux l'un l'autre. Du moins, Eren était spécial à ses yeux. Et c'était ce qui comptait le plus en cet instant.
Durant le trajet jusqu'au café, Levi remit ses choix de vie en cause. Il ne savait pas si s'accrocher autant à Eren fut une si bonne idée, aussi tentante fusse-t-elle. Dans quelques minutes, il allait être confronté à deux situations plausibles : soit il allait se faire rejeter, soit le destin allait être de son côté. Si la première option était la plus réaliste, il fantasmait sur la seconde. Il pensait mériter un peu d'amour. Plutôt, il en avait besoin. Mais Eren était un homme impossible à décrypter. Un jour c'était blanc, le suivant noir. Oui puis non. Un vrai lunatisme du cœur. Un massacre pour les méninges.
Peu importe l'issue de cette rencontre, Levi était heureux. Parce qu'il avait pu faire la connaissance d'une personne qui l'avait aidé à se rendre compte de sa propre valeur. Il avait énormément réfléchi sur lui-même, ces derniers mois. Grâce à l'emmerdeur qu'il suivait à travers les allées.
Le café était bondé mais ils trouvèrent facilement deux places, au fond, côté sortie. Les propriétaires avaient probablement voulu installer une ambiance cosy mais c'était raté. Les lumières jaunes donnaient un mal de crâne incroyable et la proximité des sièges mettait plus mal à l'aise qu'autre chose. Levi n'aimait pas trop. Mais il ne dit rien, parce qu'Eren semblait satisfait de lui. Il avait un léger sourire discret et les yeux rieurs.
-Tu prends quoi ?
Eren s'apprêtait à aller au comptoir pour passer commande.
-La même chose que toi.
Levi regretta son choix. Une fois qu'Eren revint, il avait deux tasses de la taille de son visage. Il y avait de la crème fraîche, des copeaux de chocolat, de la poudre de cacao et beaucoup trop de viennoiseries. De nouveau, il ne dit rien ni ne montra sa répulsion. Parce qu'Eren se donnait du mal. Et c'était beau à voir. Lui qui disait ne pas être amoureux. Ironique.
Sans surprise, le silence tomba comme une pierre sur leurs épaules. Alors Levi osa plonger sa cuillère dans l'amas de sucre pour goûter. Bon, ce n'était pas si terrible que ça en avait l'air. Mais il ne raffolait tout de même pas des douceurs au chocolat.
-Alors ?
-C'est très bon.
Mensonge numéro un.
-J'aime l'endroit, rajouta-t-il.
Mensonge numéro deux.
-Tant mieux.
Eren ne força pas la discussion. Il préférait laisser le temps les mettre à l'aise. Il paniquait un peu, mais rien de bien méchant. Levi avait une aura apaisante. En caisse, l'employé tremblait. Probablement un nouveau. Il souriait aux clients mais son sourire était faux. N'importe qui aurait pu le remarquer. Une musique jouait à bas son. Du classique. Beethoven, peut-être ? Eren grimaça. Il avait oublié ses leçons de piano.
-Alors comme ça, tu étais devant mon école ?
Levi brisa le silence.
-Tu étais avec Ymir. Je n'ai pas osé.
-Dommage. J'aurais été très content.
-Mais je suis devant toi !
-Oui, mais l'effet de surprise aurait été cool.
-T'es vraiment un grincheux. Jusqu'au bout des ongles.
-Merci...
Levi termina la décoration du café bien plus vite qu'il n'y aurait cru. Enfin, la boisson était là. Son nectar favori. L'odeur lui chatouillait le nez. Alors il prit une immense gorgée qui le fit tousser.
-Doucement, Li' !
Il écarquilla les yeux. Il voulut protester : il n'y a que ma mère qui m'appelle ainsi ! mais il ne pipa mot. En revanche, il rit. D'abord doucement, puis de bon cœur, jusqu'à ce qu'Eren le rejoigne dans son hystérie. Ils en eurent les larmes aux yeux, puis une douleur aiguë dans le ventre qui les calma. Levi se laissa aller dans son siège rembourré –finalement, c'était très confortable. Eren sentait comme la maison. Une odeur de complaisance, de sécurité, de bonheur. Il avait les yeux protecteurs. Les bras chaleureux. La carrure d'un homme qu'on aurait envie de choyer.
-Eren, je me sens bien avec toi.
-Moi aussi.
Eren n'avait pas réfléchi avant de sortir sa réponse. Il en fut surpris mais pas pour longtemps : comme il l'avait senti, il était un homme changé. Il se mit à aimer cette sensation.
Tout avait changé dans sa vie. Il avait trouvé un boulot stable, il comptait se dégoter un petit studio coquet, et il avait remis en question l'Amour. Avec un grand A. Parce qu'avec Levi, tout semblait plus grand. Plus profond. Différent et sensationnel. Pour son plus grand désarroi.
Il avait eu tort depuis le début. Finalement, l'Amour était bien plus qu'une étincelle. Ce n'était pas un coup de foudre qui pourfendait le cœur en deux. C'était plutôt un café, partagé autour d'une table au fond d'un bistrot pas trop mal coté.
C'était la danse des lumières jaunes qui emplissaient la pièce d'une teinte rappelant l'été.
C'était un rire.
C'était Levi.
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O N L I N E
Fanfiction"Laisse-moi t'apprendre, Eren." "M'apprendre quoi ?" "À tomber lentement amoureux."